Lundi 11 décembre C'est notre dernière semaine à Crozet. Nous essayons de profiter de chaque instant, nous savourons chaque jour qui passe et qui nous rapproche du départ.
Le bateau est attendu pour mardi après-midi d'après les dernières informations. Cette fois nous sommes résignés et peu nous importe la date exacte de son arrivée.
Mardi 12 décembre Le bateau affronte une mer assez forte et son arrivée est différée d'une demi-journée. Cela ne change pas grand-chose au programme. Nous ne sommes sûrs que d'une chose, c'est qu'il doit être impérativement de retour à l'île de la Réunion pour le 30 décembre. Demain, à condition que le Marion arrive dans la nuit, l'OP commencera à 5h30 ! Mercredi 13 décembre Malgré un temps pourri – il neige à gros flocons – l'hélicoptère enchaîne les rotations depuis 5h00 du matin. Cet incessant ballet durera toute la journée.
Jeudi 14 décembre Grâce aux conditions favorables, l'OP se poursuit à un rythme soutenu. Nous devrions appareiller demain si le temps se maintient.
Cette soirée sera certainement ma dernière sur la base.
Vendredi 15 décembre Bien que le départ soit remis à demain, la météo s'étant rapidement dégradée, je tiens tout de même ma valise prête. La décision a été prise de continuer l'OP encore une journée. Départ prévu demain donc.
Samedi 16 décembre Journée interminable ! Les heures s'égrainent lentement au rythme des rotations de l'hélicoptère. Drôle d'ambiance au repas. Les nouveaux hivernants tempèrent leur enthousiasme devant les mines défaites de ceux qui vont partir dans quelques heures.
Nous remontons à la station après le déjeuner pour nous imprégner une dernière fois de l'atmosphère particulière de cette pièce où nous avons passé Erick et moi la majeure partie de notre temps durant cette merveilleuse année. Nous arpentons une ultime fois les couloirs qui vont du bar à l'agence postale en passant par la station radio, et l'atelier. Un dernier regard sur les photos des équipes télécoms qui se sont succédé depuis la création de la base. Celle d'Erick et moi va venir s'ajouter à la longue liste aussitôt que nous aurons quitté l'île. 16h00 : l'hélicoptère commence maintenant à embarquer les passagers. Plusieurs rotations seront nécessaires. Nous nous arrangeons pour être dans la dernière.
16h30 : l'hélicoptère entame maintenant sa dernière rotation. Dans quelques minutes il se présentera sur la zone d'atterrissage pour nous embarquer. Dernière accolade avec les gens qui nous sont chers, avec qui nous avons partagé tant de choses. Bien sûr il y a Basile et Gribouille mais ce sont surtout Cyril et Fabrice, derniers représentants de notre mission et qui ne partirons que le mois prochain, avec qui nous échangeons une ultime étreinte. Aucun mot n'est échangé à cette occasion. Les mots sont inutiles. Nous savons ce que chacun éprouve à ce moment.
Nous ne pouvons prolonger ce moment indéfiniment, il est temps d'embarquer. Surtout ne plus jeter un seul regard en arrière sous peine d'éclater en sanglots. Nous baissons la tête sous le rotor, jetons nos sacs à l'arrière et grimpons dans nos sièges. Le pilote pousse le régime moteur. La turbine siffle rageusement et l'hélicoptère s'arrache du sol soulevant un brouillard de vapeur d'eau. Très rapidement ces visages connus qui nous sourient ne deviennent que des silhouettes anonymes. Les larmes que nous ne pouvons contenir plus longtemps brouillent notre vue. Comme le veut la tradition, le pilote entame un second tour au-dessus de la base avant de rejoindre le bateau. De minuscules silhouettes continuent d'agiter frénétiquement les bras en signe d'adieu. Fabrice et Cyril ne sont plus parmi eux. Nous savons qu'eux non plus n'ont pu retenir leurs larmes. Ils se sont probablement réfugiés dans un des nombreux endroits de la base où nous aimions nous retrouver, les Erick, Serge, Stéphane, Cyril, Vincent, Fabrice, pour partager cette amitié si sincère.
18h00 : le Marion appareille, quitte lentement la baie du Marin et met le cap sur les îles Kerguelen. Une brume épaisse enveloppe notre île que nous aurions tant aimé contempler une fois encore. La corne de brume résonne sinistrement dans la nuit froide qui commence à tomber. Les rares lumières, signe de vie sur la base, s'estompent puis meurent lentement à l'horizon. Il pleuvait le jour de notre arrivée… Il pleut ce soir.