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Nouvelles et faits divers, Voici LANDRU

Voici LANDRU

C'est son entrée, et non celle des robes rouges et noires qui met un peu de gravité dans cette salle petite, dépourvue de majesté, où l'on parle haut et où on s'ennuie parce que la Cour se fait attendre. C'est lui qui attire et retient tous les regards, lui, cent fois photographié, caricaturé, reconnu de tous et différent pourtant de ce que l'on connaît de lui. Voilà bien la barbe, la calvitie popularisée; le sourcil crêpé, comme postiche. Mais cet homme maigre porte sur son visage quelque chose d'indéfinissable qui nous rend tous circonspects – un peu plus, j'écrivais : déférents. Une femme, tête nue, derrière moi, chuchote : - Il a vraiment l'air d'un monsieur. Quel éloge !... Un journaliste affirme que Landru a « une barbe de préparateur en pharmacie ». Un dessinateur dit : - Il est bien convenable, on jurerait un chef de rayon à la soie. La foule n'émettra jamais d'opinion unanime sur Landru. L'homme aux cinquante noms, l'homme aux deux cent quatre vingt trois aventures féminines, même sans bouger, et avant qu'il ait parlé, est déjà Protée. Séduisant, ce séducteur ? Correct, certainement. Faunesque, verlainien comme on l'a décrit ? Non. Ni génial, ni difforme. Au-dessus des vertèbres maigres du cou, le crâne est beau, et peut couver l'intelligence, qui sait, l'amour… Pour ce qui est de la face, sa ressemblance évidente avec le député Ceccaldi, le Ceccaldi de Caillaux, frappe, et gêne un moment, puis on l'oublie. On l'oublie quand on a vu l'oeil de Landru. Je cherche en vain, dans cet oeil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n'est point humain. C'est l'oeil de l'oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s'il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondables qu'on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l'y trouve pas. Si ce visage effraie, c'est qu'il a l'air, osseux mais normal, d'imiter parfaitement l'humanité, comme ces mannequins immobiles qui présentent les vêtements d'homme, aux vitrines. A-t-il tué ? N'a-t-il pas tué ? Nous ne sommes pas près de le savoir. Il écoute, il paraît écouter l'interminable acte d'accusation, débité sur un ton de messe triste, qui fond le courage de tous les auditeurs. J'observe sa respiration : elle est lente, égale. Il extrait, de son pardessus noisette, des papiers qu'il lit et annote, et dont les feuilles ne tremblent pas dans sa main. Landru prend des notes, attentif et lointain tout ensemble, ou promène sur la salle, sans bravade, le regard qui fit amoureuses tant de victimes. Il laisse voir que le bruit l'incommode. Il se mouche posément, plie son mouchoir en carré, rabat le petit volet de sa poche extérieure. Qu'il est soigneux ! A-t-il tué ? S'il a tué, je jurerais que c'est avec ce soin paperassier, un peu maniaque, admirablement lucide, qu'il apporte au classement de ses notes, à la rédaction de ses dossiers. A-t-il tué ? Alors c'est en sifflotant un petit air, et ceint d'un tablier à cause des taches. Un fou sadique, Landru ? Que non ! Il est bien plus impénétrable, du moins pour nous. Nous imaginons à peu près ce que c'est que la fureur, lubrique ou non, mais nous demeurons stupides devant le meurtrier tranquille, et doux, qui tient un carnet de victimes et qui peut-être se reposa, dans sa besogne, accoudé à la fenêtre et donnant du pain aux oiseaux. Je crois que nous ne comprendrons jamais rien à Landru, même s'il n'a pas tué. Sa sérénité appartient peu au genre humain. Pendant l'essai d'armes, la passe rapide et menaçante entre Maître de Moro-Giafferri, chat tigre dont la griffe brille, et l'avocat général Godefroy, tout enveloppé de ruse, Landru semblait rêver au-dessus d'eux, retiré de nous, retourné peut-être à un monde très ancien, à une époque où le sang n'était ni plus sacré, ni plus horrible que le vin ou le lait, un temps où le sacrificateur, assis sur la pierre ruisselante et tiède, s'oubliait à respirer une fleur. Coupable, Landru ressemblerait-il à ces asiatiques et suaves bourreaux ? J'oubliais la « question d'argent ». Et Maître de Goro-Giafferri n'est pas de mon avis. La lucidité, la mémoire classificatrice et procédurière de son client l'enchantent : - Qu'on l'acquitte, s'écriait-il hier dans le vestibule, et je le prends comme secrétaire !

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Voici LANDRU This is LANDRU

C'est son entrée, et non celle des robes rouges et noires qui met un peu de gravité dans cette salle petite, dépourvue de majesté, où l'on parle haut et où on s'ennuie parce que la Cour se fait attendre. C'est lui qui attire et retient tous les regards, lui, cent fois photographié, caricaturé, reconnu de tous et différent pourtant de ce que l'on connaît de lui. Voilà bien la barbe, la calvitie popularisée; le sourcil crêpé, comme postiche. Mais cet homme maigre porte sur son visage quelque chose d'indéfinissable qui nous rend tous circonspects – un peu plus, j'écrivais : déférents. Une femme, tête nue, derrière moi, chuchote : -         Il a vraiment l'air d'un monsieur. Quel éloge !... Un journaliste affirme que Landru a « une barbe de préparateur en pharmacie ». Un dessinateur dit : -         Il est bien convenable, on jurerait un chef de rayon à la soie. La foule n'émettra jamais d'opinion unanime sur Landru. L'homme aux cinquante noms, l'homme aux deux cent quatre vingt trois aventures féminines, même sans bouger, et avant qu'il ait parlé, est déjà Protée. Séduisant, ce séducteur ? Correct, certainement. Faunesque, verlainien comme on l'a décrit ? Non. Ni génial, ni difforme. Au-dessus des vertèbres maigres du cou, le crâne est beau, et peut couver l'intelligence, qui sait, l'amour… Pour ce qui est de la face, sa ressemblance évidente avec le député Ceccaldi, le Ceccaldi de Caillaux, frappe, et gêne un moment, puis on l'oublie. On l'oublie quand on a vu l'oeil de Landru. Je cherche en vain, dans cet oeil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n'est point humain. C'est l'oeil de l'oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s'il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondables qu'on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l'y trouve pas. Si ce visage effraie, c'est qu'il a l'air, osseux mais normal, d'imiter parfaitement l'humanité, comme ces mannequins immobiles qui présentent les vêtements d'homme, aux vitrines. A-t-il tué ? N'a-t-il pas tué ? Nous ne sommes pas près de le savoir. Il écoute, il paraît écouter l'interminable acte d'accusation, débité sur un ton de messe triste, qui fond le courage de tous les auditeurs. J'observe sa respiration : elle est lente, égale. Il extrait, de son pardessus noisette, des papiers qu'il lit et annote, et dont les feuilles ne tremblent pas dans sa main. Landru prend des notes, attentif et lointain tout ensemble, ou promène sur la salle, sans bravade, le regard qui fit amoureuses tant de victimes. Il laisse voir que le bruit l'incommode. Il se mouche posément, plie son mouchoir en carré, rabat le petit volet de sa poche extérieure. Qu'il est soigneux ! A-t-il tué ? S'il a tué, je jurerais que c'est avec ce soin paperassier, un peu maniaque, admirablement lucide, qu'il apporte au classement de ses notes, à la rédaction de ses dossiers. A-t-il tué ? Alors c'est en sifflotant un petit air, et ceint d'un tablier à cause des taches. Un fou sadique, Landru ? Que non ! Il est bien plus impénétrable, du moins pour nous. Nous imaginons à peu près ce que c'est que la fureur, lubrique ou non, mais nous demeurons stupides devant le meurtrier tranquille, et doux, qui tient un carnet de victimes et qui peut-être se reposa, dans sa besogne, accoudé à la fenêtre et donnant du pain aux oiseaux. Je crois que nous ne comprendrons jamais rien à Landru, même s'il n'a pas tué. Sa sérénité appartient peu au genre humain. Pendant l'essai d'armes, la passe rapide et menaçante entre Maître de Moro-Giafferri, chat tigre dont la griffe brille, et l'avocat général Godefroy, tout enveloppé de ruse, Landru semblait rêver au-dessus d'eux, retiré de nous, retourné peut-être à un monde très ancien, à une époque où le sang n'était ni plus sacré, ni plus horrible que le vin ou le lait, un temps où le sacrificateur, assis sur la pierre ruisselante et tiède, s'oubliait à respirer une fleur. Coupable, Landru ressemblerait-il à ces asiatiques et suaves bourreaux ? J'oubliais la « question d'argent ». Et Maître de Goro-Giafferri n'est pas de mon avis. La lucidité, la mémoire classificatrice et procédurière de son client l'enchantent : - Qu'on l'acquitte, s'écriait-il hier dans le vestibule, et je le prends comme secrétaire !