Alice ne savait que faire. En désespoir de cause, elle mit la main à la poche, en tira une boîte de dragées (heureusement, l'eau salée n'y avait pas pénétré), et les distribua à la ronde, en guise de prix. Il y en avait exactement une pour chacun.
« Mais il faut qu'elle ait un prix, elle aussi », dit la Souris. « Bien sûr, approuva le Dodo d'un ton très sérieux. Qu'as-tu encore dans ta poche ? » Continua-t-il en se tournant vers Alice.
« Rien qu'un dé à coudre », répondit-elle tristement. « Passe-le-moi », ordonna-t-il.
Une fois de plus, tous se pressèrent autour d'elle, tandis que le Dodo présentait solennellement le dé à Alice, en disant : « Nous te prions de bien vouloir accepter cet élégant dé à coudre ; » et, quand il eut achevé ce bref discours, les assistants poussèrent des acclamations. Alice jugea tout cela parfaitement absurde, mais ils avaient l'air si sérieux qu'elle n'osa pas rire ; comme elle ne trouvait rien à répondre, elle se contenta de s'incliner et de prendre le dé, d'un air aussi grave que possible. Il fallait à présent manger les dragées, ce qui n'alla pas sans beaucoup de bruit et de désordre : en effet, les gros oiseaux se plaignirent de ne pouvoir apprécier le goût des leurs, et les petits s'étranglèrent, si bien qu'on fut obligé de leur tapoter le dos. Cependant, tout finit par s'arranger ; ils s'assirent en cercle de nouveau, et prièrent la Souris de leur narrer autre chose. « Tu m'avais promis, te souviens-tu, dit Alice, de me raconter ton histoire et de m'expliquer pourquoi tu détestes les Ch… et les Ch…. », Ajouta-t-elle à voix basse, craignant de la froisser une fois de plus.
« Elle est bien longue et bien triste ! » s'exclama la Souris en soupirant et en regardant sa queue. « Il est exact qu'elle est très longue, déclara Alice, en regardant la queue, elle aussi, d'un air stupéfait, mais pourquoi la trouves-tu triste ?» Et, pendant que la Souris parlait, Alice continuait à se casser la tête à ce propos, de sorte que l'idée qu'elle se faisait de l'histoire ressemblait un peu à ceci… Fury dit à une souris qu'il avait trouvée au logis : « Allons devant le tribunal ; Je te poursuis devant la loi. Je n'accepte pas de refus ; Il faut que ce procès ait lieu, car ce matin, en vérité, je n'ai rien à faire de mieux.» La souris répond au roquet : « Mon cher monsieur, un tel procès, sans jury et sans juge, ne se peut pas, je le crains fort. « Je serai juge, je serai juré, répondit le rusé Fury. C'est moi qui rendrai le verdict et te condamnerai à mort ». « Tu n'écoutes pas ! Reprocha à Alice la Souris d'un ton sévère. A quoi penses-tu donc ? » « Je te demande pardon, dit Alice très humblement. Tu en étais arrivée à la cinquième courbe, n'est-ce pas ? » « Mais pas du tout ! s'exclama la Souris d'un ton furieux. Je n'étais pas encore au nœud de mon histoire ! » « Il y a donc un nœud quelque part ? demanda Alice, toujours prête à rendre service, en regardant anxieusement autour d'elle. Oh, je t'en prie, laisse-moi t'aider à le défaire ! » « Jamais de la vie ! rétorqua la Souris en se levant et en s'éloignant. Tu m'insultes en racontant des bêtises pareilles ! » « Je ne l'ai pas fait exprès ! dit la pauvre Alice pour s'excuser. Mais, tu te froisses pour un rien, tu sais ! » La Souris, en guise de réponse, se contenta de grogner. « Je t'en prie, reviens et achève ton histoire ! » s'écria Alice. Et tous les autres s'exclamèrent en chœur : « Oui, nous t'en prions ! » Mais la Souris se contenta de hocher la tête avec impatience, en s'éloignant un peu plus vite. « Quel dommage qu'elle n'ait pas voulu rester ! » déclara le Lori en soupirant, aussitôt qu'elle eut disparu ; et une vieille mère Crabe profita de l'occasion pour dire à sa fille : « Ah ! Ma chérie ! Que ceci te serve de leçon et t'apprenne à ne jamais te mettre en colère ! » – « Tais-toi, m'man ! » Répondit la petite d'un ton acariâtre. « Ma parole, tu ferais perdre patience à une huître ! » « Ce que je voudrais avoir notre Dinah avec moi ! s'exclama Alice à haute voix, mais sans s'adresser à personne en particulier. Elle aurait vite fait de la ramener ! » « Et qui est Dinah, si je puis me permettre de poser cette question ? » demanda le Lori.
Alice répondit avec empressement, car elle était toujours prête à parler de son animal favori : « Dinah est notre petite chatte. Elle n'a pas sa pareille pour attraper les souris, tu ne peux pas t'en faire une idée ! Et je voudrais que tu la voies quand elle chasse les oiseaux ! Elle avale un petit oiseau en un rien de temps ! » Ces paroles causèrent une grande sensation dans l'assistance. Quelques oiseaux s'envolèrent sans plus attendre. Une vieille Pie commença à s'emmitoufler très soigneusement en marmottant : « Il faut absolument que je rentre ; l'air de la nuit me fait mal à la gorge ! » et un Canari cria à ses enfants d'une voix tremblante : « Partons, mes chéris ! Vous devriez être au lit depuis longtemps déjà ! » Sous des prétextes divers, tous s'éloignèrent, et, bientôt, Alice se trouva seule. « Ce que je regrette d'avoir parlé de Dinah ! se dit-elle d'une voix mélancolique. Personne ici n'a l'air de l'aimer, et pourtant je suis sûre que c'est la meilleure chatte du monde ! Oh, ma Dinah chérie ! Je me demande si je te reverrai jamais » Là-dessus, la pauvre Alice se remit à pleurer, car elle se sentait très seule et découragée. Au bout d'un court moment, cependant, elle entendit dans le lointain un léger bruit de pas ; alors, elle leva des yeux avides, espérant vaguement que la Souris avait changé d'idée et revenait pour achever son histoire. (1) En anglais, Caucus Race : terme un peu méprisant ; il s'agit d'une réunion politique pour désigner un candidat aux élections ; peut être traduit par “course des politicards” ou “course à la candidature”.