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Wikipédia Français, George Orwell partie 2

À la rencontre du prolétariat À la fin de l'automne 1934, Orwell termine dans la douleur la rédaction de son deuxième roman, Une fille de pasteur , dont il se montre peu satisfait : « C'était une bonne idée, explique-t-il à un de ses correspondants, mais je crains de l'avoir complètement gâchée[22]. » Là encore, la précision des références aux lieux et à des personnages réels fait craindre à Victor Gollancz que l'ouvrage ne soit poursuivi en diffamation. Il se décide toutefois à le publier, assorti de corrections mineures, au début de l'année 1935[23]. Entre temps, Orwell s'est installé à Londres, où il trouve un emploi à la librairie « Booklover's Corner », dans le quartier d'Hampstead, « qui était, et demeure, un quartier d'intellectuels (réels ou prétendus)[24] ». Il rencontre Eileen O'Shaugnessy, qu'il épouse en juin 1936. Orwell a auparavant publié un autre roman, « le dernier de ses livres consciemment "littéraires" », selon Bernard Crick[25], Et vive l'aspidistra ! Il se rend aussi dans le nord de l'Angleterre où, pour honorer une commande que lui a passée Victor Gollancz, il étudie les conditions de vie des mineurs des régions industrielles. Il tire de ce reportage un livre : Le Quai de Wigan , qui sera publié alors qu'Orwell est en Espagne. Très polémique dans sa seconde partie, dans laquelle l'auteur analyse les raisons de l'échec de la gauche à gagner les classes laborieuses à la cause socialiste[26], il paraît avec une mise au point hostile de Victor Gollancz qui, initiateur du projet, se désolidarise de son aboutissement. Cette rencontre avec le prolétariat des régions minières marque surtout la « conversion[27] » d'Orwell à la cause socialiste. Celle-ci survient brutalement, comme une évidence, face au spectacle de l'injustice sociale et de la misère du prolétariat anglais[28]. Orwell en Espagne Fin 1936, alors que fait rage la Guerre d'Espagne qui met aux prises les républicains avec la tentative de coup d'État militaire menée par le « Caudillo », Francisco Franco, Orwell et son épouse rejoignent, par l'intermédiaire de l'Independent Labour Party, qui leur a remis des lettres de recommandation[29], les milices du POUM[30], après un bref détour par Paris, où Orwell rend visite à Henry Miller, qui tente en vain de le dissuader de se rendre en Espagne. Orwell, à son arrivée à Barcelone, est fasciné par l'atmosphère qu'il y trouve : lui qui l'année précédente se désolait de ne pouvoir rompre la barrière de classe qui sépare le bourgeois qu'il est de ces prolétaires qu'il était allé rencontrer[31], empêchant toute rencontre véritable entre les uns et les autres, découvre là une société dans laquelle cette barrière, à ce qu'il lui semble, est en train de s'effondrer. Les milices du POUM, notamment, dans lesquelles il est nommé instructeur (grâce à l'expérience acquise dans ce domaine lors de ses années birmanes), lui apparaissent comme étant « une sorte de microcosme de société sans classes[32] ». Après avoir passé quelque temps sur le front d'Aragon, Orwell retourne à Barcelone, où il participe aux « troubles de mai » qui opposent les forces révolutionnaires au gouvernement catalan et au PSUC[33] et qui verront la victoire de ces derniers[34]. Il retourne au front où il est blessé à la gorge. Démobilisé, contraint de quitter clandestinement l'Espagne pour ne pas être arrêté (le POUM, dénoncé comme un « parti fasciste » par la propagande du PSUC, est déclaré illégal le 16 juin 1937), Orwell et son épouse gagnent la France, d'où ils rejoignent l'Angleterre. Orwell, à son retour à Londres, est atterré par la manière dont les intellectuels de gauche (en particulier ceux qui appartiennent ou sont proches du Parti communiste) rendent compte de ce qui se passe en Espagne, et notamment par les calomnies répandues sur le compte du POUM, systématiquement accusé d'être soit une organisation fasciste, soit une organisation manipulée par les fascistes : c'est dans l'optique de rétablir la vérité quant aux évènements dont il a été témoin qu'il entreprend alors de rédiger son Hommage à la Catalogne qu'il fait paraître, avec quelques difficultés, en avril 1938. À partir de ce moment, écrira-t-il en 1946, « tout ce [qu'il] a écrit de sérieux [...] a été écrit, directement ou indirectement, et jusque dans la moindre ligne, contre le totalitarisme et pour le socialisme démocratique [35] ». Le patriotisme révolutionnaire Alors que la menace d'un nouveau conflit européen se fait de plus en plus précise, Orwell défend une position antiguerre et critique l'antifascisme des fronts populaires : cette guerre ne servirait, selon lui, qu'à renforcer les impérialismes européens, qui ont beau jeu de se présenter, face à la menace fasciste, comme des démocraties, alors qu'ils exploitent sans vergogne « six cents millions d'êtres humains privés de tous droits [36] » Quelques mois plus tard, pourtant, il change radicalement sa position sur le sujet : alors que le Parti communiste (qui appelait auparavant à la lutte contre les dictatures fascistes) se découvre pacifiste à la suite du Pacte Germano-Soviétique, Orwell découvre que, dans le fond, il a toujours été un patriote[37]. Cathédrale Saint-Paul de Londres durant le Blitz, 29 décembre 1940 Contrariant le désir qu'il avait de s'engager dans l'armée, sa faible santé le fait réformer. Malgré celle-ci, il s'engage en 1940 dans la Home Guard (milice de volontaires organisée par l'État et créée dans le but de résister à l'invasion nazie dans le cas où les Allemands parviendraient à débarquer en Grande-Bretagne). Par ailleurs, en 1941, il est engagé comme producteur à la BBC, diffusant émissions culturelles et commentaires de guerre à destination des Indes[38].

Parallèlement à ces activités, Orwell envoie régulièrement des articles (« Les Lettres de Londres ») à la revue américaine d'inspiration trotskiste The Partisan Review. [39] En effet, le patriotisme dont il fait preuve depuis le début de la guerre ne lui a pas pour autant fait abandonner ses aspirations révolutionnaires. Bien au contraire, il estime que la victoire de la Grande-Bretagne sur les dictatures fascistes passera nécessairement par la révolution sociale en Angleterre, révolution dont il voit les signes avant-coureurs dans le mécontentement croissant des classes populaires face aux privations dues à l'état de guerre (qui ne frappent pas les couches supérieures de la société) et aux revers militaires de l'armée anglaise, revers causés selon lui par l'incurie des dirigeants militaires et politiques. De ce point de vue, la Home Guard lui apparaît comme étant ce peuple en armes qui renversera, au besoin par la force, le pouvoir en place avant de défaire les armées hitlériennes (il développe ces points de vue dans son essai intitulé Le Lion et la Licorne , qui parait en 1941 dans la collection Searchlight, dont il est le cofondateur).

En novembre 1943, Orwell démissionne de son poste à la B.B.C. [40]Il devient alors directeur des pages littéraires de l'hebdomadaire de la gauche travailliste The Tribune et entame la rédaction de La Ferme des animaux . Les dernières années Orwell achève l'écriture de La Ferme des animaux en février 1944. L'ouvrage ne paraît pourtant qu'un an plus tard, en août 1945. Entre-temps, le livre est refusé par quatre éditeurs[41] : la mise en cause radicale de l'URSS semble prématurée, à un moment où les hostilités contre l'Allemagne hitlérienne ne sont pas encore achevées. En 1945 toujours, Orwell, qui a démissionné de son poste au Tribune , devient envoyé spécial de The Observer en France et en Allemagne , où il est chargé de commenter la vie politique. Il est à Cologne, en mars, lorsqu'il apprend que sa femme, atteinte d'un cancer, vient de mourir. Il rentre à Londres et entame la rédaction de ce qui va devenir son œuvre la plus célèbre : 1984 .

En parallèle, à partir d'août 1945, il devient vice-président du « Freedom Defense Committee » (présidé par le poète anarchiste Herbert Read), qui s'est fixé pour tâche de « défendre les libertés fondamentales des individus et des organisations, et [de] venir en aide à ceux qui sont persécutés pour avoir exercé leurs droits à la liberté de s'exprimer, d'écrire et d'agir[42]. » Orwell soutient le comité jusqu'à sa dissolution en 1949. En cette même année 1949, il publie 1984 , qu'il a achevé à la fin de l'année précédente. Il épouse en secondes noces Sonia Brownell le 13 octobre, alors que, gravement malade de la tuberculose, il a été admis le mois précédent à l'University College Hospital de Londres, où il prend des notes en vue d'un futur roman. Il meurt le 21 janvier 1950 des suites d'une tuberculose. Tombe d'Eric Arthur Blair Orwell est enterré dans le petit cimetière de l'église de Sutton Courtenay, près d'Abingdon dans l'Oxfordshire, bien que n'ayant aucun lien avec ce village. Il a pourtant laissé comme instructions : « Après ma mort, je ne veux pas être brûlé. Je veux simplement être enterré dans le cimetière le plus proche du lieu de mon décès. » Mais son décès ayant eu lieu au centre de Londres et aucun des cimetières londoniens n'ayant assez de place pour l'enterrer, sa veuve, Sonia Brownell, craignant que son corps ne soit incinéré, a demandé à tous ses amis de contacter le curé de leur village d'origine pour voir si leur église disposerait dans son cimetière d'une place pour l'y enterrer. C'est ainsi qu'il a été, par pur hasard, inhumé à Sutton Courtenay. Sur sa tombe ces simples mots : Eric Arthur Blair né le 25 juin 1903, mort le 21 janvier 1950 Sans aucune mention ni à ses œuvres, ni à son nom de plume : « George Orwell . » Après sa mort, sa veuve a fait publier une collection de ses articles, essais, correspondances ainsi que quelques nouvelles sous le titre de Collected Essays, Journalism, and Letters (1968). The Complete Works of George Orwell (vingt volumes), première édition des œuvres complètes d'Orwell, a été achevée de publication en Angleterre en 1998. Anecdotes Orwell délateur ? Le 11 juillet 1996, un article, publié dans le quotidien anglais The Guardian , explique que George Orwell, en 1949, a collaboré avec l' Information Research Department (une section du ministère des Affaires étrangères britannique liée aux services de renseignements)[43] par l'intermédiaire d'une fonctionnaire de celui-ci : Celia Kirwan. Orwell aurait livré à cet agent une liste de noms de journalistes et d'intellectuels « cryptocommunistes », « compagnons de routes » ou « sympathisants » de l'Union soviétique. La réalité de cette collaboration est prouvée par un document déclassifié la veille par le Public Record Office [44].

L'information est relayée en France principalement par les quotidiens Le Monde (12 et 13 juillet 1996) et Libération (15 juillet 1996). Le public français apprend à cette occasion que l'auteur de 1984 « dénonçait au Foreign Office les "cryptocommunistes" » ( Le Monde , 13 juillet 1996). Dans son numéro d'octobre 1996, le magazine L'Histoire va plus loin encore, expliquant qu'Orwell aurait « spontanément participé à la chasse aux sorcières » organisée contre les intellectuels communistes par le Foreign Office. En revanche, ces articles omettent de mentionner qu'Orwell est un ami personnel de Celia Kirwan (belle-sœur de l'écrivain Arthur Kœstler, elle a en 1945 repoussé la demande en mariage d'Orwell, veuf depuis quelques mois). Celle-ci, à l'occasion d'une visite à l'auteur de L'Hommage à la Catalogne , lui confie travailler alors pour un service gouvernemental chargé de recruter des écrivains et des intellectuels susceptibles de produire de la propagande antisoviétique. Orwell, après lui avoir donné les noms de quelques personnes de sa connaissance lui paraissant aptes à être recrutées, propose à Celia Kirwan de lui communiquer, à titre privé, les noms d'autres personnes qu'il est, pour beaucoup de notoriété publique[45], et, en raison de leurs convictions politiques, inutile d'approcher. La fameuse liste, déclassifiée en 2003 (mais, curieusement, déjà mentionnée dans la biographie de Crick parue en 1980[46]) ne dit pas autre chose, et tout laisse à penser que la « collaboration » d'Orwell s'est réduite à cela. John Newsinger, dans sa « biographie politique » d'Orwell, a par ailleurs rappelé que George Orwell a à plusieurs reprises manifesté, à la fin des années 1940, son hostilité à toute tentative d'instaurer un « maccarthysme anglais[47]». Le détail de cette affaire se retrouve dans le pamphlet Orwell devant ses calomniateurs , publié par L'Encyclopédie des nuisances aux éditions Ivrea. De manière plus succincte, Simon Leys aborde la question dans la réédition de son essai Orwell ou l'horreur de la politique (2006). George Orwell et Aldous Huxley à Eton Le futur auteur du Meilleur des mondes enseigna brièvement le français à Eton (en remplacement d'un professeur titulaire parti à la guerre), où parmi ses élèves figurait le futur auteur de 1984 . Apparemment, Orwell appréciait Huxley, qui leur apprenait « des mots rares et étranges, de manière assez concertée », se souvient Steven Runciman (ami et condisciple d'Orwell à cette époque), qui ajoute qu'il était « un professeur d'une totale incompétence. Il n'arrivait pas à faire respecter la discipline et était tellement myope qu'il ne voyait pas ce qui se passait, si bien qu'il était constamment chahuté », ce qui énervait passablement Orwell « qui trouvait que c'était cruel ». Runciman conclut pourtant que les cours dispensés par Aldous Huxley ne furent pas inutiles aux jeunes gens : « Le goût des mots, de leur usage précis et signifiant nous resta. En cela, nous avons une grande dette envers lui[48]».

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À la rencontre du prolétariat

À la fin de l'automne 1934, Orwell termine dans la douleur la rédaction de son deuxième roman, Une fille de pasteur, dont il se montre peu satisfait : « C'était une bonne idée, explique-t-il à un de ses correspondants, mais je crains de l'avoir complètement gâchée[22]. » Là encore, la précision des références aux lieux et à des personnages réels fait craindre à Victor Gollancz que l'ouvrage ne soit poursuivi en diffamation. Il se décide toutefois à le publier, assorti de corrections mineures, au début de l'année 1935[23].

Entre temps, Orwell s'est installé à Londres, où il trouve un emploi à la librairie « Booklover's Corner », dans le quartier d'Hampstead, « qui était, et demeure, un quartier d'intellectuels (réels ou prétendus)[24] ». Il rencontre Eileen O'Shaugnessy, qu'il épouse en juin 1936. Orwell a auparavant publié un autre roman, « le dernier de ses livres consciemment "littéraires" », selon Bernard Crick[25], Et vive l'aspidistra ! Il se rend aussi dans le nord de l'Angleterre où, pour honorer une commande que lui a passée Victor Gollancz, il étudie les conditions de vie des mineurs des régions industrielles. Il tire de ce reportage un livre : Le Quai de Wigan, qui sera publié alors qu'Orwell est en Espagne. Très polémique dans sa seconde partie, dans laquelle l'auteur analyse les raisons de l'échec de la gauche à gagner les classes laborieuses à la cause socialiste[26], il paraît avec une mise au point hostile de Victor Gollancz qui, initiateur du projet, se désolidarise de son aboutissement.
Cette rencontre avec le prolétariat des régions minières marque surtout la « conversion[27] » d'Orwell à la cause socialiste. Celle-ci survient brutalement, comme une évidence, face au spectacle de l'injustice sociale et de la misère du prolétariat anglais[28].

 

Orwell en Espagne

Fin 1936, alors que fait rage la Guerre d'Espagne qui met aux prises les républicains avec la tentative de coup d'État militaire menée par le « Caudillo », Francisco Franco, Orwell et son épouse rejoignent, par l'intermédiaire de l'Independent Labour Party, qui leur a remis des lettres de recommandation[29], les milices du POUM[30], après un bref détour par Paris, où Orwell rend visite à Henry Miller, qui tente en vain de le dissuader de se rendre en Espagne.

Orwell, à son arrivée à Barcelone, est fasciné par l'atmosphère qu'il y trouve : lui qui l'année précédente se désolait de ne pouvoir rompre la barrière de classe qui sépare le bourgeois qu'il est de ces prolétaires qu'il était allé rencontrer[31], empêchant toute rencontre véritable entre les uns et les autres, découvre là une société dans laquelle cette barrière, à ce qu'il lui semble, est en train de s'effondrer. Les milices du POUM, notamment, dans lesquelles il est nommé instructeur (grâce à l'expérience acquise dans ce domaine lors de ses années birmanes), lui apparaissent comme étant « une sorte de microcosme de société sans classes[32] ».

Après avoir passé quelque temps sur le front d'Aragon, Orwell retourne à Barcelone, où il participe aux « troubles de mai » qui opposent les forces révolutionnaires au gouvernement catalan et au PSUC[33] et qui verront la victoire de ces derniers[34]. Il retourne au front où il est blessé à la gorge. Démobilisé, contraint de quitter clandestinement l'Espagne pour ne pas être arrêté (le POUM, dénoncé comme un « parti fasciste » par la propagande du PSUC, est déclaré illégal le 16 juin 1937), Orwell et son épouse gagnent la France, d'où ils rejoignent l'Angleterre.

Orwell, à son retour à Londres, est atterré par la manière dont les intellectuels de gauche (en particulier ceux qui appartiennent ou sont proches du Parti communiste) rendent compte de ce qui se passe en Espagne, et notamment par les calomnies répandues sur le compte du POUM, systématiquement accusé d'être soit une organisation fasciste, soit une organisation manipulée par les fascistes : c'est dans l'optique de rétablir la vérité quant aux évènements dont il a été témoin qu'il entreprend alors de rédiger son Hommage à la Catalogne qu'il fait paraître, avec quelques difficultés, en avril 1938. À partir de ce moment, écrira-t-il en 1946, « tout ce [qu'il] a écrit de sérieux [...] a été écrit, directement ou indirectement, et jusque dans la moindre ligne, contre le totalitarisme et pour le socialisme démocratique [35] ».

 

Le patriotisme révolutionnaire

Alors que la menace d'un nouveau conflit européen se fait de plus en plus précise, Orwell défend une position antiguerre et critique l'antifascisme des fronts populaires : cette guerre ne servirait, selon lui, qu'à renforcer les impérialismes européens, qui ont beau jeu de se présenter, face à la menace fasciste, comme des démocraties, alors qu'ils exploitent sans vergogne « six cents millions d'êtres humains privés de tous droits [36] »

Quelques mois plus tard, pourtant, il change radicalement sa position sur le sujet : alors que le Parti communiste (qui appelait auparavant à la lutte contre les dictatures fascistes) se découvre pacifiste à la suite du Pacte Germano-Soviétique, Orwell découvre que, dans le fond, il a toujours été un patriote[37].

Cathédrale Saint-Paul de Londres durant le Blitz, 29 décembre 1940

Contrariant le désir qu'il avait de s'engager dans l'armée, sa faible santé le fait réformer. Malgré celle-ci, il s'engage en 1940 dans la Home Guard (milice de volontaires organisée par l'État et créée dans le but de résister à l'invasion nazie dans le cas où les Allemands parviendraient à débarquer en Grande-Bretagne). Par ailleurs, en 1941, il est engagé comme producteur à la BBC, diffusant émissions culturelles et commentaires de guerre à destination des Indes[38].

Parallèlement à ces activités, Orwell envoie régulièrement des articles (« Les Lettres de Londres ») à la revue américaine d'inspiration trotskiste The Partisan Review.[39] En effet, le patriotisme dont il fait preuve depuis le début de la guerre ne lui a pas pour autant fait abandonner ses aspirations révolutionnaires. Bien au contraire, il estime que la victoire de la Grande-Bretagne sur les dictatures fascistes passera nécessairement par la révolution sociale en Angleterre, révolution dont il voit les signes avant-coureurs dans le mécontentement croissant des classes populaires face aux privations dues à l'état de guerre (qui ne frappent pas les couches supérieures de la société) et aux revers militaires de l'armée anglaise, revers causés selon lui par l'incurie des dirigeants militaires et politiques. De ce point de vue, la Home Guard lui apparaît comme étant ce peuple en armes qui renversera, au besoin par la force, le pouvoir en place avant de défaire les armées hitlériennes (il développe ces points de vue dans son essai intitulé Le Lion et la Licorne, qui parait en 1941 dans la collection Searchlight, dont il est le cofondateur).

En novembre 1943, Orwell démissionne de son poste à la B.B.C.[40]Il devient alors directeur des pages littéraires de l'hebdomadaire de la gauche travailliste The Tribune et entame la rédaction de La Ferme des animaux.

 

Les dernières années

Orwell achève l'écriture de La Ferme des animaux en février 1944. L'ouvrage ne paraît pourtant qu'un an plus tard, en août 1945. Entre-temps, le livre est refusé par quatre éditeurs[41] : la mise en cause radicale de l'URSS semble prématurée, à un moment où les hostilités contre l'Allemagne hitlérienne ne sont pas encore achevées.

En 1945 toujours, Orwell, qui a démissionné de son poste au Tribune, devient envoyé spécial de The Observer en France et en Allemagne , où il est chargé de commenter la vie politique. Il est à Cologne, en mars, lorsqu'il apprend que sa femme, atteinte d'un cancer, vient de mourir. Il rentre à Londres et entame la rédaction de ce qui va devenir son œuvre la plus célèbre : 1984.

En parallèle, à partir d'août 1945, il devient vice-président du « Freedom Defense Committee » (présidé par le poète anarchiste Herbert Read), qui s'est fixé pour tâche de « défendre les libertés fondamentales des individus et des organisations, et [de] venir en aide à ceux qui sont persécutés pour avoir exercé leurs droits à la liberté de s'exprimer, d'écrire et d'agir[42]. » Orwell soutient le comité jusqu'à sa dissolution en 1949.

En cette même année 1949, il publie 1984, qu'il a achevé à la fin de l'année précédente. Il épouse en secondes noces Sonia Brownell le 13 octobre, alors que, gravement malade de la tuberculose, il a été admis le mois précédent à l'University College Hospital de Londres, où il prend des notes en vue d'un futur roman.

Il meurt le 21 janvier 1950 des suites d'une tuberculose.

Tombe d'Eric Arthur Blair

Orwell est enterré dans le petit cimetière de l'église de Sutton Courtenay, près d'Abingdon dans l'Oxfordshire, bien que n'ayant aucun lien avec ce village. Il a pourtant laissé comme instructions : « Après ma mort, je ne veux pas être brûlé. Je veux simplement être enterré dans le cimetière le plus proche du lieu de mon décès. » Mais son décès ayant eu lieu au centre de Londres et aucun des cimetières londoniens n'ayant assez de place pour l'enterrer, sa veuve, Sonia Brownell, craignant que son corps ne soit incinéré, a demandé à tous ses amis de contacter le curé de leur village d'origine pour voir si leur église disposerait dans son cimetière d'une place pour l'y enterrer. C'est ainsi qu'il a été, par pur hasard, inhumé à Sutton Courtenay.

Sur sa tombe ces simples mots :

Eric Arthur Blairné le 25 juin 1903,mort le 21 janvier 1950

Sans aucune mention ni à ses œuvres, ni à son nom de plume : « George Orwell. » Après sa mort, sa veuve a fait publier une collection de ses articles, essais, correspondances ainsi que quelques nouvelles sous le titre de Collected Essays, Journalism, and Letters (1968).
The Complete Works of George Orwell (vingt volumes), première édition des œuvres complètes d'Orwell, a été achevée de publication en Angleterre en 1998.

 

Anecdotes

 

Orwell délateur ?

Le 11 juillet 1996, un article, publié dans le quotidien anglais The Guardian, explique que George Orwell, en 1949, a collaboré avec l'Information Research Department (une section du ministère des Affaires étrangères britannique liée aux services de renseignements)[43] par l'intermédiaire d'une fonctionnaire de celui-ci : Celia Kirwan. Orwell aurait livré à cet agent une liste de noms de journalistes et d'intellectuels « cryptocommunistes », « compagnons de routes » ou « sympathisants » de l'Union soviétique. La réalité de cette collaboration est prouvée par un document déclassifié la veille par le Public Record Office [44].

L'information est relayée en France principalement par les quotidiens Le Monde (12 et 13 juillet 1996) et Libération (15 juillet 1996). Le public français apprend à cette occasion que l'auteur de 1984 « dénonçait au Foreign Office les "cryptocommunistes" » (Le Monde, 13 juillet 1996). Dans son numéro d'octobre 1996, le magazine L'Histoire va plus loin encore, expliquant qu'Orwell aurait « spontanément participé à la chasse aux sorcières » organisée contre les intellectuels communistes par le Foreign Office.

En revanche, ces articles omettent de mentionner qu'Orwell est un ami personnel de Celia Kirwan (belle-sœur de l'écrivain Arthur Kœstler, elle a en 1945 repoussé la demande en mariage d'Orwell, veuf depuis quelques mois). Celle-ci, à l'occasion d'une visite à l'auteur de L'Hommage à la Catalogne, lui confie travailler alors pour un service gouvernemental chargé de recruter des écrivains et des intellectuels susceptibles de produire de la propagande antisoviétique. Orwell, après lui avoir donné les noms de quelques personnes de sa connaissance lui paraissant aptes à être recrutées, propose à Celia Kirwan de lui communiquer, à titre privé, les noms d'autres personnes qu'il est, pour beaucoup de notoriété publique[45], et, en raison de leurs convictions politiques, inutile d'approcher.

La fameuse liste, déclassifiée en 2003 (mais, curieusement, déjà mentionnée dans la biographie de Crick parue en 1980[46]) ne dit pas autre chose, et tout laisse à penser que la « collaboration » d'Orwell s'est réduite à cela. John Newsinger, dans sa « biographie politique » d'Orwell, a par ailleurs rappelé que George Orwell a à plusieurs reprises manifesté, à la fin des années 1940, son hostilité à toute tentative d'instaurer un « maccarthysme anglais[47]».

Le détail de cette affaire se retrouve dans le pamphlet Orwell devant ses calomniateurs, publié par L'Encyclopédie des nuisances aux éditions Ivrea. De manière plus succincte, Simon Leys aborde la question dans la réédition de son essai Orwell ou l'horreur de la politique (2006).

 

George Orwell et Aldous Huxley à Eton

Le futur auteur du Meilleur des mondes enseigna brièvement le français à Eton (en remplacement d'un professeur titulaire parti à la guerre), où parmi ses élèves figurait le futur auteur de 1984. Apparemment, Orwell appréciait Huxley, qui leur apprenait « des mots rares et étranges, de manière assez concertée », se souvient Steven Runciman (ami et condisciple d'Orwell à cette époque), qui ajoute qu'il était « un professeur d'une totale incompétence. Il n'arrivait pas à faire respecter la discipline et était tellement myope qu'il ne voyait pas ce qui se passait, si bien qu'il était constamment chahuté », ce qui énervait passablement Orwell « qui trouvait que c'était cruel ».

Runciman conclut pourtant que les cours dispensés par Aldous Huxley ne furent pas inutiles aux jeunes gens : « Le goût des mots, de leur usage précis et signifiant nous resta. En cela, nous avons une grande dette envers lui[48]».