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Conte de Charles Perrault. La Barbe bleue, Partie 2

La Barbe bleue revint de son voyage dès le soir même, et dit qu'il avait reçu des Lettres dans le chemin, qui lui avaient appris que l'affaire pour laquelle il était parti venait d'être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui témoigner qu'elle était ravie de son prompt retour. Le lendemain il lui redemanda les clefs, et elle les lui donna, mais d'une main si tremblante, qu'il devina sans peine tout ce qui s'était passé. - "D'où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n'est point avec les autres?" - "Il faut, dit-elle, que je l'aie laissée là-haut sur ma table." - "Ne manquez pas, dit la Barbe bleue, de me la donner tantôt." Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe bleue, l'ayant considérée, dit à sa femme: - "Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef?" - "Je n'en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort." - "Vous n'en savez rien, reprit la Barbe bleue, je le sais bien, moi; vous avez voulu entrer dans le cabinet! Hé bien, Madame, vous y entrerez, et irez prendre votre place auprès des Dames que vous y avez vues." Elle se jeta aux pieds de son Mari, en pleurant et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d'un vrai repentir de n'avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, belle et affligée comme elle était; mais la Barbe bleue avait le cœur plus dur qu'un rocher. - "Il faut mourir, Madame, lui dit-il, et tout à l'heure." - "Puisqu'il faut mourir, répondit-elle, en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu." - "Je vous donne un demi-quart d'heure, reprit la Barbe bleue, mais pas un moment davantage." Lorsqu'elle fut seule, elle appela sa sœur, et lui dit: - "Ma sœur Anne (car elle s'appelait ainsi), monte, je te prie, sur le haut de la Tour, pour voir si mes frères ne viennent point; ils m'ont promis qu'ils me viendraient voir aujourd'hui, et si tu les vois, fais-leur signe de se hâter." La sœur Anne monta sur le haut de la Tour, et la pauvre affligée lui criait de temps en temps: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?" Et la sœur Anne lui répondait: "Je ne vois rien que le Soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie." Cependant la Barbe bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme: "Descends vite, ou je monterai là-haut." - "Encore un moment, s'il vous plaît", lui répondait sa femme; et aussitôt elle criait tout bas: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?" Et la sœur Anne répondait: "Je ne vois rien que le Soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie." - "Descends donc vite, criait la Barbe bleue, ou je monterai là-haut." - "Je m'en vais" répondait sa femme, et puis elle criait: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? - "Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci." - "Sont-ce mes frères?" - "Hélas! Non, ma sœur, c'est un Troupeau de Moutons." - "Ne veux-tu pas descendre?" criait la Barbe bleue.

- "Encore un moment", répondait sa femme; et puis elle criait: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?" - "Je vois, répondit-elle, deux Cavaliers qui viennent de ce côté-ci, mais ils sont bien loin encore...Dieu soit loué, s'écria-t-elle un moment après, ce sont mes frères; je leur fais signe tant que je puis de se hâter." La Barbe bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds toute épleurée et toute échevelée.

- "Cela ne sert de rien, dit la Barbe bleue, il faut mourir." Puis la prenant d'une main par les cheveux, et de l'autre levant le coutelas en l'air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir.

- "Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu"; et levant son bras... Dans ce moment on heurta si fort à la porte, que la Barbe bleue s'arrêta tout court: on ouvrit, et aussitôt on vit entrer deux Cavaliers, qui mettant l'épée à la main, coururent droit à la Barbe bleue. Il reconnut que c'était les frères de sa femme, l'un Dragon et l'autre Mousquetaire, de sorte qu'il s'enfuit aussitôt pour se sauver; mais les deux frères le poursuivirent de si près, qu'ils l'attrapèrent avant qu'il pût gagner le perron. Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, et le laissèrent mort.

La pauvre femme était presque aussi morte que son Mari, et n'avait pas la force de se lever pour embrasser ses Frères. Il se trouva que la Barbe bleue n'avait point d'héritiers, et qu'ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur Anne avec un jeune Gentilhomme, dont elle était aimée depuis longtemps; une autre partie à acheter des Charges de Capitaine à ses deux frères; et le reste à se marier elle-même à un fort honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu'elle avait passé avec la Barbe bleue.

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La Barbe bleue revint de son voyage dès le soir même, et dit qu'il avait reçu des Lettres dans le chemin, qui lui avaient appris que l'affaire pour laquelle il était parti venait d'être terminée à son avantage.

Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui témoigner qu'elle était ravie de son prompt retour. Le lendemain il lui redemanda les clefs, et elle les lui donna, mais d'une main si tremblante, qu'il devina sans peine tout ce qui s'était passé.

- "D'où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n'est point avec les autres?"

- "Il faut, dit-elle, que je l'aie laissée là-haut sur ma table."

- "Ne manquez pas, dit la Barbe bleue, de me la donner tantôt."

Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe bleue, l'ayant considérée, dit à sa femme:

- "Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef?"

- "Je n'en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort."

- "Vous n'en savez rien, reprit la Barbe bleue, je le sais bien, moi; vous avez voulu entrer dans le cabinet! Hé bien, Madame, vous y entrerez, et irez prendre votre place auprès des Dames que vous y avez vues."

Elle se jeta aux pieds de son Mari, en pleurant et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d'un vrai repentir de n'avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, belle et affligée comme elle était; mais la Barbe bleue avait le cœur plus dur qu'un rocher.

- "Il faut mourir, Madame, lui dit-il, et tout à l'heure."

- "Puisqu'il faut mourir, répondit-elle, en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu."

- "Je vous donne un demi-quart d'heure, reprit la Barbe bleue, mais pas un moment davantage."

Lorsqu'elle fut seule, elle appela sa sœur, et lui dit:

- "Ma sœur Anne (car elle s'appelait ainsi), monte, je te prie, sur le haut de la Tour, pour voir si mes frères ne viennent point; ils m'ont promis qu'ils me viendraient voir aujourd'hui, et si tu les vois, fais-leur signe de se hâter."

La sœur Anne monta sur le haut de la Tour, et la pauvre affligée lui criait de temps en temps: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?"

Et la sœur Anne lui répondait: "Je ne vois rien que le Soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie."

Cependant la Barbe bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme: "Descends vite, ou je monterai là-haut."

- "Encore un moment, s'il vous plaît", lui répondait sa femme; et aussitôt elle criait tout bas: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?"

Et la sœur Anne répondait: "Je ne vois rien que le Soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie."

- "Descends donc vite, criait la Barbe bleue, ou je monterai là-haut."

- "Je m'en vais" répondait sa femme, et puis elle criait: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?

- "Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci."

- "Sont-ce mes frères?"

- "Hélas! Non, ma sœur, c'est un Troupeau de Moutons."

- "Ne veux-tu pas descendre?" criait la Barbe bleue.

- "Encore un moment", répondait sa femme; et puis elle criait: "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?"

- "Je vois, répondit-elle, deux Cavaliers qui viennent de ce côté-ci, mais ils sont bien loin encore...Dieu soit loué, s'écria-t-elle un moment après, ce sont mes frères; je leur fais signe tant que je puis de se hâter."

La Barbe bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds toute épleurée et toute échevelée.

- "Cela ne sert de rien, dit la Barbe bleue, il faut mourir."

Puis la prenant d'une main par les cheveux, et de l'autre levant le coutelas en l'air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir.

- "Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu"; et levant son bras...

Dans ce moment on heurta si fort à la porte, que la Barbe bleue s'arrêta tout court: on ouvrit, et aussitôt on vit entrer deux Cavaliers, qui mettant l'épée à la main, coururent droit à la Barbe bleue. Il reconnut que c'était les frères de sa femme, l'un Dragon et l'autre Mousquetaire, de sorte qu'il s'enfuit aussitôt pour se sauver; mais les deux frères le poursuivirent de si près, qu'ils l'attrapèrent avant qu'il pût gagner le perron. Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, et le laissèrent mort.

La pauvre femme était presque aussi morte que son Mari, et n'avait pas la force de se lever pour embrasser ses Frères. Il se trouva que la Barbe bleue n'avait point d'héritiers, et qu'ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur Anne avec un jeune Gentilhomme, dont elle était aimée depuis longtemps; une autre partie à acheter des Charges de Capitaine à ses deux frères; et le reste à se marier elle-même à un fort honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu'elle avait passé avec la Barbe bleue.