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Le pays des fourrures (Jules Verne), Un savant dégelé

Le sergent Long, arrivé dans l'étroit couloir sur lequel s'ouvrait la porte extérieure du fort, entendit les cris redoubler. On heurtait violemment à la poterne qui donnait accès dans la cour, protégée par de hautes murailles de bois. Le sergent poussa la porte. Un pied de neige couvrait le sol. Le sergent, s'enfonçantjusqu'aux genoux dans cette masse blanche, aveuglé par la rafale, piqué jusqu'au sang par ce froid terrible, traversa la cour enbiais et se dirigea vers la poterne. «Qui diable peut venir par un temps pareil! se disait le sergent Long, en ôtant méthodiquement, on pourrait dire «disciplinairement», les lourds barreaux de la porte. Il n'y a que des Esquimaux qui osent se risquer par un tel froid! -- Mais ouvrez donc, ouvrez donc! criait-on du dehors.

-- On ouvre,» répondit le sergent Long, qui semblait véritablement ouvrir en douze temps.

Enfin les battants de la porte se rabattirent intérieurement, et le sergent fut à demi renversé dans la neige par un traîneau attelé de six chiens qui passa comme un éclair. Un peu plus, le digne Long était écrasé. Mais se relevant, sans même proférer un murmure, il ferma la poterne et revint vers la maison principale, au pas ordinaire, c'est-à-dire en faisant soixante-quinze enjambées à la minute. Mais déjà le capitaine Craventy, le lieutenant Jasper Hobson, le caporal Joliffe étaient là, bravant la température excessive et regardant le traîneau, blanc de neige, qui venait de s'arrêter devant eux. Un homme, doublé et encapuchonné de fourrures, en était aussitôt descendu.

«Le Fort-Reliance? demanda cet homme.

-- C'est ici, répondit le capitaine. -- Le capitaine Craventy?

-- C'est moi. Qui êtes-vous?

-- Un courrier de la Compagnie.

-- Êtes-vous seul?

-- Non! j'amène un voyageur! -- Un voyageur! Et que vient-il faire?

-- Il vient voir la lune.» À cette réponse, le capitaine Craventyse demanda s'il avait affaire à un fou, et, dans de telles circonstances, on pouvait le penser. Mais il n'eut pas le temps de formuler son opinion. Le courrier avait retiré du traîneau une masse inerte, une sorte de sac couvert de neige, et il se disposait à l'introduire dans la maison, quand le capitaine lui demanda: «Quel est ce sac? -- C'est mon voyageur! répondit le courrier.

-- Quel est ce voyageur?

-- L'astronome Thomas Black. -- Mais il est gelé!

-- Eh bien, on le dégèlera.» Thomas Black, transporté par lesergent, le caporal et le courrier, fit son entrée dans la maison du fort. On le déposa dans une chambre du premier étage, dont la température était fort supportable, grâce à la présence d'un poêle porté au rouge vif. On l'étendit sur un lit, et le capitaine lui prit la main. Cette main était littéralement gelée. On développa les couvertures et les manteaux fourrés qui couvraient Thomas Black, ficelé comme un paquet, et sous cette enveloppe on découvrit un homme âgé de cinquante ans environ, gros, court, les cheveux grisonnants, la barbe inculte, les yeux clos, la bouche pincée comme si ses lèvres eussent été collées par une gomme. Cet homme ne respirait plus ou si peu, que son souffle eût à peine terni une glace. Joliffe le déshabillait, le tournait, le retournait avec prestesse, tout en disant: «Allons donc! allons donc! monsieur! Est-ce que vous n'allez pas revenir à vous?» Ce personnage, arrivé dans ces circonstances, semblait n'être plusqu'un cadavre. Pour rappeler en lui la chaleur disparue, le caporal Joliffe n'entrevoyait qu'un moyen héroïque, et ce moyen, c'était de plonger le patient dans le punch brûlant. Très heureusement sans doute pour Thomas Black, le lieutenant Jasper Hobson eut une autre idée.

«De la neige! demanda-t-il.

Sergent Long, plusieurs poignées de neige!» Cette substance ne manquait pas dans la cour du Fort-Reliance. Pendant que le sergent allait chercher la neige demandée, Joliffe déshabilla l'astronome. Le corps du malheureux était couvert de plaques blanchâtres qui indiquaient une violente pénétration dufroid dans les chairs. Il y avait urgence extrême à rappeler le sang aux parties attaquées. C'était le résultat que Jasper Hobson espérait obtenir au moyen de vigoureuses frictions de neige. On sait que c'est le remède généralement employé dans les contrées polaires pour rétablir la circulation qu'un froid terrible a arrêtée, comme il arrête le courant des rivières. Le sergent Long étant revenu, Joliffe et lui frictionnèrent le nouveau venu comme il ne l'avait jamais été probablement. Ce n'était point une linition douce, une fomentation onctueuse, mais un massage vigoureux, pratiqué à bras raccourcis, et qui rappelait plutôt les éraillures de l'étrille que les caresses de la main. Et pendant cette opération, le loquace caporal interpellait toujours le voyageur, qui ne pouvait l'entendre. «Allons donc! monsieur, allons donc! Quelle idée vous a donc pris de vous laisser refroidir ainsi? Voyons! n'y mettez pas tant d'obstination!» Il est probable que Thomas Black s'obstinait, car une demi-heure se passa sans qu'il consentît à donner signe de vie. On désespérait même de le ranimer, et les masseurs allaient suspendre leur fatigant exercice, quand le pauvre homme fit entendre quelques soupirs.

«Il vit! il revient!» s'écria Jasper Hobson. Après avoir réchauffé par les frictions l'extérieur du corps, il ne fallait point oublier l'intérieur. Aussi le caporal Joliffe se hâta-t-il d'apporter quelques verres de punch. Le voyageur sesentit véritablement soulagé; les couleurs revinrent à ses joues, le regard à ses yeux, la parole à ses lèvres, et le capitaine put espérer enfin que Thomas Black allait lui apprendre pourquoi il arrivait en ce lieu et dans un état si déplorable.

Thomas Black, bien enveloppé de couvertures, se souleva à demi, s'appuya sur son coude, et d'une voix encore affaiblie: «Le Fort-Reliance? demanda-t-il.

-- C'est ici, répondit le capitaine. -- Le capitaine Craventy?

-- C'est moi, et j'ajouterai, monsieur, soyez le bienvenu. Mais pourrai-je vous demander pourquoi vous venez au Fort-Reliance?

-- Pour voir la lune!» répondit le courrier, qui tenait sans doute à cette réponse, car il la faisait pour la seconde fois. D'ailleurs, elle parut satisfaire Thomas Black, qui fit un signe de tête affirmatif. Puis, reprenant: «Le lieutenant Hobson?demanda-t-il.

-- Me voici, répondit le lieutenant.

-- Vous n'êtes pas encore parti? -- Pas encore, monsieur.

-- Eh bien, monsieur, reprit Thomas Black, il ne me reste plusqu'à vous remercier et à dormir jusqu'à demain matin!»

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Le sergent Long, arrivé dans l'étroit couloir sur lequel s'ouvrait la porte extérieure du fort, entendit les cris redoubler. On heurtait violemment à la poterne qui donnait accès dans la cour, protégée par de hautes murailles de bois. Le sergent poussa la porte. Un pied de neige couvrait le sol. Le sergent, s'enfonçantjusqu'aux genoux dans cette masse blanche, aveuglé par la rafale, piqué jusqu'au sang par ce froid terrible, traversa la cour enbiais et se dirigea vers la poterne. 

«Qui diable peut venir par un temps pareil! se disait le sergent Long, en ôtant méthodiquement, on pourrait dire «disciplinairement», les lourds barreaux de la porte. Il n'y a que des Esquimaux qui osent se risquer par un tel froid! 

-- Mais ouvrez donc, ouvrez donc! criait-on du dehors. 

-- On ouvre,» répondit le sergent Long, qui semblait véritablement ouvrir en douze temps. 

Enfin les battants de la porte se rabattirent intérieurement, et le sergent fut à demi renversé dans la neige par un traîneau attelé de six chiens qui passa comme un éclair. Un peu plus, le digne Long était écrasé. Mais se relevant, sans même proférer un murmure, il ferma la poterne et revint vers la maison principale, au pas ordinaire, c'est-à-dire en faisant soixante-quinze enjambées à la minute. 

Mais déjà le capitaine Craventy, le lieutenant Jasper Hobson, le caporal Joliffe étaient là, bravant la température excessive et regardant le traîneau, blanc de neige, qui venait de s'arrêter devant eux. 

Un homme, doublé et encapuchonné de fourrures, en était aussitôt descendu. 

«Le Fort-Reliance? demanda cet homme. 

-- C'est ici, répondit le capitaine. 

-- Le capitaine Craventy? 

-- C'est moi. Qui êtes-vous? 

-- Un courrier de la Compagnie. 

-- Êtes-vous seul? 

-- Non! j'amène un voyageur! 

-- Un voyageur! Et que vient-il faire? 

-- Il vient voir la lune.» À cette réponse, le capitaine Craventyse demanda s'il avait affaire à un fou, et, dans de telles circonstances, on pouvait le penser. Mais il n'eut pas le temps de formuler son opinion. Le courrier avait retiré du traîneau une masse inerte, une sorte de sac couvert de neige, et il se disposait à l'introduire dans la maison, quand le capitaine lui demanda: «Quel est ce sac? 

-- C'est mon voyageur! répondit le courrier. 

-- Quel est ce voyageur? 

-- L'astronome Thomas Black. 

-- Mais il est gelé! 

-- Eh bien, on le dégèlera.» Thomas Black, transporté par lesergent, le caporal et le courrier, fit son entrée dans la maison du fort. On le déposa dans une chambre du premier étage, dont la température était fort supportable, grâce à la présence d'un poêle porté au rouge vif. On l'étendit sur un lit, et le capitaine lui prit la main. 

Cette main était littéralement gelée. On développa les couvertures et les manteaux fourrés qui couvraient Thomas Black, ficelé comme un paquet, et sous cette enveloppe on découvrit un homme âgé de cinquante ans environ, gros, court, les cheveux grisonnants, la barbe inculte, les yeux clos, la bouche pincée comme si ses lèvres eussent été collées par une gomme. Cet homme ne respirait plus ou si peu, que son souffle eût à peine terni une glace. Joliffe le déshabillait, le tournait, le retournait avec prestesse, tout en disant: 

«Allons donc! allons donc! monsieur! Est-ce que vous n'allez pas revenir à vous?» Ce personnage, arrivé dans ces circonstances, semblait n'être plusqu'un cadavre. Pour rappeler en lui la chaleur disparue, le caporal Joliffe n'entrevoyait qu'un moyen héroïque, et ce moyen, c'était de plonger le patient dans le punch brûlant. 

Très heureusement sans doute pour Thomas Black, le lieutenant Jasper Hobson eut une autre idée. 

«De la neige! demanda-t-il. Sergent Long, plusieurs poignées de neige!» 

Cette substance ne manquait pas dans la cour du Fort-Reliance. Pendant que le sergent allait chercher la neige demandée, Joliffe déshabilla l'astronome. Le corps du malheureux était couvert de plaques blanchâtres qui indiquaient une violente pénétration dufroid dans les chairs. Il y avait urgence extrême à rappeler le sang aux parties attaquées. C'était le résultat que Jasper Hobson espérait obtenir au moyen de vigoureuses frictions de neige. On sait que c'est le remède généralement employé dans les contrées polaires pour rétablir la circulation qu'un froid terrible a arrêtée, comme il arrête le courant des rivières. 

Le sergent Long étant revenu, Joliffe et lui frictionnèrent le nouveau venu comme il ne l'avait jamais été probablement. Ce n'était point une linition douce, une fomentation onctueuse, mais un massage vigoureux, pratiqué à bras raccourcis, et qui rappelait plutôt les éraillures de l'étrille que les caresses de la main. 

Et pendant cette opération, le loquace caporal interpellait toujours le voyageur, qui ne pouvait l'entendre. 

«Allons donc! monsieur, allons donc! Quelle idée vous a donc pris de vous laisser refroidir ainsi? Voyons! n'y mettez pas tant d'obstination!» 

Il est probable que Thomas Black s'obstinait, car une demi-heure se passa sans qu'il consentît à donner signe de vie. On désespérait même de le ranimer, et les masseurs allaient suspendre leur fatigant exercice, quand le pauvre homme fit entendre quelques soupirs. 

«Il vit! il revient!» s'écria Jasper Hobson. 

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Thomas Black, bien enveloppé de couvertures, se souleva à demi, s'appuya sur son coude, et d'une voix encore affaiblie: 

«Le Fort-Reliance? demanda-t-il. 

-- C'est ici, répondit le capitaine. 

-- Le capitaine Craventy? 

-- C'est moi, et j'ajouterai, monsieur, soyez le bienvenu. Mais pourrai-je vous demander pourquoi vous venez au Fort-Reliance? 

-- Pour voir la lune!» répondit le courrier, qui tenait sans doute à cette réponse, car il la faisait pour la seconde fois. D'ailleurs, elle parut satisfaire Thomas Black, qui fit un signe de tête affirmatif. Puis, reprenant: «Le lieutenant Hobson?demanda-t-il. 

-- Me voici, répondit le lieutenant. 

-- Vous n'êtes pas encore parti? 

-- Pas encore, monsieur. 

-- Eh bien, monsieur, reprit Thomas Black, il ne me reste plusqu'à vous remercier et à dormir jusqu'à demain matin!»