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Carnet de voyages, Carnet de voyage - 54

Dimanche 19 novembre La chance semble avoir tourné. Le temps est presque beau et à l'heure dite, chacun est à son poste. L'OP peut reprendre. Mon remplaçant Basile, et moi-même sollicitons l'hélico pour monter au relais radio. Nous devons impérativement changer les quatre batteries qui l'alimentent – chacune pèse 14 kilos. L'antenne doit être remplacée elle aussi. Si l'on ajoute l'outillage nécessaire à la réparation plus quelques tenues de rechange, nous sommes trop lourdement chargés pour envisager d'y aller à pied. Dans une dizaine de minutes, l'hélico stoppera son va et vient pour nous transporter avec tout notre barda jusqu'au relais. L'hélicoptère atterri enfin, ses patins effleurant à peine le sol. En quelques secondes, les batteries, l'antenne, les outils et nos sacs à dos sont embarqués. Le pilote pousse alors les gaz et l'hélicoptère s'élève lentement. Nous ressentons toute la puissance du rotor qui fait vibrer la cabine jusqu'au moindre de ses boulons dans un bruit assourdissant. Alors que nous prenons de l'altitude, l'île nous dévoile ces majestueux paysages. Quantité de torrents dévalent les pentes abruptes jusque vers la côte pour se jeter en cascades vertigineuses dans l'océan. Un patchwork de couleurs allant du brun à tous les tons de vert s'étire du sommet des volcans éteints jusqu'aux rivages. De loin, les milliers de manchots qui s'agglutinent sur la plage de la Baie du Marin ressemblent à s'y méprendre à des êtres humains. J'observe Basile qui, la tête appuyée contre le cockpit, ne perd pas une miette de ce spectacle unique. Il est totalement fasciné par le fantastique paysage. Moi-même, bien que survolant pour la troisième fois l'île, je suis subjugué par son côté grandiose. Elle semblait si sinistre et si inhospitalière la première fois qu'on la découverte du bateau ! Mais maintenant que je la connais bien, je ne vois que son authentique beauté sauvage qui vous coupe le souffle.

J'hésite à rappeler Basile à la vie réelle. J'ai moi aussi rêvé tout éveillé il y a quelques mois, et je sais à quel point on se sent déçu quand on redescend sur terre. Malheureusement, nous devons nous préparer à sauter de l'hélico dès qu'il aura atterri. Alors que nous approchons du sommet, l'hélico est secoué de droite et de gauche par un vent violent. La première tentative de poser est un échec. Le pilote décide de tenter l'atterrissage vent arrière. L'hélico est incontrôlable. Second échec.

Le pilote décide alors de nous déposer une centaine de mètres en contrebas.

Cent mètre plus bas ! Cela signifie que nous aurons plus de cinq cents mètres d'ascension très difficile à effectuer pour arriver au sommet ! Le sol est ici fait de roches volcaniques et de basalte qui se dérobent sous chacun de vos pas. Sur ce genre de terrain, vous faites deux pas en avant et reculez d'un ! C'est épuisant, physiquement et moralement. En plus, nous serons chargés d'un écrasant fardeau. Je me sens capable de le faire. Cela fait maintenant treize mois que je suis ici et j'ai l'habitude de marcher pendant des heures. Je suis habitué à lutter contre le vent, la pluie et le froid. Basile lui, vivait encore il y a quelques jours dans le confort de la vie civilisée et il n'est pas encore dans une grande forme physique. Le pilote profite alors du vent beaucoup plus calme ici pour nous déposer au pied du « 600 ». Nous déchargeons rapidement tout notre équipement, les batteries et enfin l'antenne. Nous suivons des yeux l'hélicoptère qui, aussitôt après avoir redécollé dans un tourbillon de poussière, prend de l'altitude pour disparaître enfin derrière les monts environnants. Nous nous lançons alors pour la première ascension sur un chemin en pente douce et protégé du vent. Cependant, les choses changent alors que nous atteignons la corniche. Le vent se renforce à mesure que nous gagnons de l'altitude. Nous avons du mal à garder notre équilibre. Le poids de la charge dans le dos ralenti notre progression. Comme je le pensais, basile doit nettement réduire son allure, mais il ne se débrouille pas si mal, se penchant naturellement contre le vent pour maintenir son équilibre. La nature du sol changeant, il devient de plus en plus dur de marcher. Au deux tiers de la pente, la roche volcanique fait place aux scories. Chaque pas nécessite maintenant un effort soutenu. Les sangles de la claie de portage cisaillent mes épaules. Je jette un coup d'œil en direction du relais. Il est encore si loin et si haut ! Le vent devient encore plus violent à mesure que j'approche du sommet. Tout en haut, il doit y avoir des bourrasques terribles. Quand j'arriverai au relais, je m'abriterai derrière lui pour me protéger de ce vent furieux. Mais pour l'instant je dois me plier en deux pour garder mon équilibre et poursuivre l'ascension. J'avale finalement les derniers mètres et trouve un abri salvateur derrière le relais. Il a la forme d'une tente. Chaque pan est un panneau solaire qui transforme l'énergie solaire en électricité qui alimente des batteries. Pas étonnant que l'antenne soit brisée, comment pourrait-elle résister à des vents si violents ! J'abandonne mon abri pour voir où en est Basile. Il est à mi-chemin. Je le vois lutter pour garder son équilibre. Je ne peux rien faire pour l'aider. Il faut que je me dépêche de redescendre pour aller chercher une deuxième batterie. Le meilleur moyen d'arriver en bas rapidement, c'est de foncer droit dans la pente. Je n'hésite donc pas et me lance en avant. En quelques minutes, je suis de retour à la zone d'atterrissage. J'arrime une nouvelle batterie sur la claie et me lance dans une nouvelle ascension. Je vois maintenant Basile aux deux tiers de la pente. Je décide de ne pas me reposer avant que je ne l'aie rejoint. La charge me semble encore plus lourde, la rampe plus pentue et le vent plus violent. Si je ne ralenti pas mon allure, je devrais le rattraper avant qu'il n'atteigne le sommet. En effet j'arrive à sa hauteur alors qu'il est encore à une dizaine de mètres du but. Finalement arrivés au sommet, nous ne pouvons nous permettre de nous reposer trop longtemps, il faut se remettre en route tout de suite et nous dévalons la pente.

Nous sommes en bas en seulement quelques minutes. Au premier regard, je comprends qu'il nous faudra encore plus d'un voyage pour transporter la batterie restante, l'outillage et nos sacs à dos au sommet. Mais je ne me sens pas le courage d'effectuer encore deux fois le trajet. Je décide de partager la charge pour transporter tout en un seul voyage. Je prends la dernière batterie, les outils et mon sac à dos, et Basile se charge de l'antenne et de son sac. Par chance, le vent est en train de se calmer. L'ascension est moins pénible bien que je ploie sous la charge. Basile s'arrête pratiquement tous les dix mètres pour reprendre son souffle. J'ai l'impression qu'il est sur le point d'abandonner. J'espère qu'il trouvera assez de force tout au fond de lui et qu'il ne renoncera pas. Mon sac est si lourd ! Les sangles entaillent mes épaules même au travers de mon anorak. C'est comme si quelqu'un me tirait en arrière. Le vent ne faibli pas vraiment. Rester debout est de plus en plus difficile. Je trébuche à chaque pas. Les forces commencent à me manquer. Je redresse la tête et observe le sommet. Il semble à portée de main mais reste encore inaccessible.

Je dois chercher au plus profond de moi la volonté de couvrir les derniers mètres. Je n'ai pas d'autre choix que d'aller jusqu'au bout. Dans un ultime effort, je me hisse au sommet et rampe jusqu'au relais où je peux enfin récupérer un peu à l'abri du vent. Il faut que je retrouve très vite un peu de force pour aider Basile. Il doit toujours être en train de lutter contre le froid et le vent. Il doit lutter de toutes ses forces contre l'envie d'abandonner. Je l'aperçois juste quelques mètres plus bas. Il me donne l'impression de pouvoir s'en sortir seul. Il faut que je répare le relais tout seul. Je peux commencer à changer les batteries et je verrai plus tard pour l'antenne quand Basile sera là. Maintenant, le challenge c'est de dévisser les vis qui maintiennent les panneaux solaires sur la structure. Bien que je sois protégé du vent, je suis littéralement gelé. La température est inférieure à zéro degré. Il est aussi difficile d'utiliser un tournevis en portant des moufles que de pianoter sur le clavier d'un téléphone avec des gants de boxe ! Soit je garde mes gants et je perds mon temps, soit je les enlève et mes doigts gèlent en moins de deux minutes. Bon, le mieux, c'est d'attendre que Basile soit là pour travailler à tour de rôle. Si seulement le vent voulait bien se calmer ! Malheureusement, cette île est constamment balayée par les vents d'ouest et les fréquentes dépressions apportent invariablement un temps froid, humide et venteux. Je me demande bien pourquoi le relais est accroché sue ce sommet balayé par les vents. Je réfléchirai sur ce sujet une autre fois car Basile arrive enfin et dans un dernier effort se laisse littéralement tomber à côté de moi.

C'est alors que le vent tombe aussi soudainement qu'il s'était levé. Notre travail s'en trouve bien sûr grandement facilité. En une heure, les batteries et l'antenne sont remontées, et le relais est réparé. Nous profitons un moment du paysage avant de rappeler l'hélico qui doit nous récupérer au même endroit. Il sera dit que cette OP était mal engagée et qu'elle le sera jusqu'au bout. En effet, l'hélico, probablement trop sollicité est en panne et nous n'avons pas d'autre choix que de rentrer à pied. Il est trop tard pour rentrer à la base. Nous passerons la nuit dans le chalet qui se trouve sur la plage de la Baie Américaine tout au bout de la vallée des Branloires. Après une longue mais facile descente, nous atteignons la vallée, royaume des marécages. Ce n'est jamais vraiment agréable de se trouver piégé dans ces zones boueuses, et marcher sur ce genre de sol n'est vraiment pas facile. Bientôt nous rencontrons une végétation de toundra, faite d'herbe, d'arbustes, de mousse et de lichen. Après le sol caillouteux de la montagne, déambuler sur ce souple tapis de végétation est vraiment relaxant.

A l'abri du vent au fond de cette vallée, nous sentons la douce chaleur du soleil nous réchauffer les épaules. Nous longeons la rive de la rivière Moby Dick. En hiver, seul un mince filet d'eau serpente tranquillement au fond de son lit, mais au printemps, à la fonte des neiges, un impétueux torrent dévale les pentes jusqu'au bout de la vallée, arrachant des pans entiers de terre de ses rives. A la fin du printemps, la rivière encore gonflée, coule plus paisiblement. Des éléphants de mer nagent nonchalamment en descendant son cours jusqu'à la plage à l'embouchure de la rivière. Là, les femelles mettent bas un unique bébé surnommé « bonbon », probablement parce qu'ils sont une espèce de friandise pour les orques qui patrouillent habituellement le long des rivages de l'île chaque année à la même époque. A mesure que nous approchons de la mer, nous discernons plus précisément le chant guttural des manchots rassemblés sur le rivage.

Le sable a remplacé l'herbe et les mousses. On peut suivre très facilement la trace des éléphants de mer qui ont rampé dans le sable gris. Les mères sont à la recherche de la meilleure place pour mettre bas leur petit. Les femelles se rassemblent en harem autour d'un male dominant qui peut peser jusqu'à deux tonnes. De temps en temps, de furieux combats éclatent entre deux males. Le vainqueur dominera le harem. Au cours de ces combats, les males se soucient peu des petits, et un grand nombre de ces derniers sont écrasés par ces mastodontes. La plage est couverte des restes de manchots et de bébés d'éléphants de mer qui sont rapidement dévorés par les nombreuses espèces nécrophages. Seuls restent quelques ossements qui seront définitivement éparpillé par les vents violents.

Nous marchons silencieusement. Nous n'éprouvons pas le besoin de parler. Nous avons simplement envie de nous fondre parmi toutes ces espèces sauvages qui vivent et meurent ici depuis des millénaires. Notre chalet dénature un peu le côté sauvage de l'endroit, même s'il est minuscule et rudimentaire. Il n'y a ni eau courante, ni électricité. Un minuscule panneau solaire fourni suffisamment d'énergie pour alimenter un émetteur radio, seul lien avec la base et la civilisation. Un chauffage au gaz, aussitôt allumé, distille une douce chaleur dans le chalet. Nous cuisinons des boites de conserve sur une antique gazinière coincée entre deux lits superposés, une table et deux bancs. L'endroit est si exigu qu'il n'y a pas de place pour le surplus. Malgré ces conditions de vie spartiates, nous nous sentons en paix dans notre demeure. Ce soir, une faible lueur vacille dans la pénombre, seule preuve d'une présence humaine. Demain il y a encore du chemin à faire pour rentrer sur la base.

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Dimanche 19 novembre

 

La chance semble avoir tourné. Le temps est presque beau et à l'heure dite, chacun est à son poste. L'OP peut reprendre.

Mon remplaçant Basile, et moi-même sollicitons l'hélico pour monter au relais radio. Nous devons impérativement changer les quatre batteries qui l'alimentent – chacune pèse 14 kilos.

L'antenne doit être remplacée elle aussi. Si l'on ajoute l'outillage nécessaire à la réparation plus quelques tenues de rechange, nous sommes trop lourdement chargés pour envisager d'y aller à pied.

Dans une dizaine de minutes, l'hélico stoppera son va et vient pour nous transporter avec tout notre barda jusqu'au relais.

L'hélicoptère atterri enfin, ses patins effleurant à peine le sol. En quelques secondes, les batteries, l'antenne, les outils et nos sacs à dos sont embarqués. Le pilote pousse alors les gaz et l'hélicoptère s'élève lentement. Nous ressentons toute la puissance du rotor qui fait vibrer la cabine  jusqu'au  moindre de ses boulons dans un bruit assourdissant. Alors que nous prenons de l'altitude, l'île nous dévoile ces majestueux paysages.

Quantité de torrents dévalent les pentes abruptes jusque vers la côte pour se jeter en cascades vertigineuses dans l'océan. Un patchwork de couleurs allant du brun à tous les tons de vert s'étire du sommet des volcans éteints jusqu'aux rivages. De loin, les milliers de manchots qui s'agglutinent sur la plage de la Baie du Marin ressemblent à s'y méprendre à des êtres humains.

J'observe Basile qui, la tête appuyée contre le cockpit, ne perd pas une miette de ce spectacle unique. Il est totalement fasciné par le fantastique paysage. Moi-même, bien que survolant pour la troisième fois l'île, je suis subjugué par son côté grandiose. Elle semblait si sinistre et si inhospitalière la première fois qu'on la découverte du bateau ! Mais maintenant que je la connais bien, je ne vois que son authentique beauté sauvage qui vous coupe le souffle.

J'hésite à rappeler Basile à la vie réelle. J'ai moi aussi rêvé tout éveillé il y a quelques mois, et je sais à quel point on se sent déçu quand on redescend sur terre. Malheureusement, nous devons  nous préparer à sauter de l'hélico dès qu'il aura atterri. Alors que nous approchons du  sommet, l'hélico est secoué de droite et de gauche par un vent violent. La première tentative de poser est un échec. Le pilote décide de tenter l'atterrissage vent arrière. L'hélico est incontrôlable. Second échec.

Le pilote décide alors de nous déposer une centaine de mètres en contrebas.

Cent mètre plus bas ! Cela signifie que nous aurons plus de cinq cents mètres d'ascension très difficile à effectuer pour arriver au sommet ! Le sol est ici fait de roches volcaniques et de basalte qui se dérobent sous chacun de vos pas. Sur ce genre de terrain, vous faites deux pas en avant et reculez d'un ! C'est épuisant, physiquement et moralement. En plus, nous serons chargés d'un écrasant fardeau. Je me sens capable de le faire. Cela fait maintenant treize mois que je suis ici et j'ai l'habitude de marcher pendant des heures. Je suis habitué à lutter contre le vent, la pluie et le froid. Basile lui, vivait encore il y a quelques jours dans le confort de la vie civilisée et il n'est pas encore dans une grande forme physique.

Le pilote profite alors du vent beaucoup plus calme ici pour nous déposer au pied du « 600 ». Nous déchargeons rapidement tout notre équipement, les batteries et enfin l'antenne. Nous suivons des yeux l'hélicoptère qui, aussitôt après avoir redécollé dans un tourbillon de poussière, prend de l'altitude pour disparaître enfin derrière les monts environnants.

Nous nous lançons alors pour la première ascension sur un chemin en pente douce et protégé du vent. Cependant, les choses changent alors que nous atteignons la corniche. Le vent se renforce à mesure que nous gagnons de l'altitude. Nous avons du mal à garder notre équilibre. Le poids de la charge dans le dos ralenti notre progression. Comme je le pensais, basile doit nettement réduire son allure, mais il ne se débrouille pas si mal, se penchant naturellement contre le vent pour maintenir son équilibre. La nature du sol changeant, il devient de plus en plus dur de marcher. Au deux tiers de la pente, la roche volcanique fait place aux scories. Chaque pas nécessite maintenant un effort soutenu. Les sangles de la claie de portage cisaillent mes épaules. Je jette un coup d'œil en direction du relais. Il est encore si loin et si haut ! Le vent devient encore plus violent à mesure que j'approche du sommet. Tout en haut, il doit y avoir des bourrasques terribles. Quand j'arriverai au relais, je m'abriterai derrière lui pour me protéger de ce vent furieux. Mais pour l'instant je dois me plier en deux pour garder mon équilibre et poursuivre l'ascension.

J'avale finalement les derniers mètres et trouve un abri salvateur derrière le relais. Il a la forme d'une tente. Chaque pan est un panneau solaire qui transforme l'énergie solaire en électricité qui alimente des batteries.

Pas étonnant que l'antenne soit brisée, comment pourrait-elle résister à des vents si violents !

J'abandonne  mon abri pour voir où en est Basile. Il est à mi-chemin. Je le vois lutter pour garder son équilibre. Je ne peux rien faire pour l'aider. Il faut que je me dépêche de redescendre pour aller chercher une deuxième batterie. Le meilleur moyen d'arriver en bas rapidement, c'est de foncer droit dans la pente. Je n'hésite donc pas et me lance en avant. En quelques minutes, je suis de retour à la zone d'atterrissage. J'arrime une nouvelle batterie sur la claie et me lance dans une nouvelle ascension. Je vois maintenant Basile aux deux tiers de la pente. Je décide de ne pas me reposer avant que je ne l'aie rejoint. La charge me semble encore plus lourde, la rampe plus pentue et le vent plus violent. Si je ne ralenti pas mon allure, je devrais le rattraper avant qu'il n'atteigne le sommet. En effet j'arrive à sa hauteur alors qu'il est encore à une dizaine de mètres du but.

Finalement arrivés au sommet, nous ne pouvons nous permettre de nous reposer trop longtemps, il faut se remettre en route tout de suite et nous dévalons la pente.

Nous sommes en bas en seulement quelques minutes. Au premier regard, je comprends qu'il nous faudra encore plus d'un voyage pour transporter la batterie restante, l'outillage et nos sacs à dos au sommet. Mais je ne me sens pas le courage d'effectuer encore deux fois le trajet.

Je décide de partager la charge pour transporter tout en un seul voyage. Je prends la dernière batterie, les outils et mon sac à dos, et Basile se charge de l'antenne et de son sac.

Par chance, le vent est en train de se calmer. L'ascension est moins pénible bien que je ploie sous la charge. Basile s'arrête pratiquement tous les dix mètres pour reprendre son souffle. J'ai l'impression qu'il est sur le point d'abandonner. J'espère qu'il trouvera assez de force tout au fond de lui et qu'il ne renoncera pas.

Mon sac est si lourd ! Les sangles entaillent mes épaules même au travers de mon anorak. C'est comme si quelqu'un me tirait en arrière. Le vent ne faibli pas vraiment. Rester debout est de plus en plus difficile. Je trébuche à chaque pas. Les forces commencent à me manquer. Je redresse la tête et observe le sommet. Il semble à portée de main mais reste encore inaccessible.

Je dois chercher au plus profond de moi la volonté de couvrir les derniers mètres. Je n'ai pas d'autre choix que d'aller jusqu'au bout. Dans un ultime effort, je me hisse au sommet et rampe jusqu'au relais où je peux enfin récupérer un peu à l'abri du vent. Il faut que je retrouve très vite un peu de force pour aider Basile. Il doit toujours être en train de lutter contre le froid et le vent. Il doit lutter de toutes ses forces contre l'envie d'abandonner.

Je l'aperçois juste quelques mètres plus bas. Il me donne l'impression de pouvoir s'en sortir seul. Il faut que je répare le relais tout seul. Je peux commencer à changer les batteries et je verrai plus tard pour l'antenne quand Basile sera là.

Maintenant, le challenge c'est de dévisser les vis qui maintiennent les panneaux solaires sur la structure. Bien que je sois protégé du vent, je suis littéralement gelé. La température est inférieure à zéro degré. Il est aussi difficile d'utiliser un tournevis en portant des moufles que de pianoter sur le clavier d'un téléphone avec des gants de boxe ! Soit je garde mes gants et je perds mon temps, soit je les enlève et mes doigts gèlent en moins de deux minutes. Bon, le mieux, c'est d'attendre que Basile soit là pour travailler à tour de rôle.

Si seulement le vent voulait bien se calmer ! Malheureusement, cette île est constamment balayée par les vents d'ouest et les fréquentes dépressions apportent invariablement un temps froid, humide et venteux. Je me demande bien pourquoi le relais est accroché sue ce sommet balayé par les vents. Je réfléchirai sur ce sujet une autre fois car Basile arrive enfin et dans un dernier effort se laisse littéralement tomber à côté de moi.

C'est alors que le vent tombe aussi soudainement qu'il s'était levé. Notre travail s'en trouve bien sûr grandement facilité. En une heure, les batteries et l'antenne sont remontées, et le relais est réparé. Nous profitons un moment du paysage avant de rappeler l'hélico qui doit nous récupérer au même endroit.

Il sera dit que cette OP était mal engagée et qu'elle le sera jusqu'au bout. En effet, l'hélico, probablement trop sollicité est en panne et nous n'avons pas d'autre choix que de rentrer à pied.

Il est trop tard pour rentrer à la base. Nous passerons la nuit dans le chalet qui se trouve sur la plage de la Baie Américaine tout au bout de la vallée des Branloires. Après une longue mais facile descente, nous atteignons la vallée, royaume des marécages. Ce n'est jamais vraiment agréable de se trouver piégé dans ces zones boueuses, et marcher sur ce genre de sol n'est vraiment pas facile. Bientôt nous rencontrons une végétation de toundra, faite d'herbe, d'arbustes, de mousse et de lichen. Après le sol caillouteux de la montagne, déambuler sur ce souple tapis de végétation est vraiment relaxant.

A l'abri du vent au fond de cette vallée, nous sentons la douce chaleur du soleil nous réchauffer les épaules. Nous longeons la rive de la rivière Moby Dick. En hiver, seul un mince filet d'eau serpente  tranquillement au fond de son lit, mais au printemps, à la fonte des neiges, un impétueux torrent dévale les pentes jusqu'au bout de la vallée, arrachant des pans entiers de terre de ses rives. A la fin du printemps, la rivière encore gonflée, coule plus paisiblement. Des éléphants de mer nagent nonchalamment en descendant son cours jusqu'à la plage à l'embouchure de la rivière. Là, les femelles mettent bas un unique bébé surnommé « bonbon », probablement parce qu'ils sont une espèce de friandise pour les orques qui patrouillent habituellement le long des rivages de l'île chaque année à la même époque.

A mesure que nous approchons de la mer, nous discernons plus précisément le chant guttural des manchots rassemblés sur le rivage.

Le sable a remplacé l'herbe et les mousses. On peut suivre très facilement la trace des éléphants de mer qui ont rampé dans le sable gris. Les mères sont à la recherche de la meilleure place pour mettre bas leur petit. Les femelles se rassemblent en harem autour d'un male dominant qui peut peser jusqu'à deux tonnes. De temps en temps, de furieux combats éclatent entre deux males. Le vainqueur dominera le harem. Au cours de ces combats, les males se soucient peu des petits, et un grand nombre de ces derniers sont écrasés par ces mastodontes. La plage est couverte des restes de manchots et de bébés d'éléphants de mer qui sont rapidement dévorés par les nombreuses espèces nécrophages. Seuls restent quelques ossements qui seront définitivement éparpillé par les vents violents.

Nous marchons silencieusement. Nous n'éprouvons pas le besoin de parler. Nous avons simplement envie de nous fondre parmi toutes ces espèces sauvages qui vivent et meurent ici depuis des millénaires. Notre chalet dénature un peu le côté sauvage de l'endroit, même s'il est minuscule et rudimentaire. Il n'y a ni eau courante, ni électricité. Un minuscule panneau solaire fourni suffisamment d'énergie pour alimenter un émetteur radio, seul lien avec la base et la civilisation. Un chauffage au gaz, aussitôt allumé, distille une douce chaleur dans le chalet. Nous cuisinons des boites de conserve sur une antique gazinière coincée entre deux lits superposés, une table et deux bancs. L'endroit est si exigu qu'il n'y a pas de place pour le surplus. Malgré ces conditions de vie spartiates, nous nous sentons en paix dans notre demeure. Ce soir, une faible lueur vacille dans la pénombre, seule preuve d'une présence humaine.

Demain il y a encore du chemin à faire pour rentrer sur la base.