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Le pays des fourrures (Jules Verne), Un duel de wapitis.

L'expédition avait franchi une distance de deux cents milles depuis son départ du Fort-Reliance. Les voyageurs, favorisés par de longs crépuscules, courant jour et nuit sur leurs traîneaux, pendant que les attelages les emportaient à toute vitesse, étaient véritablement accablés de fatigue, quand ils arrivèrent aux rives du lac Snure, près duquel s'élevait le Fort-Entreprise. Ce fort, établi depuis quelques années seulement par la Compagnie de la baie d'Hudson, n'était en réalité qu'un poste d'approvisionnement de peu d'importance. Il servait principalement de station aux détachements qui accompagnaient les convois de pelleteries venus du lac du Grand-Ours situé à près de trois cents milles dans le nord-ouest. Une douzaine de soldats en formaient la garde. Le fort n'était composé que d'une maison de bois, entourée d'une enceinte palissadée. Mais, si peu confortable que fût cette habitation, les compagnons du lieutenant Hobson s'y réfugièrent avec plaisir, et, pendant deux jours, ils s'y reposèrent des premières fatigues de leur voyage. Le printemps polaire faisait déjà sentir en ce lieu sa modeste influence. La neige fondait peu à peu, et les nuits n'étaient déjà plus assez froides pour la glacer à nouveau. Quelques légères mousses, de maigres graminées, verdissaient çà et là, et de petites fleurs, presque incolores, montraient leur humide corolle entre les cailloux. Ces manifestations de la nature, à demi réveillée après la longue nuit de l'hiver, plaisaient au regard endolori par la blancheur des neiges, que charmait l'apparition de ces rares spécimens de la flore arctique. Mrs. Paulina Barnett et Jasper Hobson mirent à profit leurs loisirs pour visiter les rives du petit lac. Tous les deux ils comprenaient la nature et l'admiraient avec enthousiasme. Ils allèrent donc, de compagnie, à travers les glaçons éboulés et les cascades qui s'improvisaient sous l'action des rayons solaires. La surface du lac Snure était prise encore. Nulle fissure n'indiquait une prochaine débâcle. Quelques icebergs en ruine hérissaient sa surface solide, affectant des formes pittoresques du plus étrange effet, surtout quand la lumière, s'irisant à leurs arêtes, en variait les couleurs. On eût dit les morceaux d'un arc-en-ciel brisé par une main puissante, et qui s'entrecroisaient sur le sol. «Ce spectacle est vraiment beau! monsieur Hobson, répétait Mrs. Paulina Barnett. Ces effets de prisme se modifient à l'infini, suivant la place que l'on occupe. Ne vous semble-t-il pas que nous sommes penchés sur l'ouverture d'un immense kaléidoscope? Mais peut-être êtes-vous déjà blasé sur ce spectacle si nouveau pour moi?

-- Non, madame, répondit le lieutenant. Bien que je sois né sur ce ontinent et quoique mon enfance et ma jeunesse s'y soient passées tout entières, je ne me rassasie jamais d'en contempler les beautés sublimes. Mais si votre enthousiasme est déjà grand, lorsque le soleil verse sa lumière sur cette contrée, c'est-à-dire quand l'astre du jour a déjà modifié l'aspect de ce pays, que sera-t-il lorsqu'il vous sera donné d'observer ces territoires au milieu des grands froids de l'hiver? Je vous avouerai, madame, que le soleil, si précieux aux régions tempérées, me gâte un peu mon continent arctique!

-- Vraiment, monsieur Hobson, répondit la voyageuse, en souriant à l'observation du lieutenant. J'estime pourtant que le soleil est un excellent compagnon de route, et qu'il ne faut pas se plaindre de la chaleur qu'il donne, même aux régions polaires! -- Ah! madame, répondit Jasper Hobson, je suis de ceux qui pensent qu'il vaut mieux visiter la Russie pendant l'hiver, et le Sahara pendant l'été. On voit alors ces pays sous l'aspect qui les caractérise. Non! le soleil est un astre des hautes zones et des pays chauds. À trente degrés du pôle, il n'est véritablement plus à sa place! Le ciel de cette contrée, c'est le ciel pur et froid de l'hiver, ciel tout constellé, qu'enflamme parfois l'éclat d'une aurore boréale. C'est ici le pays de la nuit, non celui du jour, madame, et cette longue nuit du pôle vous réserve des enchantements et des merveilles. -- Monsieur Hobson, répondit Mrs. Paulina Barnett, avez-vous visité les zones tempérées de l'Europe et de l'Amérique? -- Oui, madame, et je les ai admirées comme elles méritent de l'être. Mais c'est toujours avec une passion plus ardente, avec un enthousiasme nouveau, que je suis revenu à ma terre natale. Je suis l'homme du froid, et, véritablement, je n'ai aucun mérite à le braver. Il n'a pas prise sur moi, et, comme les Esquimaux, je puis vivre pendant des mois entiers dans une maison de neige. -- Monsieur Hobson, répondit la voyageuse, vous avez une manière de parler de ce redoutable ennemi, qui réchauffe le coeur! J'espère bien me montrer digne de vous, et, si loin que vous alliez braver le froid du pôle, nous irons le braver ensemble. -- Bien, madame, bien, et puissent tous ces compagnons qui me suivent, ces soldats et ces femmes, se montrer aussi résolus que vous l'êtes! Dieu aidant, nous irons loin alors!

-- Mais vous ne pouvez vous plaindre de la façon dont ce voyage a commencé. Jusqu'ici, pas un seul accident, un temps propice à la marche des traîneaux, une température supportable! Tout nous réussit à souhait.

-- Sans doute, madame, répondit le lieutenant; mais précisément, ce soleil, que vous admirez tant, va bientôt multiplier les fatigues et les obstacles sous nos pas.

-- Que voulez-vous dire, monsieur Hobson? demanda Mrs. Paulina Barnett.

-- Je veux dire que sa chaleur aura avant peu changé l'aspect et la nature du pays, que la glace fondue ne présentera plus une surface favorable au glissage des traîneaux, que le sol redeviendra raboteux et dur, que nos chiens haletants ne nous enlèveront plus avec la rapidité d'une flèche, que les rivières et les lacs vont reprendre leur état liquide, et qu'il faudra les tourner ou les passer à gué. Tous ces changements, madame, dus à l'influence solaire, se traduiront par des retards, des fatigues, des dangers, dont les moindres sont ces neiges friables qui fuient sous le pied ou ces avalanches qui se précipitent du sommet des montagnes de glace! Oui! voilà ce que nous vaudra ce soleil qui chaque jour s'élève de plus en plus au-dessus de l'horizon! Rappelez-vous bien ceci, madame! Des quatre éléments de la cosmogonie antique, un seul ici, l'air, nous est utile, nécessaire, indispensable. Mais les trois autres, la terre, le feu et l'eau, ils ne devraient pas exister pour nous! Ils sont contraires à la nature même des régions polaires!...» Le lieutenant exagérait sans doute. Mrs. Paulina Barnett aurait pu facilement rétorquer cette argumentation, mais il ne lui déplaisait pas d'entendre Jasper Hobson s'exprimer avec cette ardeur. Le lieutenant aimait passionnément le pays vers lequel les hasards de sa vie de voyageuse la conduisaient en ce moment, et c'était une garantie qu'il ne reculerait devant aucun obstacle. Et, cependant, Jasper Hobson avait raison, lorsqu'il s'en prenait au soleil des embarras à venir. On le vit bien, quand, trois jours après, le 4 mai, le détachement se remit en route. Le thermomètre, même aux heures les plus froides de la nuit, se maintenait constamment au-dessus de trente-deux degrés. Les vastes plaines ubissaient un dégel complet. La nappe blanche s'en allait en eau. Les aspérités d'un sol fait de roches de formation primitive se trahissaient par des chocs multipliés qui secouaient les traîneaux, et, par contrecoup, les voyageurs. Les chiens, par la rudesse du tirage, étaient forcés de s'en tenir à l'allure du petit trot, et on eût pu sans danger, maintenant, remettre les guides à la main imprudente du caporal Joliffe. Ni ses cris ni les excitations du fouet n'auraient pu imprimer aux attelages surmenés une vitesse plus grande. Il arriva donc que, de temps en temps, les voyageurs diminuèrent la charge des chiens en faisant une partie de la route à pied. Ce mode de locomotion convenait, d'ailleurs, aux chasseurs du détachement, qui s'élevait insensiblement vers les territoires plus giboyeux de l'Amérique anglaise. Mrs. Paulina Barnett et sa fidèle Magde suivaient ces chasses avec un intérêt marqué. Thomas Black affectait, au contraire, de se désintéresser absolument de tout exercice cynégétique. Il n'était pas venu jusqu'en ces contrées lointaines dans le but de chasser le wison ou l'hermine, mais uniquement pour observer la lune, à ce moment précis où elle couvrirait de son disque le disque du soleil. Aussi, quand l'astre des nuits paraissait au-dessus de l'horizon, l'impatient astronome le dévorait-il des yeux. Ce qui provoquait le lieutenant à lui dire: «Hein! monsieur Black! si, par impossible, la lune manquait au rendez-vous du 18 juillet 1860, voilà qui serait désagréable pour vous!

-- Monsieur Hobson, répondait gravement l'astronome, si la lune se permettait un tel manque de convenances, je l'attaquerais en justice!» Les principaux chasseurs du détachement étaient les soldats Marbre et Sabine, tous les deux passés maîtres dans leur métier. Ils y avaient acquis une adresse sans égale, et les plus habiles Indiens ne leur en auraient pas remontré pour la vivacité de l'oeil et l'habileté de la main. Ils étaient trappeurs et chasseurs tout à la fois. Ils connaissaient tous les appareils ou engins au moyen desquels on peut s'emparer des martres, des loutres, des loups, des renards, des ours, etc. Aucune ruse ne leur était inconnue. Hommes adroits et intelligents, que ce Marbre et ce Sabine, et le capitaine Craventy avait sagement fait en les adjoignant au détachement du lieutenant Hobson.

Mais, pendant la marche de la petite troupe, ni Marbre ni Sabine n'avaient le loisir de dresser des pièges. Ils ne pouvaient s'écarter que pendant une heure ou deux, au plus, et devaient se contenter du seul gibier qui passait à portée de leur fusil. Cependant, ils furent assez heureux pour tuer un de ces grands ruminants de la faune américaine qui se rencontrent rarement sous une latitude aussi élevée.

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L'expédition avait franchi une distance de deux cents milles depuis son départ du Fort-Reliance. Les voyageurs, favorisés par de longs crépuscules, courant jour et nuit sur leurs traîneaux, pendant que les attelages les emportaient à toute vitesse, étaient véritablement accablés de fatigue, quand ils arrivèrent aux rives du lac Snure, près duquel s'élevait le Fort-Entreprise.

Ce fort, établi depuis quelques années seulement par la Compagnie de la baie d'Hudson, n'était en réalité qu'un poste d'approvisionnement de peu d'importance. Il servait principalement de station aux détachements qui accompagnaient les convois de pelleteries venus du lac du Grand-Ours situé à près de trois cents milles dans le nord-ouest. Une douzaine de soldats en formaient la garde. Le fort n'était composé que d'une maison de bois, entourée d'une enceinte palissadée. Mais, si peu confortable que fût cette habitation, les compagnons du lieutenant Hobson s'y réfugièrent avec plaisir, et, pendant deux jours, ils s'y reposèrent des premières fatigues de leur voyage.

Le printemps polaire faisait déjà sentir en ce lieu sa modeste influence. La neige fondait peu à peu, et les nuits n'étaient déjà plus assez froides pour la glacer à nouveau. Quelques légères mousses, de maigres graminées, verdissaient çà et là, et de petites fleurs, presque incolores, montraient leur humide corolle entre les cailloux. Ces manifestations de la nature, à demi réveillée après la longue nuit de l'hiver, plaisaient au regard endolori par la blancheur des neiges, que charmait l'apparition de ces rares spécimens de la flore arctique.

Mrs. Paulina Barnett et Jasper Hobson mirent à profit leurs loisirs pour visiter les rives du petit lac. Tous les deux ils comprenaient la nature et l'admiraient avec enthousiasme. Ils allèrent donc, de compagnie, à travers les glaçons éboulés et les cascades qui s'improvisaient sous l'action des rayons solaires. La surface du lac Snure était prise encore. Nulle fissure n'indiquait une prochaine débâcle. Quelques icebergs en ruine hérissaient sa surface solide, affectant des formes pittoresques du plus étrange effet, surtout quand la lumière, s'irisant à leurs arêtes, en variait les couleurs. On eût dit les morceaux d'un arc-en-ciel brisé par une main puissante, et qui s'entrecroisaient sur le sol.

 «Ce spectacle est vraiment beau! monsieur Hobson, répétait Mrs. Paulina Barnett. Ces effets de prisme se modifient à l'infini, suivant la place que l'on occupe. Ne vous semble-t-il pas que nous sommes penchés sur l'ouverture d'un immense kaléidoscope? Mais peut-être êtes-vous déjà blasé sur ce spectacle si nouveau pour moi?

-- Non, madame, répondit le lieutenant. Bien que je sois né sur ce ontinent et quoique mon enfance et ma jeunesse s'y soient passées tout entières, je ne me rassasie jamais d'en contempler les beautés sublimes. Mais si votre enthousiasme est déjà grand, lorsque le soleil verse sa lumière sur cette contrée, c'est-à-dire quand l'astre du jour a déjà modifié l'aspect de ce pays, que sera-t-il lorsqu'il vous sera donné d'observer ces territoires au milieu des grands froids de l'hiver? Je vous avouerai, madame, que le soleil, si précieux aux régions tempérées, me gâte un peu mon continent arctique!

-- Vraiment, monsieur Hobson, répondit la voyageuse, en souriant à l'observation du lieutenant. J'estime pourtant que le soleil est un excellent compagnon de route, et qu'il ne faut pas se plaindre de la chaleur qu'il donne, même aux régions polaires!

-- Ah! madame, répondit Jasper Hobson, je suis de ceux qui pensent qu'il vaut mieux visiter la Russie pendant l'hiver, et le Sahara pendant l'été. On voit alors ces pays sous l'aspect qui les caractérise. Non! le soleil est un astre des hautes zones et des pays chauds. À trente degrés du pôle, il n'est véritablement plus à sa place! Le ciel de cette contrée, c'est le ciel pur et froid de l'hiver, ciel tout constellé, qu'enflamme parfois l'éclat d'une aurore boréale. C'est ici le pays de la nuit, non celui du jour, madame, et cette longue nuit du pôle vous réserve des enchantements et des merveilles.

-- Monsieur Hobson, répondit Mrs. Paulina Barnett, avez-vous visité les zones tempérées de l'Europe et de l'Amérique?

-- Oui, madame, et je les ai admirées comme elles méritent de l'être. Mais c'est toujours avec une passion plus ardente, avec un enthousiasme nouveau, que je suis revenu à ma terre natale. Je suis l'homme du froid, et, véritablement, je n'ai aucun mérite à le braver. Il n'a pas prise sur moi, et, comme les Esquimaux, je puis vivre pendant des mois entiers dans une maison de neige.

-- Monsieur Hobson, répondit la voyageuse, vous avez une manière de parler de ce redoutable ennemi, qui réchauffe le coeur! J'espère bien me montrer digne de vous, et, si loin que vous alliez braver le froid du pôle, nous irons le braver ensemble.

-- Bien, madame, bien, et puissent tous ces compagnons qui me suivent, ces soldats et ces femmes, se montrer aussi résolus que vous l'êtes! Dieu aidant, nous irons loin alors!

-- Mais vous ne pouvez vous plaindre de la façon dont ce voyage a commencé. Jusqu'ici, pas un seul accident, un temps propice à la marche des traîneaux, une température supportable! Tout nous réussit à souhait.

-- Sans doute, madame, répondit le lieutenant; mais précisément, ce soleil, que vous admirez tant, va bientôt multiplier les fatigues et les obstacles sous nos pas.

-- Que voulez-vous dire, monsieur Hobson? demanda Mrs. Paulina Barnett.

-- Je veux dire que sa chaleur aura avant peu changé l'aspect et la nature du pays, que la glace fondue ne présentera plus une surface favorable au glissage des traîneaux, que le sol redeviendra raboteux et dur, que nos chiens haletants ne nous enlèveront plus avec la rapidité d'une flèche, que les rivières et les lacs vont reprendre leur état liquide, et qu'il faudra les tourner ou les passer à gué. Tous ces changements, madame, dus à l'influence solaire, se traduiront par des retards, des fatigues, des dangers, dont les moindres sont ces neiges friables qui fuient sous le pied ou ces avalanches qui se précipitent du sommet des montagnes de glace! Oui! voilà ce que nous vaudra ce soleil qui chaque jour s'élève de plus en plus au-dessus de l'horizon! Rappelez-vous bien ceci, madame! Des quatre éléments de la cosmogonie antique, un seul ici, l'air, nous est utile, nécessaire, indispensable. Mais les trois autres, la terre, le feu et l'eau, ils ne devraient pas exister pour nous! Ils sont contraires à la nature même des régions polaires!...»

Le lieutenant exagérait sans doute. Mrs. Paulina Barnett aurait pu facilement rétorquer cette argumentation, mais il ne lui déplaisait pas d'entendre Jasper Hobson s'exprimer avec cette ardeur. Le lieutenant aimait passionnément le pays vers lequel les hasards de sa vie de voyageuse la conduisaient en ce moment, et c'était une garantie qu'il ne reculerait devant aucun obstacle.

Et, cependant, Jasper Hobson avait raison, lorsqu'il s'en prenait au soleil des embarras à venir. On le vit bien, quand, trois jours après, le 4 mai, le détachement se remit en route. Le thermomètre, même aux heures les plus froides de la nuit, se maintenait constamment au-dessus de trente-deux degrés. Les vastes plaines ubissaient un dégel complet. La nappe blanche s'en allait en eau. Les aspérités d'un sol fait de roches de formation primitive se trahissaient par des chocs multipliés qui secouaient les traîneaux, et, par contrecoup, les voyageurs. Les chiens, par la rudesse du tirage, étaient forcés de s'en tenir à l'allure du petit trot, et on eût pu sans danger, maintenant, remettre les guides à la main imprudente du caporal Joliffe. Ni ses cris ni les excitations du fouet n'auraient pu imprimer aux attelages surmenés une vitesse plus grande.

Il arriva donc que, de temps en temps, les voyageurs diminuèrent la charge des chiens en faisant une partie de la route à pied. Ce mode de locomotion convenait, d'ailleurs, aux chasseurs du détachement, qui s'élevait insensiblement vers les territoires plus giboyeux de l'Amérique anglaise. Mrs. Paulina Barnett et sa fidèle Magde suivaient ces chasses avec un intérêt marqué. Thomas Black affectait, au contraire, de se désintéresser absolument de tout exercice cynégétique. Il n'était pas venu jusqu'en ces contrées lointaines dans le but de chasser le wison ou l'hermine, mais uniquement pour observer la lune, à ce moment précis où elle couvrirait de son disque le disque du soleil. Aussi, quand l'astre des nuits paraissait au-dessus de l'horizon, l'impatient astronome le dévorait-il des yeux. Ce qui provoquait le lieutenant à lui dire:

«Hein! monsieur Black! si, par impossible, la lune manquait au rendez-vous du 18 juillet 1860, voilà qui serait désagréable pour vous!

-- Monsieur Hobson, répondait gravement l'astronome, si la lune se permettait un tel manque de convenances, je l'attaquerais en justice!»

Les principaux chasseurs du détachement étaient les soldats Marbre et Sabine, tous les deux passés maîtres dans leur métier. Ils y avaient acquis une adresse sans égale, et les plus habiles Indiens ne leur en auraient pas remontré pour la vivacité de l'oeil et l'habileté de la main. Ils étaient trappeurs et chasseurs tout à la fois. Ils connaissaient tous les appareils ou engins au moyen desquels on peut s'emparer des martres, des loutres, des loups, des renards, des ours, etc. Aucune ruse ne leur était inconnue. Hommes adroits et intelligents, que ce Marbre et ce Sabine, et le capitaine Craventy avait sagement fait en les adjoignant au détachement du lieutenant Hobson.

Mais, pendant la marche de la petite troupe, ni Marbre ni Sabine n'avaient le loisir de dresser des pièges. Ils ne pouvaient s'écarter que pendant une heure ou deux, au plus, et devaient se contenter du seul gibier qui passait à portée de leur fusil. Cependant, ils furent assez heureux pour tuer un de ces grands ruminants de la faune américaine qui se rencontrent rarement sous une latitude aussi élevée.