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l'histoire de France, L'épopée industrielle - Les trois glorieuses

Dans les bureaux du National- un des principaux journaux libéraux - un tout petit homme hurle d'une voix suraiguë pour obtenir le silence. Il s'appelle Adolphe Thiers; il est marseillais, journaliste, et s'est fait connaître par l'énorme succès d'une Histoire de la Révolution française. À l'annonce de la publication des ordonnances, Thiers a convoqué au National les principales personnalités libérales: des journalistes, bien sûr, mais aussi des avocats, des écrivains. De cette réunion va sortir un appel signé de quarante-quatre noms, invitant les députés à organiser la résistance: « Le régime légal est interrompu, celui de la force a commencé ... L'obéissance cesse d'être un devoir! » Dans l'après-midi du 27 juillet 1830, les premières barricades s'élèvent, les premiers coups de feu sont tirés. Charles X remet le commandement des troupes - 10 000 hommes - au maréchal Marmont. Comme les Parisiens estiment que celui-ci, en 1814, a trahi Napoléon, leur colère s'en accroît d'autant. Ils s'enhardissent. Par les fenêtres ouvertes - il fait très chaud - des bûches de bois, de vieilles marmites, des pots de fleurs commencent à pleuvoir sur la troupe qui sillonne Paris. Bientôt, les soldats ouvrent le feu sur les manifestants.

Vers 5 heures de l'après-midi, on voit paraître un ouvrier boulanger, le torse nu, portant sur ses épaules le cadavre d'une femme. Il s'avance vers une compagnie du 5ème régiment de ligne et dépose, devant les soldats, le corps ensanglanté, en hurlant : - Voilà comment vos camarades arrangent nos femmes ! Allez- vous en faire autant?

Un peu plus tard, deux compagnies du 5ème de ligne passent à l'émeute. Dans la nuit, le peuple pille les boutiques des armuriers pour se procurer des armes. On dépave les rues.

Le 28 au matin, on voit flotter partout dans Paris le drapeau tricolore, celui de la « Révolution et de l'Empire ». À ce spectacle, Victor Hugo ne peut retenir son émotion: ce drapeau a été celui de son père. Beaucoup de Français vont réagir comme le poète qui, cette même année 1830, vient, en faisant jouer Hernani, d'assurer le triomphe d'un genre littéraire révolutionnaire: le romantisme. Marmont tente une offensive. Ses soldats doivent se replier autour du Louvre et de la place Vendôme. À la fin de la journée, sa situation se révèle désespérée. Il fait dire à Charles X que le mieux serait de retirer les ordonnances. Le roi répond: - Que les insurgés déposent les armes ! Ils connaissent assez ma bonté pour être sûrs du pardon le plus généreux.

Extraordinaire aveuglement! Le 29, le peuple attaque et enlève le Palais-Bourbon, puis le Louvre. Marmont, reconnaissant sa défaite, évacue Paris. Dans la soirée, Charles X - enfin! - fait savoir qu'il retire les ordonnances. Trop tard: le peuple ne veut plus des Bourbons. Charles X devra partir pour l'exil. Pendant les journées d'insurrection - on les appellera les Trois Glorieuses - certains émeutiers avaient crié : « Vive la République! », d'autres: « Vive Napoléon II ! »; Ils n'obtiendront ni l'un ni l'autre. Thiers présente la candidature du duc d'Orléans, cousin de Charles X, dont les opinions libérales sont connues. Au balcon de l'Hôtel de ville, le vieux La Fayette paraît aux côtés du duc et s'écrie : - Le duc d'Orléans, c'est la meilleure des républiques ! Ainsi le duc devient-il roi sous le nom de Louis-Philippe Ier Cet homme de cinquante-sept ans qui, le parapluie à la main, s'avance dans les rues de Paris en saluant largement et en s'arrêtant pour parler aux ouvriers, c'est le nouveau roi des Français. Roi des Français, et non, comme tous ses prédécesseurs, roi de France. Par cette différence, Louis-Philippe tient à marquer son attachement à la démocratie, c'est-à-dire le gouvernement du peuple par lui-même. Il règne sur les Français qui l'ont choisi et non sur une France qui serait sa propriété. Délibérément, il accentue son apparence de « Français moyen »; D'où son surnom de roi bourgeois. Ne croyez pas que ce soit de l'opportunisme, autrement dit la volonté de se plier à une situation donnée. A dix-sept ans, sous la révolution, Louis-Philippe d'Orléans a fait partie du club des Jacobins. Il s'est battu dans l'armée révolutionnaire à Valmy et à Jemmapes. La désertion de son chef, Dumouriez, l'a contraint à l'exil. Comme son père, Philippe Egalité, a voté la mort de Louis XVI, les rois de l'Europe lui en ont voulu. Il n'avait rien, il était pauvre. Pour gagner sa vie, il est devenu précepteur. Ce sont là des expériences qui marquent un homme.

Sa femme, Marie-Amélie, lui a donné neuf enfants dont huit ont survécu, cinq garçons et trois filles, tous beaux et intelligents. Il envoie ses fils au lycée. Cette famille mène une vie d'une grande simplicité. Devenu roi, Louis-Philippe n'y changera rien. Plus les années passent et plus se révèle pourtant son goût profond pour le pouvoir. Il n'aime que les ministres qui lui obéissent et fait en sorte d'imposer à tous ses vues. En fait, la révolution de 1830 n'a presque rien modifié en France. On s'est borné à augmenter le nombre de ceux qui votent: ils étaient 100000, ils deviennent 168000 puis, à la fin du règne, 240 000. Ce qui, sur près de 32 millions et demi d'habitants, reste fort peu ! C'est pourquoi Louis-Philippe devra faire face, sur sa droite et sur sa gauche, à une double opposition qui n'hésitera pas à employer la violence contre lui : les légitimistes, fidèles à Charles X, qui tentent, avec la duchesse de Berry, d'amener la Vendée à s'insurger ; les républicains qui, avec blanqui cherchent à soulever Paris à plusieurs reprises, ou encore organisent des attentats contre le roi. Louis-Philippe a poursuivi l'œuvre commencée par Charles X en Algérie. Une colonie prospère est en train de naître. On pourrait en être reconnaissant au roi. Ce n'est pas le cas. Les oppositions poursuivent leur harcèlement.

Victor Hugo, après avoir boudé pendant sept ans la « monarchie de juillet », finira par s'y rallier. Sa gloire de poète (Les Chants du Crépuscule), de romancier (Notre-Dame de Paris), d'auteur dramatique (Ruy BIas) est devenue éclatante. Louis-Philippe lui demande des conseils et Hugo s'avoue séduit par ce souverain. Pour Victor Hugo, la principale faute de Louis-Philippe, c'est d'avoir été « modeste au nom de la France »; Il veut dire par là que, sous ce règne, la politique de la France a manqué de grandeur. C'est pourquoi les Français se sont mis à regarder vers un passé encore récent: peu à peu ils ont édifié, autour des souvenirs de l'Empire, la légende de Napoléon. Des marchands ambulants vendent partout le portrait de l'Empereur, on chante les chansons de Béranger qui exaltent sa mémoire et les vieux soldats, dans les villages, racontent les prodiges du « Petit Caporal» aux paysans émerveillés. Louis-Philippe est un roi habile : il comprend le sentiment populaire et cherche à le mobiliser à son profit. Il envoie son fils le prince de Joinville à Sainte-Hélène chercher la dépouille mortelle de Napoléon: c'est le retour des Cendres qui bouleverse la France (décembre 1840). Ces voitures qui ressemblent les unes à des diligences, les autres à des plates-formes sur roues, cette locomotive qui crache à grand bruit la vapeur, c'est la plus extraordinaire des nouveautés à l'époque: un train. Ce jour-là, 24 août 1837, la troupe garde l'embarcadère - on ne dit pas encore gare - de la rue de Londres à Paris. D'une calèche escortée par la cavalerie descend une femme que l'on applaudit très fort ; c'est la reine Marie-Amélie. Si elle est là, c'est pour accomplir une mission : elle va inaugurer la première ligne de chemin de fer qui, en France, ait jamais emporté des voyageurs, celle de Paris à Saint-Germain. On a discuté longuement avant de se décider à construire cette ligne. Les savants ont observé qu'une vitesse de 40 kilomètres à l'heure ne manquerait pas de susciter de graves troubles de santé chez les personnes transportées. L'audace l'a emporté. Les frères Pereire et le baron de Rothschild ont fourni les capitaux. La ligne achevée, encore fallait-il trouver des voyageurs! Pour les encourager à emprunter le nouveau moyen de transport, les constructeurs ont demandé au roi d'inaugurer le nouveau chemin de fer. Les ministres ont répondu que le chef de l'État n'avait pas le droit de risquer sa vie. La reine Marie-Amélie et ses filles, avec un dévouement et un courage qui ont suscité l'admiration des Français, ont accepté de remplacer le roi. La reine et les princesses montent dans un wagon en forme de « berline» où elles s'estiment fort à l'aise et confortablement assises. Avec beaucoup de dignité, elles tâchent de dominer leur angoisse. Six cents personnes s'entassent dans les autres voitures. On sonne du cor: c'est le signal du départ. Une légère secousse : on part! Il ne faut que vingt-huit minutes pour arriver au Pecq, terminus provisoire de la ligne. Une voyageuse, Mme de Girardin, s'est montrée ravie d'un tel voyage: « On va avec une rapidité foudroyante, et cependant on ne sent pas tout l'effroi de cette rapidité. » La reine et ses filles, arrivées et revenues saines et sauves du voyage, deviendront comme la publicité vivante du nouveau moyen de transport. La grande conquête du siècle vient de prendre son élan. À vrai dire, la France doit reconnaître un sérieux retard dans ce domaine. Au 1er janvier 1848, quand l'Angleterre possédera 5 000 km de voies ferrées, notre pays n'en comptera que 1 800. Cependant, le mouvement va devenir irrésistible. En 1870, le réseau français comportera 17 440 km et, à la fin du siècle, la France dépassera l'Angleterre avec 42000 km contre 37 000. Grâce aux chemins de fer, les hommes et les marchandises circulent désormais facilement. Le chemin de fer est à l'origine du prodigieux développement industriel qui va caractériser tout le XIXe siècle. Un bond en avant comme notre pays n'en a jamais connu et qui trouvera son apothéose, quelques années plus tard, sous le Second Empire. Mais l'aventure industrielle va aussi broyer les faibles: ceux qui travaillent de leurs mains. L'aube n'est pas encore levée. Il fait froid. Le petit Jacques, six ans, tremble dans son habit trop mince. Chaque matin, il parcourt la longue distance qui sépare son domicile de la manufacture, le nom que l'on donne alors aux usines. Il faut qu'il soit là avant 5 heures du matin. Il peine, car il n'a pas de forces: il ne mange pas à sa faim. Partout en France des manufactures se sont construites. Il y a maintenant 6 millions d'ouvriers dans notre pays dont 1 300 000 travaillent dans les fabriques. Beaucoup de paysans ont quitté leurs champs pour chercher du travail à la ville. Comme il y a plus de demandes d'emploi que d'offres, les salaires sont restés très bas : un homme gagne 2 F par jour, une femme 1 F un enfant 0,50 F Sachez qu'un pain d'un kilo coûte 0,30 F: un costume d'homme 80 F et vous mesurerez la misère qui s'est abattue sur le monde du travail. Le sort infligé à des enfants dès l'âge de cinq ans a ému beaucoup de gens compatissants - on les appelle des philanthropes - qui ont publié des livres remplis de détails qui nous bouleversent. De ces enfants, le docteur Villermé écrit: « Ils restent seize à dix-sept heures debout chaque jour, dont treize au moins dans une pièce fermée, sans presque changer de place ni d'attitude. Ce n'est pas là un travail, une tâche, c'est une torture. » Il dépeint le petit Jacques et ses compagnons d'infortune : « Ils sont maigres, chétifs, vieux, oui, vieux et ridés; leur ventre est gros et leurs membres émaciés ; leur colonne vertébrale est courbée ou leurs jambes sont torses ; leur cou est couturé ou garni de glandes ; leurs doigts sont ulcérés et leurs os gonflés ou ramollis ; enfin ces petits malheureux sont tourmentés, dévorés par les insectes ». En 1841, une loi va interdire de faire travailler les enfants de moins de huit ans et limiter la durée de la journée de travail. Ce qui veut dire que des milliers d'enfants comme vous ont connu, dès l'âge de huit ans et pour huit heures par jour, le travail tel qu'il se pratiquait alors en usine. Souvenez-vous de ceci: jamais en France les ouvriers n'ont été aussi malheureux que dans la période qui va durer de 1815 à 1848. D'autant que, depuis la Révolution, il leur est interdit de s'associer pour se défendre. Pas de syndicat. Toute grève est sanctionnée par des peines de prison.

Vous comprendrez que beaucoup d'hommes politiques, beaucoup d'écrivains aient demandé avec force que l'on s'occupe du sort des ouvriers. Pierre Leroux réclame le « socialisme », c'est-à-dire une plus grande égalité. Louis Blanc souhaite que l'on crée des « ateliers sociaux ». Cabet parle d'une société « collectiviste » où tout serait en commun. Des chrétiens tels qu'Ozanam appellent la société à un immense élan de charité, cependant que naît le « catholicisme social » (Montalembert, Lamennais). En revanche, d'autres Français ne veulent pas que l'on mette en danger ce qu'ils appellent l'ordre. Ceux-là se refuseront à comprendre l'insurrection des canuts (ouvriers en soie) qui éclate à Lyon, en 1834, parce que le travail manque et que les salaires sont trop bas. Le maréchal Soult, qui présidait le gouvernement, la fait écraser par l'armée. Il y a beaucoup de morts. De même, quand une révolte semblable éclate la même année à Paris sous l'inspiration des républicains, on la réprime sans pitié: on massacre, rue Transnonain, tous ceux qui s'y sont retranchés. Les idées nées au XIXe siècle sont à l'origine de celles que défendent aujourd'hui nos différents courants politiques.

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Dans les bureaux du National- un des principaux journaux libéraux - un tout petit homme hurle d'une voix suraiguë pour obtenir le silence. Il s'appelle Adolphe Thiers; il est marseillais, journaliste, et s'est fait connaître par l'énorme succès d'une Histoire de la Révolution française. À l'annonce de la publication des ordonnances, Thiers a convoqué au National les principales personnalités libérales: des journalistes, bien sûr, mais aussi des avocats, des écrivains.

De cette réunion va sortir un appel signé de quarante-quatre noms, invitant les députés à organiser la résistance: « Le régime légal est interrompu, celui de la force a commencé ... L'obéissance cesse d'être un devoir! »

Dans l'après-midi du 27 juillet 1830, les premières barricades s'élèvent, les premiers coups de feu sont tirés. Charles X remet le commandement des troupes - 10 000 hommes - au maréchal Marmont. Comme les Parisiens estiment que celui-ci, en 1814, a trahi Napoléon, leur colère s'en accroît d'autant. Ils s'enhar­dissent. Par les fenêtres ouvertes - il fait très chaud - des bûches de bois, de vieilles marmites, des pots de fleurs commencent à pleuvoir sur la troupe qui sillonne Paris. Bientôt, les soldats ouvrent le feu sur les manifestants.

Vers 5 heures de l'après-midi, on voit paraître un ouvrier bou­langer, le torse nu, portant sur ses épaules le cadavre d'une femme. Il s'avance vers une compagnie du 5ème régiment de ligne et dépose, devant les soldats, le corps ensanglanté, en hurlant :

- Voilà comment vos camarades arrangent nos femmes ! Allez- vous en faire autant?

Un peu plus tard, deux compagnies du 5ème de ligne passent à l'émeute. Dans la nuit, le peuple pille les boutiques des armuriers pour se procurer des armes. On dépave les rues.

Le 28 au matin, on voit flotter partout dans Paris le drapeau tri­colore, celui de la « Révolution et de l'Empire ». À ce spectacle, Victor Hugo ne peut retenir son émotion: ce drapeau a été celui de son père. Beaucoup de Français vont réagir comme le poète qui, cette même année 1830, vient, en faisant jouer Hernani, d'as­surer le triomphe d'un genre littéraire révolutionnaire: le roman­tisme. Marmont tente une offensive. Ses soldats doivent se replier autour du Louvre et de la place Vendôme. À la fin de la journée, sa situation se révèle désespérée. Il fait dire à Charles X que le mieux serait de retirer les ordonnances. Le roi répond:

- Que les insurgés déposent les armes ! Ils connaissent assez ma bonté pour être sûrs du pardon le plus généreux.

Extraordinaire aveuglement! Le 29, le peuple attaque et enlève le Palais-Bourbon, puis le Louvre. Marmont, reconnais­sant sa défaite, évacue Paris. Dans la soirée, Charles X - enfin! - fait savoir qu'il retire les ordonnances. Trop tard: le peuple ne veut plus des Bourbons. Charles X devra partir pour l'exil.

Pendant les journées d'insurrection - on les appellera les Trois Glorieuses - certains émeutiers avaient crié : « Vive la République! », d'autres: « Vive Napoléon II ! »; Ils n'obtien­dront ni l'un ni l'autre. Thiers présente la candidature du duc d'Orléans, cousin de Charles X, dont les opinions libérales sont connues.

Au balcon de l'Hôtel de ville, le vieux La Fayette paraît aux côtés du duc et s'écrie :

      - Le duc d'Orléans, c'est la meilleure des républiques !

Ainsi le duc devient-il roi sous le nom de Louis-Philippe Ier

 

Cet homme de cinquante-sept ans qui, le parapluie à la main, s'avance dans les rues de Paris en saluant largement et en s'arrêtant pour parler aux ouvriers, c'est le nouveau roi des Français.

Roi des Français, et non, comme tous ses prédécesseurs, roi de

France. Par cette différence, Louis-Philippe tient à marquer son attachement à la démocratie, c'est-à-dire le gouvernement du peuple par lui-même. Il règne sur les Français qui l'ont choisi et non sur une France qui serait sa propriété. Délibérément, il accentue son apparence de « Français moyen »; D'où son sur­nom de roi bourgeois.

Ne croyez pas que ce soit de l'opportunisme, autrement dit la volonté de se plier à une situation donnée. A dix-sept ans, sous la révolution, Louis-Philippe d'Orléans a fait partie du club des Jacobins. Il s'est battu dans l'armée révolutionnaire à Valmy et à Jemmapes. La désertion de son chef, Dumouriez, l'a contraint à l'exil. Comme son père, Philippe Egalité, a voté la mort de Louis XVI, les rois de l'Europe lui en ont voulu. Il n'avait rien, il était pauvre. Pour gagner sa vie, il est devenu précepteur. Ce sont là des expériences qui marquent un homme.

Sa femme, Marie-Amélie, lui a donné neuf enfants dont huit ont survécu, cinq garçons et trois filles, tous beaux et intelli­gents. Il envoie ses fils au lycée. Cette famille mène une vie d'une grande simplicité. Devenu roi, Louis-Philippe n'y changera rien.

Plus les années passent et plus se révèle pourtant son goût profond pour le pouvoir. Il n'aime que les ministres qui lui obéissent et fait en sorte d'imposer à tous ses vues.

En fait, la révolution de 1830 n'a presque rien modifié en France. On s'est borné à augmenter le nombre de ceux qui votent: ils étaient 100000, ils deviennent 168000 puis, à la fin du règne, 240 000. Ce qui, sur près de 32 millions et demi d'habitants, reste fort peu !

C'est pourquoi Louis-Philippe devra faire face, sur sa droite et sur sa gauche, à une double opposition qui n'hésitera pas à employer la violence contre lui : les légitimistes, fidèles à Charles X, qui tentent, avec la duchesse de Berry, d'amener la Vendée à s'insurger ; les républicains qui, avec blanqui cherchent à soulever Paris à plusieurs reprises, ou encore organisent des attentats contre le roi.

 

Louis-Philippe a poursuivi l'œuvre commencée par Charles X en Algérie. Une colonie prospère est en train de naître. On pourrait en être reconnaissant au roi. Ce n'est pas le cas. Les oppositions poursuivent leur harcèlement.

Victor Hugo, après avoir boudé pendant sept ans la « monar­chie de juillet », finira par s'y rallier. Sa gloire de poète (Les Chants du Crépuscule), de romancier (Notre-Dame de Paris), d'auteur dramatique (Ruy BIas) est devenue éclatante. Louis­-Philippe lui demande des conseils et Hugo s'avoue séduit par ce souverain.

Pour Victor Hugo, la principale faute de Louis-Philippe, c'est d'avoir été « modeste au nom de la France »;

Il veut dire par là que, sous ce règne, la politique de la France a manqué de grandeur. C'est pourquoi les Français se sont mis à regarder vers un passé encore récent: peu à peu ils ont édifié, autour des souvenirs de l'Empire, la légende de Napoléon. Des marchands ambulants vendent partout le portrait de l'Empereur, on chante les chansons de Béranger qui exaltent sa mémoire et les vieux soldats, dans les villages, racontent les prodiges du « Petit Caporal» aux paysans émerveillés.

Louis-Philippe est un roi habile : il comprend le sentiment populaire et cherche à le mobiliser à son profit. Il envoie son fils le prince de Joinville à Sainte-Hélène chercher la dépouille mortelle de Napoléon: c'est le retour des Cendres qui bouleverse la France (décembre 1840).

 

Ces voitures qui ressemblent les unes à des diligences, les autres à des plates-formes sur roues, cette locomotive qui crache à grand bruit la vapeur, c'est la plus extraordinaire des nouveautés à l'époque: un train.

Ce jour-là, 24 août 1837, la troupe garde l'embarcadère - on ne dit pas encore gare - de la rue de Londres à Paris. D'une calèche escortée par la cavalerie descend une femme que l'on applaudit très fort ; c'est la reine Marie-Amélie. Si elle est là, c'est pour accomplir une mission : elle va inaugurer la première ligne de chemin de fer qui, en France, ait jamais emporté des voyageurs, celle de Paris à Saint-Germain.

On a discuté longuement avant de se décider à construire cette

ligne. Les savants ont observé qu'une vitesse de 40 kilomètres à l'heure ne manquerait pas de susciter de graves troubles de santé chez les personnes transportées. L'audace l'a emporté. Les frères Pereire et le baron de Rothschild ont fourni les capitaux. La ligne achevée, encore fallait-il trouver des voyageurs! Pour les encou­rager à emprunter le nouveau moyen de transport, les construc­teurs ont demandé au roi d'inaugurer le nouveau chemin de fer. Les ministres ont répondu que le chef de l'État n'avait pas le droit de risquer sa vie. La reine Marie-Amélie et ses filles, avec un dévouement et un courage qui ont suscité l'admiration des Français, ont accepté de remplacer le roi.

La reine et les princesses montent dans un wagon en forme de « berline» où elles s'estiment fort à l'aise et confortablement assises. Avec beaucoup de dignité, elles tâchent de dominer leur angoisse. Six cents personnes s'entassent dans les autres voi­tures. On sonne du cor: c'est le signal du départ. Une légère secousse : on part! Il ne faut que vingt-huit minutes pour arriver au Pecq, terminus provisoire de la ligne. Une voyageuse, Mme de Girardin, s'est montrée ravie d'un tel voyage: « On va avec une rapidité foudroyante, et cependant on ne sent pas tout l'effroi de cette rapidité. »

La reine et ses filles, arrivées et revenues saines et sauves du voyage, deviendront comme la publicité vivante du nouveau moyen de transport.

La grande conquête du siècle vient de prendre son élan. À vrai

 

dire, la France doit reconnaître un sérieux retard dans ce domai­ne. Au 1er janvier 1848, quand l'Angleterre possédera 5 000 km de voies ferrées, notre pays n'en comptera que 1 800. Cependant, le mouvement va devenir irrésistible. En 1870, le réseau français comportera 17 440 km et, à la fin du siècle, la France dépassera l'Angleterre avec 42000 km contre 37 000.

 

Grâce aux chemins de fer, les hommes et les marchandises cir­culent désormais facilement. Le chemin de fer est à l'origine du prodigieux développement industriel qui va caractériser tout le XIXe siècle. Un bond en avant comme notre pays n'en a jamais connu et qui trouvera son apothéose, quelques années plus tard, sous le Second Empire. Mais l'aventure industrielle va aussi broyer les faibles: ceux qui travaillent de leurs mains.

 

L'aube n'est pas encore levée. Il fait froid. Le petit Jacques, six ans, tremble dans son habit trop mince. Chaque matin, il par­court la longue distance qui sépare son domicile de la manufac­ture, le nom que l'on donne alors aux usines. Il faut qu'il soit là avant 5 heures du matin. Il peine, car il n'a pas de forces: il ne mange pas à sa faim.

Partout en France des manufactures se sont construites. Il y a maintenant 6 millions d'ouvriers dans notre pays dont 1 300 000 travaillent dans les fabriques. Beaucoup de paysans ont quitté leurs champs pour chercher du travail à la ville. Comme il y a plus de demandes d'emploi que d'offres, les salaires sont restés très bas : un homme gagne 2 F par jour, une femme 1 F un enfant 0,50 F Sachez qu'un pain d'un kilo coûte 0,30 F: un costume d'homme 80 F et vous mesurerez la misère qui s'est abattue sur le monde du travail.

Le sort infligé à des enfants dès l'âge de cinq ans a ému beau­coup de gens compatissants - on les appelle des philanthropes - qui ont publié des livres remplis de détails qui nous bouleversent. De ces enfants, le docteur Villermé écrit: « Ils restent seize à dix-sept heures debout chaque jour, dont treize au moins dans une pièce fermée, sans presque changer de place ni d'attitude. Ce n'est pas là un travail, une tâche, c'est une torture. » Il dépeint le petit Jacques et ses compagnons d'infortune : « Ils sont maigres, chétifs, vieux, oui, vieux et ridés; leur ventre est gros et leurs membres émaciés ; leur colonne vertébrale est courbée ou leurs jambes sont torses ; leur cou est couturé ou garni de glandes ; leurs doigts sont ulcérés et leurs os gonflés ou ramollis ; enfin ces petits malheureux sont tourmentés, dévorés par les insectes ».

En 1841, une loi va interdire de faire travailler les enfants de moins de huit ans et limiter la durée de la journée de travail. Ce qui veut dire que des milliers d'enfants comme vous ont connu, dès l'âge de huit ans et pour huit heures par jour, le travail tel qu'il se pratiquait alors en usine.

Souvenez-vous de ceci: jamais en France les ouvriers n'ont été aussi malheureux que dans la période qui va durer de 1815 à 1848. D'autant que, depuis la Révolution, il leur est interdit de s'asso­cier pour se défendre. Pas de syndicat. Toute grève est sanc­tionnée par des peines de prison.

Vous comprendrez que beaucoup d'hommes politiques, beau­coup d'écrivains aient demandé avec force que l'on s'occupe du sort des ouvriers. Pierre Leroux réclame le « socialisme », c'est-­à-dire une plus grande égalité. Louis Blanc souhaite que l'on crée des « ateliers sociaux ». Cabet parle d'une société « collec­tiviste » où tout serait en commun. Des chrétiens tels qu'Ozanam appellent la société à un immense élan de charité, cependant que naît le « catholicisme social » (Montalembert, Lamennais). En revanche, d'autres Français ne veulent pas que l'on mette en danger ce qu'ils appellent l'ordre.

Ceux-là se refuseront à comprendre l'insurrection des canuts (ouvriers en soie) qui éclate à Lyon, en 1834, parce que le travail manque et que les salaires sont trop bas. Le maréchal Soult, qui présidait le gouvernement, la fait écraser par l'armée. Il y a beau­coup de morts. De même, quand une révolte semblable éclate la même année à Paris sous l'inspiration des républicains, on la réprime sans pitié: on massacre, rue Transnonain, tous ceux qui s'y sont retranchés.

Les idées nées au XIXe siècle sont à l'origine de celles que défendent aujourd'hui nos différents courants politiques.