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l'histoire de France, Napoléon - général à vingt-quatre ans

Dans le parloir de l'école militaire de Brienne, l'enfant attend, debout. Il a une dizaine d'années, il paraît chétif. Sous les cheveux noirs, raides et rebelles, le visage est jaune, avec une expression farouche.

La porte s'ouvre. Un abbé entre. Il s'adresse au jeune garçon : - Allez rejoindre vos petits camarades. Ils sont en récréation.

L'enfant pousse la porte, gagne la cour où les élèves jouent. Dès qu'ils l'aperçoivent, ils accourent, l'entourent, lui demande son prénom. Il répond entre ses dents : - Napoléoné ! C'est ainsi qu'il prononce, ce petit Corse qui arrive de son île. Un accent terrible !

Un énorme éclat de rire ponctue cette déclaration. Les enfants ont compris qu'il a dit : « la paille au nez ». Et en bousculant, en houspillant le nouveau, ils répètent : - La paille au nez ! La paille au nez !

Pendant des années, à Brienne, les camarades de Napoléon continueront à l'appeler la paille au nez. Et le garçon s'enfermera toujours un peu plus dans la solitude des révoltés. Fils d'un petit avocat d'Ajaccio, capitale de la Corse, il y a vu le jour le 15 août 1769, juste trois mois après que le roi Louis XV eut acheté l'île à la république de Gênes, à qui elle appartenait. Ainsi Napoléon est-il né français: il était temps!

Chez les Bonaparte, il y avait beaucoup d'enfants, mais peu d'argent. L'avocat pensait à l'avenir de ses fils. À force de démarches, il avait obtenu pour Napoléon une place à l'école de Brienne: le roi Louis XVI paierait pour lui. Ce bienfait comportait une terrible condition : durant des années, l'enfant ne reverrait plus sa famille. Il ne reviendrait pas même chez lui aux vacances; les voyages étaient trop longs et trop coûteux.

Imaginez avec quel serrement de cœur le petit Napoléon a embrassé pour la dernière fois son père! Il reste seul au milieu de professeurs et d'enfants dont il parle à peine la langue. Tout le déroute : le climat, si différent de celui de sa Corse ensoleillée, la nourriture. Les autres le tournent en ridicule. À chaque instant, les poings en avant, il doit se faire respecter.

Heureusement, il est bon élève. L'un de ses professeurs le dira: - Il avait beaucoup de dispositions, comprenait et apprenait facilement. C'est cela, l'enfance de Napoléon. On dit que dans l'adversité se forgent les grands caractères. Le petit Corse va le prouver largement.

Sur les hauteurs de Toulon, le général Carteaux se gratte la tête. Comment viendra-t-on à bout des formidables défenses édifiées par les Anglais qui, après avoir débarqué dans la ville, s'y sont installés depuis le 28 août 1793 ? À vrai dire, ce général, ancien peintre, n'a pas la moindre idée de l'art de la guerre. Il a beau se montrer « doré des pieds jusqu'à la tête », c'est un incapable. Près de lui, le jeune capitaine Bonaparte se tient respectueusement. Mais il a fort à faire pour écouter sans broncher les rodomontades de ce général d'aventure. Après cinq ans d'études à Brienne - pendant lesquelles son père est mort de maladie - et une année passée à l'École militaire de Paris, Napoléon a été nommé lieutenant en second d'artillerie, à l'âge de seize ans et quinze jours, ce qui, il faut que vous le sachiez, n'arrive plus jamais aujourd'hui. À cette époque, il est passionné de littérature. Il dévore notamment les livres de Jean-Jacques Rousseau: son idole. Il rêve lui-même d'être écrivain. Quand la Révolution éclate, il l'accueille non seulement sans hostilité, mais avec faveur: - Les révolutions, a-t-il dit à l'un de ses chefs, sont un bon temps pour les militaires qui ont de l'esprit et du courage. Il a cru pouvoir faire carrière en Corse. Ses concitoyens, hostiles à la Révolution, ont chassé de l'île cet officier qui défendait trop ardemment les idées nouvelles. Le voici donc devant Toulon. Reconnu par un député comme « capitaine instruit» - en pleine Révolution, ils ne courent pas les rues! - il a été désigné pour commander l'artillerie. Ce n'est pas rien. Pour reprendre Toulon, l'artillerie devrait être la clé de tout. Il en a assez, Bonaparte, d'entendre les sottises de ce braillard de Carteaux qui voudrait placer n'importe où et n'importe comment les rares canons dont il dispose. Le « capitaine instruit» éclate: - Il y a des règles! Concentrer le feu de tous les canons contre un seul point en est une, et essentielle!

Carteaux le regarde, interloqué. Par chance il sera remplacé et son successeur, le général Dugommier, s'émerveille à entendre parler Bonaparte : - Il faut ... On doit. .. J'affirme ... Désormais le capitaine exige - et obtient. Il a reçu en partage un don exceptionnel: il sait obtenir des hommes le meilleur d'eux-mêmes. Face aux Anglais, il réunit ses canons en un lieu particulièrement exposé et il l'appelle: « batterie des hommes sans peur ». Aussitôt, tous les soldats veulent figurer parmi les hommes sans peur! Lorsque les Anglais attaquent, on les repousse avec une furie qui les stupéfie: Bonaparte est passé par là.

Il va foudroyer les positions anglaises sous le feu de son artillerie et les enlever ensuite à la baïonnette. Grâce à lui, Toulon va être prise.

Il est arrivé à Toulon capitaine. Il quitte la ville général. Il a vingt-quatre ans.

Le 25 mars 1796, quatre généraux de division, en grand uniforme, le visage sombre, l'air furieux, des « vieux de la vieille» qui ont conquis leurs épaulettes à la pointe de leur sabre - ils s'appellent Masséna, Sérurier, Laharpe, Augereau - pénètrent à Nice chez le nouveau commandant en chef de l'armée d'Italie, Bonaparte. Stupéfaits ils découvrent un tout jeune homme, presque encore un adolescent, petit, efflanqué, avec ses longs cheveux éparpillés. Un général en chef de vingt-six ans! Méprisants, ils gardent sur la tête leur chapeau garni d'un plumet tricolore. Du coup, Bonaparte, qui s'était découvert, enfonce le sien d'un geste rageur. Ce qui les impressionne. Il parut, dit Masséna, « grandir de deux pieds », D'une voix coupante, il lance : - Demain, je passerai l'inspection de tous les corps et après-demain je marcherai sur l'ennemi ! Ils l'ont raconté, tous les quatre: aussitôt ils ont senti, chez ce chef qu'on leur imposait, une autorité si écrasante qu'ils n'ont plus songé qu'à lui obéir aveuglément. D'emblée, quand on parle de Bonaparte, un mot vient à l'esprit: autorité. Ces généraux ne peuvent savoir que ce blanc-bec a aussi un cœur. En quittant Paris, il vient de s'arracher avec douleur aux bras de la jeune femme qu'il a épousée quelques jours plus tôt, une veuve originaire de la Martinique, Joséphine de Beauharnais. Tous les jours, depuis qu'il l'a quittée, il lui écrit des lettres passionnées. C'est d'ailleurs un ancien ami de Joséphine, Barras, membre du Directoire, qui a fait donner à Bonaparte le commandement de l'armée d'Italie. Un singulier cadeau, vraiment!

Cette « armée d'Italie» n'est qu'un ramassis de gueux en haillons, dont on ne paye plus la solde depuis longtemps et qui meurent de faim. Le désordre est à son comble, on signale chaque jour des refus d'obéissance et des désertions. Ces soldats aigris, sans illusion, à l'esprit détestable, Bonaparte va les passer en revue. Du haut de son cheval, il lance une proclamation qui deviendra immortelle : - Soldats, vous êtes nus, mal nourris. Le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. .. Votre patience à supporter toutes les privations, votre bravoure à affronter tous les dangers excitent l'admiration de la France; elle a les yeux tournés sur vos misères. Vous n'avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides; ceux de l'ennemi regorgent de tout; c'est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons !

Ce qui lui répond, c'est une immense acclamation. Chacun en est désormais persuadé: ce gringalet est un homme. Avec lui, en Italie, non seulement on va pouvoir vaincre le roi de Piémont, mais l'empereur d'Autriche n'a plus qu'à bien se tenir! Le 2 avril 1796, Bonaparte quitte Nice avec ses loqueteux. Le 12, à Montenotte, il fond sur l'ennemi - et l'écrase. La bataille de Millesimo lui ouvre le chemin de Turin et de Milan. Après Mondovi, il dicte ses conditions au roi de Piémont et la victoire de Lodi le rend maître de toute la Lombardie.

Un Italien, étonné, lui déclare : - Vous êtes bien jeune, général. Il répond: - Demain, j'aurai mille ans. Et il prend Milan! Il annonce aux habitants bouleversés qu'il est venu les délivrer du joug autrichien et leur apporter la liberté. Follement, on l'acclame. Les jolies Italiennes lancent des brassées de fleurs aux Français qui croient rêver.

Ils jurent que Bonaparte est né sous une bonne étoile, serait-il possible autrement qu'il ait autant de chance? Désormais, ils considéreront leur chef comme un personnage hors mesure, au-delà même de l'humanité. Ce qui ne les empêche pas de grogner à toute occasion contre les épreuves sans nom qu'il leur impose. Bonaparte s'en amuse: - Ils grognent, mais ils marchent! De là viendra l'expression: les grognards de Napoléon. En attendant, tout plie devant lui. Le roi de Naples demande et obtient un armistice. Le pape s'incline. L'Europe s'étonne: qui est donc ce Bonaparte? Soixante-dix mille Autrichiens marchent contre lui. Il les bat à Castiglione, à Arcole, les écrase à Rivoli. Il marche sur Vienne, lorsque l'Autriche atterrée reconnaît sa défaite et sollicite la paix. C'est à Campo-Formio, petite localité italienne, que, négociant avec le délégué de l'empereur d'Autriche, Bonaparte va révéler des talents qu'on ne lui soupçonnait pas: ceux de négociateur. Il n'a sollicité aucune instruction du gouvernement du Directoire. Il suit ses propres impulsions, menaçant et cajolant tout à la fois les délégués autrichiens. À Campo-Formio, il arrache à l'Autriche pour la France une grande partie de l'Italie du Nord. Quelques jours plus tard, à Rastadt, il obtient encore Mayence et la rive gauche du Rhin. Incroyable, non?

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Dans le parloir de l'école militaire de Brienne, l'enfant attend, debout. Il a une dizaine d'années, il paraît chétif. Sous les cheveux noirs, raides et rebelles, le visage est jaune, avec une expression farouche.

La porte s'ouvre. Un abbé entre. Il s'adresse au jeune garçon :

-         Allez rejoindre vos petits camarades. Ils sont en récréation.

L'enfant pousse la porte, gagne la cour où les élèves jouent. Dès qu'ils l'aperçoivent, ils accourent, l'entourent, lui demande son prénom. Il répond entre ses dents :

-         Napoléoné !

C'est ainsi qu'il prononce, ce petit Corse qui arrive de son île. Un accent terrible !

Un énorme éclat de rire ponctue cette déclaration. Les enfants ont compris qu'il a dit : « la paille au nez ». Et en bousculant, en houspillant le nouveau, ils répètent :

-         La paille au nez ! La paille au nez !

Pendant des années, à Brienne, les camarades de Napoléon continueront à l'appeler la paille au nez. Et le garçon s'en­fermera toujours un peu plus dans la solitude des révoltés.

Fils d'un petit avocat d'Ajaccio, capitale de la Corse, il y a vu le jour le 15 août 1769, juste trois mois après que le roi Louis XV eut acheté l'île à la république de Gênes, à qui elle appartenait. Ainsi Napoléon est-il né français: il était temps!

Chez les Bonaparte, il y avait beaucoup d'enfants, mais peu d'argent. L'avocat pensait à l'avenir de ses fils. À force de démarches, il avait obtenu pour Napoléon une place à l'école de Brienne: le roi Louis XVI paierait pour lui. Ce bienfait com­portait une terrible condition : durant des années, l'enfant ne reverrait plus sa famille. Il ne reviendrait pas même chez lui aux vacances; les voyages étaient trop longs et trop coûteux.

Imaginez avec quel serrement de cœur le petit Napoléon a embrassé pour la dernière fois son père! Il reste seul au milieu de professeurs et d'enfants dont il parle à peine la langue. Tout le déroute : le climat, si différent de celui de sa Corse enso­leillée, la nourriture. Les autres le tournent en ridicule. À chaque instant, les poings en avant, il doit se faire respecter.

Heureusement, il est bon élève. L'un de ses professeurs le dira: - Il avait beaucoup de dispositions, comprenait et apprenait facilement.

C'est cela, l'enfance de Napoléon. On dit que dans l'adversité se forgent les grands caractères. Le petit Corse va le prouver largement.

 

Sur les hauteurs de Toulon, le général Carteaux se gratte la tête. Comment viendra-t-on à bout des formidables défenses édifiées par les Anglais qui, après avoir débarqué dans la ville, s'y sont installés depuis le 28 août 1793 ?

À vrai dire, ce général, ancien peintre, n'a pas la moindre idée de l'art de la guerre. Il a beau se montrer « doré des pieds jusqu'à la tête », c'est un incapable. Près de lui, le jeune capitaine Bonaparte se tient respectueusement. Mais il a fort à faire pour écouter sans broncher les rodomontades de ce général d'aventure.

Après cinq ans d'études à Brienne - pendant lesquelles son père est mort de maladie - et une année passée à l'École mili­taire de Paris, Napoléon a été nommé lieutenant en second d'ar­tillerie, à l'âge de seize ans et quinze jours, ce qui, il faut que vous le sachiez, n'arrive plus jamais aujourd'hui.

À cette époque, il est passionné de littérature. Il dévore notam­ment les livres de Jean-Jacques Rousseau: son idole. Il rêve lui-­même d'être écrivain.

Quand la Révolution éclate, il l'accueille non seulement sans hostilité, mais avec faveur:

- Les révolutions, a-t-il dit à l'un de ses chefs, sont un bon temps pour les militaires qui ont de l'esprit et du courage.

Il a cru pouvoir faire carrière en Corse. Ses concitoyens, hos­tiles à la Révolution, ont chassé de l'île cet officier qui défendait trop ardemment les idées nouvelles.

Le voici donc devant Toulon. Reconnu par un député comme « capitaine instruit» - en pleine Révolution, ils ne courent pas les rues! - il a été désigné pour commander l'artillerie. Ce n'est pas rien. Pour reprendre Toulon, l'artillerie devrait être la clé de tout.

Il en a assez, Bonaparte, d'entendre les sottises de ce braillard de Carteaux qui voudrait placer n'importe où et n'importe comment les rares canons dont il dispose.

Le « capitaine instruit» éclate:

- Il y a des règles! Concentrer le feu de tous les canons contre un seul point en est une, et essentielle!

Carteaux le regarde, interloqué. Par chance il sera remplacé et son successeur, le général Dugommier, s'émerveille à entendre parler Bonaparte :

- Il faut ... On doit. .. J'affirme ...

Désormais le capitaine exige - et obtient. Il a reçu en partage un don exceptionnel: il sait obtenir des hommes le meilleur d'eux­-mêmes. Face aux Anglais, il réunit ses canons en un lieu particu­lièrement exposé et il l'appelle: « batterie des hommes sans peur ». Aussitôt, tous les soldats veulent figurer parmi les hommes sans peur! Lorsque les Anglais attaquent, on les repousse avec une furie qui les stupéfie: Bonaparte est passé par là.

Il va foudroyer les positions anglaises sous le feu de son artille­rie et les enlever ensuite à la baïonnette. Grâce à lui, Toulon va être prise.

Il est arrivé à Toulon capitaine. Il quitte la ville général. Il a vingt-quatre ans.

 

Le 25 mars 1796, quatre généraux de division, en grand uni­forme, le visage sombre, l'air furieux, des « vieux de la vieille» qui ont conquis leurs épaulettes à la pointe de leur sabre - ils s'appellent Masséna, Sérurier, Laharpe, Augereau - pénètrent à Nice chez le nouveau commandant en chef de l'armée d'Italie, Bonaparte. Stupéfaits ils découvrent un tout jeune homme, presque encore un adolescent, petit, efflanqué, avec ses longs cheveux éparpillés. Un général en chef de vingt-six ans! Méprisants, ils gardent sur la tête leur chapeau garni d'un plumet tricolore. Du coup, Bonaparte, qui s'était découvert, enfonce le sien d'un geste rageur. Ce qui les impressionne. Il parut, dit Masséna, « grandir de deux pieds »,

D'une voix coupante, il lance :

 

- Demain, je passerai l'inspection de tous les corps et après-­demain je marcherai sur l'ennemi !

 

Ils l'ont raconté, tous les quatre: aussitôt ils ont senti, chez ce chef qu'on leur imposait, une autorité si écrasante qu'ils n'ont plus songé qu'à lui obéir aveuglément.

 

D'emblée, quand on parle de Bonaparte, un mot vient à l'esprit: autorité. Ces généraux ne peuvent savoir que ce blanc-­bec a aussi un cœur. En quittant Paris, il vient de s'arracher avec douleur aux bras de la jeune femme qu'il a épousée quelques jours plus tôt, une veuve originaire de la Martinique, Joséphine de Beauharnais. Tous les jours, depuis qu'il l'a quittée, il lui écrit des lettres passionnées. C'est d'ailleurs un ancien ami de Joséphine, Barras, membre du Directoire, qui a fait donner à Bonaparte le commandement de l'armée d'Italie.

Un singulier cadeau, vraiment!

 

Cette « armée d'Italie» n'est qu'un ramassis de gueux en haillons, dont on ne paye plus la solde depuis longtemps et qui meurent de faim. Le désordre est à son comble, on signale chaque jour des refus d'obéissance et des désertions. Ces soldats aigris, sans illusion, à l'esprit détestable, Bonaparte va les passer en revue. Du haut de son cheval, il lance une proclamation qui deviendra immortelle :

- Soldats, vous êtes nus, mal nourris. Le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. .. Votre patience à supporter toutes les privations, votre bravoure à affronter tous les dangers excitent l'admiration de la France; elle a les yeux tournés sur vos misères. Vous n'avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides; ceux de l'ennemi regorgent de tout; c'est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons !

Ce qui lui répond, c'est une immense acclamation. Chacun en est désormais persuadé: ce gringalet est un homme. Avec lui, en Italie, non seulement on va pouvoir vaincre le roi de Piémont, mais l'empereur d'Autriche n'a plus qu'à bien se tenir!

Le 2 avril 1796, Bonaparte quitte Nice avec ses loqueteux. Le 12, à Montenotte, il fond sur l'ennemi - et l'écrase. La bataille de Millesimo lui ouvre le chemin de Turin et de Milan. Après Mondovi, il dicte ses conditions au roi de Piémont et la victoire de Lodi le rend maître de toute la Lombardie.

Un Italien, étonné, lui déclare : - Vous êtes bien jeune, général. Il répond:

- Demain, j'aurai mille ans.

Et il prend Milan! Il annonce aux habitants bouleversés qu'il est venu les délivrer du joug autrichien et leur apporter la liberté. Follement, on l'acclame. Les jolies Italiennes lancent des brassées de fleurs aux Français qui croient rêver.

Ils jurent que Bonaparte est né sous une bonne étoile, serait-­il possible autrement qu'il ait autant de chance? Désormais, ils considéreront leur chef comme un personnage hors mesure, au-delà même de l'humanité. Ce qui ne les empêche pas de grogner à toute occasion contre les épreuves sans nom qu'il leur impose. Bonaparte s'en amuse:

- Ils grognent, mais ils marchent!

De là viendra l'expression: les grognards de Napoléon.

En attendant, tout plie devant lui. Le roi de Naples demande et obtient un armistice. Le pape s'incline. L'Europe s'étonne: qui est donc ce Bonaparte?

Soixante-dix mille Autrichiens marchent contre lui. Il les bat à Castiglione, à Arcole, les écrase à Rivoli. Il marche sur Vienne, lorsque l'Autriche atterrée reconnaît sa défaite et sollicite la paix.

C'est à Campo-Formio, petite localité italienne, que, négo­ciant avec le délégué de l'empereur d'Autriche, Bonaparte va révéler des talents qu'on ne lui soupçonnait pas: ceux de négo­ciateur. Il n'a sollicité aucune instruction du gouvernement du Directoire. Il suit ses propres impulsions, menaçant et cajolant tout à la fois les délégués autrichiens. À Campo-Formio, il arrache à l'Autriche pour la France une grande partie de l'Italie du Nord. Quelques jours plus tard, à Rastadt, il obtient encore Mayence et la rive gauche du Rhin. Incroyable, non?