LE THÉ De temps immémorial, le thé est cultivé en Chine, tandis que son usage en Europe ne remonte pas au-delà du dix-septième siècle. Les espèces de thé sont très nombreuses; il y a le Pi-ka-va, à pointes blanches, que nous nommons Péko, et dont on distingue plusieurs espèces, entre autres le Pé-ko orange; le Bohéa, du nom des collines où on le cultive; le Kou-gou, le Sou-chong, reconnaissable à la petitesse de ses feuilles; le Pou-chong, variété du Sou-chong particulièrement estimée; la fleur du printemps Hy-sou; le Young-Hy-sou plus délicat que le précédent; le Hy-sou-tchou-lan parfumé artificiellement; le Siao-tcheou, petites perles que nous appelons poudre à canon; et le thé impérial, Ta-tcheou, grandes perles, dont la saveur est la plus aromatique. On donne à ces différentes sortes de thé des appellations très fantaisistes: qualité des plus rares, qualité exquise, qualité extraordinaire.
Le thé impérial du Ju-nan est très rafraîchissant; le thé de neige, Sué-tcha, au contraire, tonique et astringent.
Les Chinois prennent le thé sans sucre, et ne le préparent pas comme nous; ils se servent rarement de théière; c'est dans la tasse même qu'on place les feuilles, et chacun les laisse infuser à son goût. Voici d'ailleurs la recette la meilleure donnée par l'empereur Kieng-long, dans une pièce de vers qu'il composa sur le thé: «Mettre sur un feu modéré un vase à trois pieds dont la couleur et la forme indiquent de longs services, le remplir d'une eau limpide de neige fondue, faire chauffer cette eau jusqu'au degré qui suffit pour blanchir le poisson et rougir le crabe, la verser aussitôt dans une tasse faite de terre de yué, sur les feuilles d'un thé choisi, l'y laisser en repos jusqu'à ce que les vapeurs, qui s'élèvent d'abord en abondance et forment des nuages épais, viennent à s'affaiblir peu à peu et ne sont plus que de légers brouillards sur la superficie; humer alors sans précipitation cette liqueur délicieuse, c'est travailler à écarter les cinq sujets d'inquiétude qui viennent ordinairement nous assaillir. On peut goûter, on peut sentir; mais on ne saurait exprimer cette douce tranquillité dont on est redevable à une boisson ainsi préparée.» Cette ode, et quelques autres traductions en français, valurent à Kieng-long une épitre de Voltaire dont voici quelques passages: Reçois mes compliments, charmant roi de la Chine Ton trône est donc placé sur la double colline! On sait dans l'Occident, que malgré mes travers, J'ai toujours fort aimé les rois qui font des vers. Ô toi que sur le trône un feu céleste enflamme, Dis-moi si le grand art dont nous sommes épris Est aussi difficile à Pékin qu'à Paris.