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Mondovino, MONDOVINO : Plus qu'un film sur le vin - part 2

MONDOVINO : Plus qu'un film sur le vin - part 2

La représentation d'un nouvel ordre des choses dans le monde du vin n'en est pas moins une critique lucide et virulente. Et au fil des rencontres qui nourrissent le film, le simple attachement de Nossiter à certains des personnages témoigne d'une affection manifeste, à la fois parce qu'ils sont de bons personnages de cinéma et parce qu'ils expriment une part de son point de vue. Ils incarnent ce qu'il a lui-même nommé « la résistance au fascisme du marketing ». Parallèlement à ses recherches, sillonnant les coulisses du monde du vin, Jonathan Nossiter regarde autour de lui, scrute les détails des demeures, des paysages, des mondes où on le laisse entrer, observe les interactions entre les gens… Si bien que le sujet du vin y agit comme un prisme, à travers lequel s'irisent d'autres dimensions de la réalité. C'est là l'une des forces uniques de Mondovino : par l'habileté, au montage, à faire parler « les voix du hasard », grâce à la récurrence de certains détails, aux choses qui adviennent et se correspondent en cours de tournage, l'arrière-plan des images et le fil du récit sont alors constamment habités par des réalités qui débordent le sujet, qui composent de multiples trames « secondaires ». Le film tisse ainsi des regards croisés sur la famille, l'histoire, la culture, les classes sociales, l'art, etc. Du petit vignoble à la multinationale existent différentes formes d'organisation du travail et de direction d'entreprise. Qui sont tous ces gens silencieux que le cinéaste croise à l'arrière-scène de la fabrication du vin ? Sans insister, il prend néanmoins la peine de s'adresser un moment au chauffeur de Michel Rolland, aux travailleurs mexicains en Californie, ou de cadrer dans l'arrière-plan les lents mouvements d'un ouvrier âgé qui répare une toiture, quand ce n'est pas une domestique qui curieusement semble faire exprès pour surgir maintes fois dans le cadre pendant une entrevue. Hubert de Montille, l'un des principaux personnages du film, accueille Nossiter chez lui comme s'il avait tout son temps à lui consacrer pour parler du vin, tandis qu'aux État-Unis, les rencontres passent d'abord par des relationnistes de presse. En Argentine, un paysan d'origine autochtone, vivant dans le plus grand dénuement, a su faire sienne la culture du vin venue d'Europe, et il cultive seul son modeste hectare de vignes, fier de sa résistance à l'expansion des grands propriétaires terriens. Par ailleurs le vin, on s'en rend vite compte, est souvent une histoire de famille. En France, les de Montille sont enracinés sur leurs grandes terres couvertes de vignes, la passion s'est transmise du père à ses enfants, mais on s'entredéchire sur la façon de construire l'avenir. Le père se réjouit que sa fille lui ressemble, non qu'ils aient les mêmes goûts, mais ils partagent une vision commune et reconnaissent la personnalité de chacun dans les vins qu'ils font. Mais c'est la tension constante avec le fils, indifférent aux valeurs du père, déterminé à prendre les moyens de répondre aux impératifs du nouveau marché. D'autres familles, comme les Rotschild, jouent leur histoire à une autre échelle, voire au sein de l'histoire de l'Europe. En Italie, deux familles florentines descendent de dynasties rivales depuis des siècles. Elles poursuivent leur concurrence dans les stratégies commerciales et les alliances avec de nouvelles dynasties, comme avec les Mondavi de Californie, sur le marché mondialisé du vin. Jadis, elles possédaient une partie du pays, aujourd'hui leur rayonnement est à l'image de cette globalisation qui aspire tout dans l'abstraction économique : l'une de ces familles a acheté tout un village médiéval, maintenant converti en attraction touristique. Encore une fois, dans le cas particulier de Mondovino , le supplément du DVD, avec le commentaire de Nossiter par-dessus le film en entier, constitue en soi une autre version essentielle du film. On y apprend que quelques temps après le tournage, les Mondavi, passés en bourse, ont perdu le contrôle de la société aux mains des actionnaires. Nossiter ne s'en réjouit pas, il remarque simplement et même s'en désole, que la logique économique de la mondialisation ait pu se retourner aussi contre les Mondavi, et leur enlever jusqu'au pouvoir sur leur propre nom. Mine de rien, suivant les détours du récit sur le marché du vin, le film expose ainsi une série de vibrants portraits de famille. Et un autre personnage vient souvent occuper sa place légitime dans ces portraits : le chien. On trouverait ordinairement la présence des chiens fortuite et simplement amusante sur les lieux de tournage d'un documentaire. Mais ici, l'attention qui leur est portée leur donne un rôle significatif : « Je n'aimais pas les chiens. Aujourd'hui, mon film est une lettre d'amour aux chiens du monde. (…) C'est lié à ce tournage qui, pour la première fois, a été une expérience de joie absolue. Je tenais la caméra, assisté seulement par deux amis cinéastes. On commençait la journée en buvant du vin - ce qui met de bonne humeur et aide à capter des choses qu'autrement on laisserait filer. Et moi, je voulais m'approcher de l'intimité de chacun, je cherchais le détail. Là, j'ai noté que les chiens entraient tout le temps dans mon cadre. Alors, je les évitais ! Peu à peu, j'ai compris qu'ils ne pouvaient pas être là par hasard ; j'ai vu leur sens de l'humour et constaté que leur présence était un vecteur d'amitié. J'ai commencé à les tolérer, puis à les suivre et à les aimer. Ils ont fini par s'imposer ! Et m'ont appris à mieux voir. (…) Et, comme à la fin du film, lorsque vous rencontrez dans un trou paumé un paysan argentin qui fait son vin à 6 euros et que vous appréciez son chien, qui s'appelle Luther King, eh bien, vous avez en effet toutes les chances de trouver son vin beau et noble ! Appréciez le chien, et vous risquez d'apprécier le vin. A partir de là, on peut voir aussi tout le film comme l'opposition de deux avenirs possibles : vivre dans un monde géré par la technique des experts ou bien guidé par notre instinct… animal. » Un autre thème important est celui de l'art. Il traverse le film à deux niveaux. D'abord le vin lui-même, dans son processus de création et sur la scène de son marché, peut être perçu comme une métaphore sur l'art en général. Sans que rien ne soit explicitement souligné, on voit s'incarner des enjeux artistiques tel le rapport entre modernité et tradition, entre héritage et invention, le sens d'une dimension personnelle dans l'oeuvre, en relation avec les éléments de la nature et un contexte culturel, puis les rapports troubles, dans la réception d'une oeuvre, entre la qualité objective, les goûts personnels, les règles du marché et l'influence des critiques. Mais aussi, subtilement, l'art s'insère dans les images, dans le décor, en arrière-plan des gens rencontrés. Nossiter est brillamment parvenu à cadrer certains personnages dans des univers esthétiques personnels. En y regardant de plus près, ces détails nous parlent de ces personnes, ils contribuent en quelque sorte à les définir. Des tableaux de la Renaissance et portraits des ancêtres ornent les murs de l'aristocratie italienne et française. Des peintures modernes complètent le mobilier ordonné du bureau d'un homme d'affaire de la nouvelle économie du vin. Chez le critique Robert Parker, on se permet de penser que son statut de « sommité du goût » est en contraste avec un décor kitsch, saturé d'ornements blanchâtres, où trône une collection de statuettes de bulldogs, à l'effigie du vieux compagnon qui arpente la maison en trahissant ses problèmes de flatulence devant la caméra. Aussi, le cinéaste ne manquera pas de cadrer à l'avant-plan une casquette du FBI qui traîne sur le bureau de Parker. Puis on rencontre un autre rapport à l'art, à l'histoire et à la culture chez une riche famille californienne, symbole du « monde nouveau ». Dans le jardin, où un robot nettoie la piscine, le cinéaste attire l'attention sur une sculpture assez insolite, au goût franchement douteux. Il demande à la femme de qui est cette oeuvre, « c'est une sculpture de … , il était l'artiste no. 1 en Californie » . « Était ? Comment a-t-il perdu son titre ? » , poursuit Nossiter. « Il est mort » , lui répond-t-elle.

L'esthétique de Mondovino peut surprendre et dérouter au premier abord. Cette facture visuelle du direct, plutôt erratique, avec petite caméra numérique au poing, est susceptible de donner le mal de mer à bien des spectateurs. Loin d'une photographie composée, d'une mise en scène calculée et de toute « hygiène technique », les images se déroulent avec leur lot d'imperfections : perte et reprise du foyer, cadrage qui bascule, tremblements, lumière inégale, ombres intrusives, zooms qui s'égarent… On pourrait croire aussi, dans une première impression de surface, que le film ne contient à peu près pas de « beaux plans », de ces tableaux cinématographiques sur lesquels on s'arrête. La caméra ne semble jamais vouloir s'immobiliser spécifiquement pour cadrer une belle image. On comprend pourtant, peu à peu, que ce désordre apparent, ces images un peu nerveuses et débridées, ne proviennent pas d'un manque de « professionnalisme » technique ni d'un effet de style forcé qui insisterait pour intégrer les accidents du tournage. Les images naissent simplement d'une façon absolument instinctive de filmer. La caméra est toujours en situation, avec le cinéaste (tenue par lui ou son assistante Stéphanie Pommez), elle suit, cherche, s'ajuste, elle saisit des choses au passage et finit néanmoins par créer un tableau riche et lumineux, de fortes impressions des lieux, des personnes, des paysages... Les qualités changeantes de la lumière sur les vallons couverts de vignes, les couleurs du vin, la mosaïque des physionomies, la grisaille de la vieille pierre en Europe et le ciel de cristal en Californie… Mondovino est bel et bien traversé de part en part par une beauté subtile, authentique, arrivant d'elle-même au coeur de l'action, presque inopportune. Et bien que non prémédité, tel angle de cadrage sur une personne, ou tel rapprochement de l'objectif sur un quelconque élément de l'arrière-plan, n'est pas non plus innocent et revient aussi à l'expression d'un point de vue. Nossiter en dit simplement : « je filme comme je sens ».

Vers la fin du film, le paysan argentin offre au cinéaste un verre de son vin blanc. Nossiter passe devant la caméra, le verre à la main, sous les derniers rayons chauds du jour, et prend une gorgée du liquide doré comme la lumière et où l'on sent la fraîcheur de l'ombre. On lui a demandé plus tard quel était le sens de l'expression sur son visage à ce moment, que pensait-il réellement du vin. Il a répondu : « Il goûte ce qu'on voit »

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MONDOVINO : Plus qu'un film sur le vin - part 2 MONDOVINO: More than a film about wine - part 2

La représentation d'un nouvel ordre des choses dans le monde du vin n'en est pas moins une critique lucide et virulente. Et au fil des rencontres qui nourrissent le film, le simple attachement de Nossiter à certains des personnages témoigne d'une affection manifeste, à la fois parce qu'ils sont de bons personnages de cinéma et parce qu'ils expriment une part de son point de vue. Ils incarnent ce qu'il a lui-même nommé « la résistance au fascisme du marketing ». Parallèlement à ses recherches, sillonnant les coulisses du monde du vin, Jonathan Nossiter regarde autour de lui, scrute les détails des demeures, des paysages, des mondes où on le laisse entrer, observe les interactions entre les gens… Si bien que le sujet du vin y agit comme un prisme, à travers lequel s'irisent d'autres dimensions de la réalité. C'est là l'une des forces uniques de Mondovino : par l'habileté, au montage, à faire parler « les voix du hasard », grâce à la récurrence de certains détails, aux choses qui adviennent et se correspondent en cours de tournage, l'arrière-plan des images et le fil du récit sont alors constamment habités par des réalités qui débordent le sujet, qui composent de multiples trames « secondaires ». Le film tisse ainsi des regards croisés sur la famille, l'histoire, la culture, les classes sociales, l'art, etc. Du petit vignoble à la multinationale existent différentes formes d'organisation du travail et de direction d'entreprise. Qui sont tous ces gens silencieux que le cinéaste croise à l'arrière-scène de la fabrication du vin ? Sans insister, il prend néanmoins la peine de s'adresser un moment au chauffeur de Michel Rolland, aux travailleurs mexicains en Californie, ou de cadrer dans l'arrière-plan les lents mouvements d'un ouvrier âgé qui répare une toiture, quand ce n'est pas une domestique qui curieusement semble faire exprès pour surgir maintes fois dans le cadre pendant une entrevue. Hubert de Montille, l'un des principaux personnages du film, accueille Nossiter chez lui comme s'il avait tout son temps à lui consacrer pour parler du vin, tandis qu'aux État-Unis, les rencontres passent d'abord par des relationnistes de presse. En Argentine, un paysan d'origine autochtone, vivant dans le plus grand dénuement, a su faire sienne la culture du vin venue d'Europe, et il cultive seul son modeste hectare de vignes, fier de sa résistance à l'expansion des grands propriétaires terriens. Par ailleurs le vin, on s'en rend vite compte, est souvent une histoire de famille. En France, les de Montille sont enracinés sur leurs grandes terres couvertes de vignes, la passion s'est transmise du père à ses enfants, mais on s'entredéchire sur la façon de construire l'avenir. Le père se réjouit que sa fille lui ressemble, non qu'ils aient les mêmes goûts, mais ils partagent une vision commune et reconnaissent la personnalité de chacun dans les vins qu'ils font. Mais c'est la tension constante avec le fils, indifférent aux valeurs du père, déterminé à prendre les moyens de répondre aux impératifs du nouveau marché. D'autres familles, comme les Rotschild, jouent leur histoire à une autre échelle, voire au sein de l'histoire de l'Europe. En Italie, deux familles florentines descendent de dynasties rivales depuis des siècles. Elles poursuivent leur concurrence dans les stratégies commerciales et les alliances avec de nouvelles dynasties, comme avec les Mondavi de Californie, sur le marché mondialisé du vin. Jadis, elles possédaient une partie du pays, aujourd'hui leur rayonnement est à l'image de cette globalisation qui aspire tout dans l'abstraction économique : l'une de ces familles a acheté tout un village médiéval, maintenant converti en attraction touristique. Encore une fois, dans le cas particulier de  Mondovino , le supplément du DVD, avec le commentaire de Nossiter par-dessus le film en entier, constitue en soi une autre version essentielle du film. On y apprend que quelques temps après le tournage, les Mondavi, passés en bourse, ont perdu le contrôle de la société aux mains des actionnaires. Nossiter ne s'en réjouit pas, il remarque simplement et même s'en désole, que la logique économique de la mondialisation ait pu se retourner aussi contre les Mondavi, et leur enlever jusqu'au pouvoir sur leur propre nom. Mine de rien, suivant les détours du récit sur le marché du vin, le film expose ainsi une série de vibrants portraits de famille. Et un autre personnage vient souvent occuper sa place légitime dans ces portraits : le chien. On trouverait ordinairement la présence des chiens fortuite et simplement amusante sur les lieux de tournage d'un documentaire. Mais ici, l'attention qui leur est portée leur donne un rôle significatif : «  Je n'aimais pas les chiens. Aujourd'hui, mon film est une lettre d'amour aux chiens du monde. (…) C'est lié à ce tournage qui, pour la première fois, a été une expérience de joie absolue. Je tenais la caméra, assisté seulement par deux amis cinéastes. On commençait la journée en buvant du vin - ce qui met de bonne humeur et aide à capter des choses qu'autrement on laisserait filer. Et moi, je voulais m'approcher de l'intimité de chacun, je cherchais le détail. Là, j'ai noté que les chiens entraient tout le temps dans mon cadre. Alors, je les évitais ! Peu à peu, j'ai compris qu'ils ne pouvaient pas être là par hasard ; j'ai vu leur sens de l'humour et constaté que leur présence était un vecteur d'amitié. J'ai commencé à les tolérer, puis à les suivre et à les aimer. Ils ont fini par s'imposer ! Et m'ont appris à mieux voir. (…) Et, comme à la fin du film, lorsque vous rencontrez dans un trou paumé un paysan argentin qui fait son vin à 6 euros et que vous appréciez son chien, qui s'appelle Luther King, eh bien, vous avez en effet toutes les chances de trouver son vin beau et noble ! Appréciez le chien, et vous risquez d'apprécier le vin. A partir de là, on peut voir aussi tout le film comme l'opposition de deux avenirs possibles : vivre dans un monde géré par la technique des experts ou bien guidé par notre instinct… animal. » Un autre thème important est celui de l'art. Il traverse le film à deux niveaux. D'abord le vin lui-même, dans son processus de création et sur la scène de son marché, peut être perçu comme une métaphore sur l'art en général. Sans que rien ne soit explicitement souligné, on voit s'incarner des enjeux artistiques tel le rapport entre modernité et tradition, entre héritage et invention, le sens d'une dimension personnelle dans l'oeuvre, en relation avec les éléments de la nature et un contexte culturel, puis les rapports troubles, dans la réception d'une oeuvre, entre la qualité objective, les goûts personnels, les règles du marché et l'influence des critiques. Mais aussi, subtilement, l'art s'insère dans les images, dans le décor, en arrière-plan des gens rencontrés. Nossiter est brillamment parvenu à cadrer certains personnages dans des univers esthétiques personnels. En y regardant de plus près, ces détails nous parlent de ces personnes, ils contribuent en quelque sorte à les définir. Des tableaux de la Renaissance et portraits des ancêtres ornent les murs de l'aristocratie italienne et française. Des peintures modernes complètent le mobilier ordonné du bureau d'un homme d'affaire de la nouvelle économie du vin. Chez le critique Robert Parker, on se permet de penser que son statut de « sommité du goût » est en contraste avec un décor kitsch, saturé d'ornements blanchâtres, où trône une collection de statuettes de bulldogs, à l'effigie du vieux compagnon qui arpente la maison en trahissant ses problèmes de flatulence devant la caméra. Aussi, le cinéaste ne manquera pas de cadrer à l'avant-plan une casquette du FBI qui traîne sur le bureau de Parker. Puis on rencontre un autre rapport à l'art, à l'histoire et à la culture chez une riche famille californienne, symbole du « monde nouveau ». Dans le jardin, où un robot nettoie la piscine, le cinéaste attire l'attention sur une sculpture assez insolite, au goût franchement douteux. Il demande à la femme de qui est cette oeuvre,  « c'est une sculpture de … , il était l'artiste no. 1 en Californie » . « Était ? Comment a-t-il perdu son titre ? » , poursuit Nossiter. « Il est mort » , lui répond-t-elle.

L'esthétique de  Mondovino peut surprendre et dérouter au premier abord. Cette facture visuelle du direct, plutôt erratique, avec petite caméra numérique au poing, est susceptible de donner le mal de mer à bien des spectateurs. Loin d'une photographie composée, d'une mise en scène calculée et de toute « hygiène technique », les images se déroulent avec leur lot d'imperfections : perte et reprise du foyer, cadrage qui bascule, tremblements, lumière inégale, ombres intrusives, zooms qui s'égarent… On pourrait croire aussi, dans une première impression de surface, que le film ne contient à peu près pas de « beaux plans », de ces tableaux cinématographiques sur lesquels on s'arrête. La caméra ne semble jamais vouloir s'immobiliser spécifiquement pour cadrer une belle image. On comprend pourtant, peu à peu, que ce désordre apparent, ces images un peu nerveuses et débridées, ne proviennent pas d'un manque de « professionnalisme » technique ni d'un effet de style forcé qui insisterait pour intégrer les accidents du tournage. Les images naissent simplement d'une façon absolument instinctive de filmer. La caméra est toujours en situation, avec le cinéaste (tenue par lui ou son assistante Stéphanie Pommez), elle suit, cherche, s'ajuste, elle saisit des choses au passage et finit néanmoins par créer un tableau riche et lumineux, de fortes impressions des lieux, des personnes, des paysages... Les qualités changeantes de la lumière sur les vallons couverts de vignes, les couleurs du vin, la mosaïque des physionomies, la grisaille de la vieille pierre en Europe et le ciel de cristal en Californie…  Mondovino est bel et bien traversé de part en part par une beauté subtile, authentique, arrivant d'elle-même au coeur de l'action, presque inopportune. Et bien que non prémédité, tel angle de cadrage sur une personne, ou tel rapprochement de l'objectif sur un quelconque élément de l'arrière-plan, n'est pas non plus innocent et revient aussi à l'expression d'un point de vue. Nossiter en dit simplement : « je filme comme je sens ».

Vers la fin du film, le paysan argentin offre au cinéaste un verre de son vin blanc. Nossiter passe devant la caméra, le verre à la main, sous les derniers rayons chauds du jour, et prend une gorgée du liquide doré comme la lumière et où l'on sent la fraîcheur de l'ombre. On lui a demandé plus tard quel était le sens de l'expression sur son visage à ce moment, que pensait-il réellement du vin. Il a répondu : « Il goûte ce qu'on voit »