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Carnet de voyages, Dernier chapitre

Dernier chapitre

Dernier chapitre Je n'ai pas pu tout raconter dans ce carnet de voyage. Il est si difficile de décrire par des mots les sentiments que j'ai éprouvés. Il est difficile de les transcrire sur une feuille de papier sans atténuer ou minimiser leur intensité. Je me suis contenté de raconter les évènements et faits de la vie quotidienne, en collant le plus possible à la réalité.

Pendant cette année, j'ai vécu et travaillé avec des gens de toutes classes sociales. Je me suis bien entendu avec beaucoup, j'ai entretenu des relations uniquement professionnelles avec quelques-uns et il y en a finalement très peu que je n'ai pas appréciés. J'ai visité l'île du nord au sud et d'est en ouest. Cette île, même si elle est la plus étendue de l'archipel, ne mesure que 16 km de long sur 13 km de large. Cependant, elle est riche de paysages très différents. On peut la diviser en deux parties séparées par une zone centrale délimitée à l'ouest par la ligne de crêtes reliant les Monts Verne au Mont du Mischief et limitée à l'est par le massif des aiguilles. A l'est de cette zone, le relief est caractérisé par des lignes de crêtes et d'énormes plateaux basaltiques inclinés vers la mer et entaillés de vallées glaciaires. Impossible de dire combien de fois j'ai traversé ces plateaux constitués de bancs rocheux et d'éboulis, vestiges de l'activité volcanique primitive. Combien de fois j'ai dévalé et gravi les fortes pentes des vallées creusées en forme de U par le processus d'érosion des glaciers primitifs. Leurs noms resteront gravés à jamais dans ma mémoire : la Vallée des Branloires, la Vallée des Géants, la Hébé, le Petit Caporal ou celle de la rivière du camp. J'ai sué sang et eau sur les pentes des petits volcans effusifs nés il y a des millions d'années et endormis à jamais. Ce ne sont maintenant que des cônes de lave aux formes douces et aux couleurs chaudes qui décorent les vastes plateaux monotones et gris, tels le Mont Branca situé juste derrière la base, le Morne rouge qui surplombe la plage de BUS et le monticule de scories assis au centre de la Vallée des Branloires. Les lignes de crêtes, aiguisées par les anciens glaciers dominent ces grandes étendues. C'est là que le sommet de l'île, le Pic du Mascarin écrase l'île de toute sa hauteur. Lorsque j'ai découvert pour la première fois la partie occidentale formée d'un vaste plateau incliné de 40 degrés vers la mer, j'ai été subjugué par ces espèces d'écailles de pierres formées par les strates de basaltes donnant un aspect particulier à cette région au relief incisé. Ces énormes écailles qui plongent dans la mer et dont le profil dessine parfois des personnages comme l'atteste la toponymie en nommant ces rochers, les rochers des Moines. Je me suis égaré si souvent dans les étendues immenses formées des épanchements de laves, vieux de millions d'années, et qui comblent maintenant les vallées latérales. Ces longues vallées à la fois si semblables de par leur forme, mais si différentes par leur végétation. Parfois, cette dernière masque la roche lisse et plissée typique des coulées de lave. D'autres fois un épais tapis végétal les recouvre laissant la roche noire et abrasive affleurer par endroit. De nombreux petits cônes rouges aux formes fraîches du Mont des cratères, de la ligne de crête, foyers des dernières manifestations volcaniques, offre un paysage typiquement lunaire avec un relief doux mais vallonné.

On a souvent décrit les îles Crozet comme des cailloux posés sur l'eau et sur lesquels, rien ne pousse. Il n'existe aucun arbre, c'est vrai, mais les champignons, les lichens et les fougères sont représentés par de nombreuses espèces. Je n'ai bien sûr jamais goûté au chou de Kerguelen, pourtant riche en vitamine C, qui protège du scorbut, et qui n'existe qu'en petite quantité. Combien de fois me suis-je allongé sur les tapis d'herbes où la plante dominante, l'Acoena, rosacée basse, présente partout et qui n'a aucune exigence particulière, m'offrait un lit végétal moelleux et douillet. Quelles sensations particulières sous mes mains que je posais délicatement sur les coussins verts d'Azorelle, si fragiles et dont le développement n'est pas assuré bien que l'on en rencontre beaucoup. Quelles sensations encore, mais cette fois plus désagréable quand je mettais le pied dans une souille, surface sur laquelle vous vous enfoncez de 30 à 40 cm ou plus. Quand vous marchez dans une souille, vous entendez un bruit glissant et visqueux, la souille dégageant une odeur de pourriture, de moisi et d'humus. Mais le pire c'est quand la souille est trop profonde et que vous vous enfoncez jusqu'à ce que l'eau finisse par entrer dans vos bottes ! Estimez-vous heureux si vous pouvez vous extirper de ce piège sans y laisser une de vos bottes.

J'ai côtoyé d'innombrables animaux, partagé parfois leurs jeux. J'ai rencontré le maître des lieux : le grand albatros qui peut atteindre une envergure de trois mètres et qui peut parcourir en mer près de 10 000 km en une semaine, utilisant les vents qui règnent continuellement dans la région. J'ai pu admirer leurs parades nuptiales faites de danses majestueuses, ailes grandes ouvertes, en de nombreuses occasions. La formation d'un couple peut prendre plusieurs années, mais une fois formé, ce couple ne se rompt qu'à la mort de l'un des deux conjoints. J'ai approché leur unique poussin qui trône fièrement sur son nid haut de trente à quarante centimètres, fait de branchages et de brindilles. Je me suis frayé mon chemin au milieu des manchots royaux peuplant les nombreuses colonies de l'île fortes de 20 000 à 100 000 individus. Bien qu'ils ne soient pas aussi médiatisés que les manchots empereurs qui résident en antarctique, les manchots royaux restent les animaux préférés des hivernants. J'ai aussi découvert que cette espèce de manchots n'était pas unique sur l'île où l'on trouve aussi des manchots papous plus petits qui vivent par petits groupes de 10 à 20 et que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans de larges prairies humides. D'autres espèces de manchots cohabitent paisiblement tels les gorfous sauteurs et les gorfous dorés qui se distinguent par une aigrette jaune sur la tête. En de maintes occasions je me suis approché aussi près que possible de ces pacifiques et peu farouches animaux, tout en gardant mes distances pour éviter coups de becs et d'ailerons. Enfin, le plus gros de tous les mammifères, hormis l'éléphant de mer présent partout sur l'île, est sans conteste l'orque, leur prédateur principal, ainsi que celui des manchots. J'ai eu l'immense privilège de les approcher de près alors qu'ils patrouillaient par bande de trois ou quatre. Cette île, je sais que je ne la reverrai plus, hormis peut-être dans mes rêves. Je sais qu'elle va me hanter pendant des années. Le chagrin que j'éprouve à la quitter s'atténuera probablement au fil du temps, mais j'aurai toujours une place pour elle dans mon coeur. Je quitte maintenant le Marion chargé de souvenirs. En retrouvant ma famille, je revis les moments de solitude que j'ai parfois ressentis dans ma chambre quand le vent m'empêchait de dormir et que mes pensées étaient tournées vers eux. J'imagine à quel point mon absence a dû leur peser. Je suis reconnaissant envers ma femme de ne pas avoir retranscrit dans ses courriers cette solitude et les inquiétudes qu'elle a endurées. Grâce à elle, mon séjour a été plus facile.

Toutes ces journées racontées dans ce carnet de voyage resteront gravées à jamais dans ma mémoire et je souhaite à tous les futurs hivernants de vivre les mêmes moments que moi, bons ou mauvais…

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Dernier chapitre Je n'ai pas pu tout raconter dans ce carnet de voyage. Il est si difficile de décrire par des mots les sentiments  que j'ai éprouvés. Il est difficile de les transcrire sur une feuille de papier sans atténuer ou minimiser leur intensité. Je me suis contenté de raconter les évènements et faits de la vie quotidienne, en collant le plus possible à la réalité.

Pendant cette année, j'ai vécu et travaillé avec des gens de toutes classes sociales. Je me suis bien entendu avec beaucoup, j'ai entretenu des relations uniquement professionnelles avec quelques-uns et il y en a finalement très peu que je n'ai pas appréciés. J'ai visité l'île du nord au sud et d'est en ouest. Cette île, même si elle est la plus étendue de l'archipel, ne mesure que 16 km de long sur 13 km de large. Cependant, elle est riche de paysages très différents. On peut la diviser en deux parties séparées par une zone centrale délimitée à l'ouest par la ligne de crêtes reliant les Monts Verne au Mont du Mischief et limitée à l'est par le massif des aiguilles. A l'est de cette zone, le relief est caractérisé par des lignes de crêtes et d'énormes plateaux basaltiques inclinés vers la mer et entaillés de vallées glaciaires. Impossible de dire combien de fois j'ai traversé ces plateaux constitués de bancs rocheux et d'éboulis, vestiges de l'activité volcanique primitive. Combien de fois j'ai dévalé et gravi les fortes pentes des vallées creusées en forme de U par le processus d'érosion des glaciers primitifs. Leurs noms resteront gravés à jamais dans ma mémoire : la Vallée des Branloires, la Vallée des Géants, la Hébé, le Petit Caporal ou celle de la rivière du camp. J'ai sué sang et eau sur les pentes des petits volcans effusifs nés il y a des millions d'années et endormis à jamais. Ce ne sont maintenant que des cônes de lave aux formes douces et aux couleurs chaudes qui décorent les vastes plateaux monotones et gris, tels le Mont Branca situé juste derrière la base, le Morne rouge qui surplombe la plage de BUS et le monticule de scories assis au centre de la Vallée des Branloires. Les lignes de crêtes, aiguisées par les anciens glaciers dominent ces grandes étendues. C'est là que le sommet de l'île, le Pic du Mascarin écrase l'île de toute sa hauteur. Lorsque j'ai découvert pour la première fois la partie occidentale formée d'un vaste plateau incliné de 40 degrés vers la mer, j'ai été subjugué par ces espèces d'écailles de pierres formées par les strates de basaltes donnant un aspect particulier à cette région au relief incisé. Ces énormes écailles qui plongent dans la mer et dont le profil dessine parfois des personnages comme l'atteste la toponymie en nommant ces rochers, les rochers des Moines. Je me suis égaré si souvent dans les étendues immenses formées des épanchements de laves, vieux de millions d'années, et qui comblent maintenant les vallées latérales. Ces longues vallées à la fois si semblables de par leur forme, mais si différentes par leur végétation. Parfois, cette dernière masque la roche lisse et plissée typique des coulées de lave. D'autres fois un épais tapis végétal les recouvre laissant la roche noire et abrasive affleurer par endroit. De nombreux petits cônes rouges aux formes fraîches du Mont des cratères, de la ligne de crête, foyers des dernières manifestations volcaniques, offre un paysage typiquement lunaire avec un relief doux mais vallonné.

On a souvent décrit les îles Crozet comme des cailloux posés sur l'eau et sur lesquels, rien ne pousse. Il n'existe aucun arbre, c'est vrai, mais les champignons, les lichens et les fougères sont représentés par de nombreuses espèces. Je n'ai bien sûr jamais goûté au chou de Kerguelen, pourtant riche en vitamine C, qui protège du scorbut, et qui n'existe qu'en petite quantité. Combien de fois me suis-je allongé sur les tapis d'herbes où la plante dominante, l'Acoena, rosacée basse, présente partout et qui n'a aucune exigence particulière, m'offrait un lit végétal moelleux et douillet. Quelles sensations particulières sous mes mains que je posais délicatement sur les coussins verts d'Azorelle, si fragiles et dont le développement n'est pas assuré bien que l'on en rencontre beaucoup. Quelles sensations encore, mais cette fois plus désagréable quand je mettais le pied dans une souille, surface sur laquelle vous vous enfoncez de 30 à 40 cm ou plus. Quand vous marchez dans une souille, vous entendez un bruit glissant et visqueux, la souille dégageant une odeur de pourriture,  de moisi et d'humus. Mais le pire c'est quand la souille est trop profonde et que vous vous enfoncez jusqu'à ce que l'eau finisse par entrer dans vos bottes ! Estimez-vous heureux si vous pouvez vous extirper de ce piège sans y laisser une de vos bottes.

J'ai côtoyé d'innombrables animaux, partagé parfois leurs jeux. J'ai rencontré le maître des lieux : le grand albatros qui peut atteindre une envergure de trois mètres et qui peut parcourir en mer près de 10 000 km en une semaine, utilisant les vents qui règnent continuellement dans la région. J'ai pu admirer leurs parades nuptiales faites de danses majestueuses, ailes grandes ouvertes, en de nombreuses occasions. La formation d'un couple peut prendre plusieurs années, mais une fois formé, ce couple ne se rompt qu'à la mort de l'un des deux conjoints. J'ai approché leur unique poussin qui trône fièrement sur son nid haut de trente à quarante centimètres, fait de branchages et de brindilles. Je me suis frayé mon chemin au milieu des manchots royaux peuplant les nombreuses colonies de l'île fortes de 20 000 à 100 000 individus. Bien qu'ils ne soient pas aussi médiatisés que les manchots empereurs qui résident en antarctique, les manchots royaux restent les animaux préférés des hivernants. J'ai aussi découvert que cette espèce de manchots n'était pas unique sur l'île où l'on trouve aussi des manchots papous plus petits qui vivent par petits groupes de 10 à 20 et que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans de larges prairies humides. D'autres espèces de manchots cohabitent paisiblement tels les gorfous sauteurs et les gorfous dorés qui se distinguent par une aigrette jaune sur la tête. En de maintes occasions je me suis approché aussi près que possible de ces pacifiques et peu farouches animaux, tout en gardant mes distances pour éviter coups de becs et d'ailerons. Enfin, le plus gros de tous les mammifères, hormis l'éléphant de mer présent partout sur l'île, est sans conteste l'orque, leur prédateur principal, ainsi que celui des manchots. J'ai eu l'immense privilège de les approcher de près alors qu'ils patrouillaient par bande de trois ou quatre. Cette île, je sais que je ne la reverrai plus, hormis peut-être dans mes rêves. Je sais qu'elle va me hanter pendant des années. Le chagrin que j'éprouve à la quitter s'atténuera probablement au fil du temps, mais j'aurai toujours une place pour elle dans mon coeur. Je quitte maintenant le Marion chargé de souvenirs. En retrouvant ma famille, je revis les moments de solitude que j'ai parfois ressentis dans ma chambre quand le vent m'empêchait de dormir et que mes pensées étaient tournées vers eux. J'imagine à quel point mon absence a dû leur peser. Je suis reconnaissant envers ma femme de ne pas avoir retranscrit dans ses courriers cette solitude et les inquiétudes qu'elle a endurées. Grâce à elle, mon séjour a été plus facile.

Toutes ces journées racontées dans ce carnet de voyage resteront gravées à jamais dans ma mémoire et je souhaite à tous les futurs hivernants de vivre les mêmes moments que moi, bons ou mauvais…