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Conversation en Français, L'ARLÉSIENNE 2

Bonjour. dans la série des lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet, voilà la deuxième partie de l'arlésienne. Jan ne parla plus de l'Arlésienne. Il l'aimait toujours cependant, et même plus que jamais, depuis qu'on la lui avait montrée dans les bras d'un autre. Seulement il était trop fier pour rien dire; c'est ce qui le tua, le pauvre enfant!... Quelquefois, il passait des journées entières seul dans un coin, sans bouger. D'autres jours, il se mettait à la terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers (ouvriers) ... Le soir venu, prenait la route d'Arles et marchait devant lui jusqu'à ce qu'il vît monter dans le couchant les clochers (toits des église) grêles (long et fin) de la ville. Alors, il revenait. Jamais il n'alla plus loin. De le voir ainsi, toujours triste et seul, les gens du mas ne savaient plus que faire. On redoutait un malheur... Une fois, à table, sa mère, en le regardant avec des yeux pleins de larmes, lui dit: -Eh bien! Écoute, Jan, si tu la veux tout de même, nous te la donnerons... Le père, rouge de honte, baissait la tête... Jan fit signe que non, et il sortit... A partir de ce jour, il changea sa façon de vivre, affectant d'être toujours gai, pour rassurer ses parents. On le revit au bal, au cabaret, dans les ferrades (fêtes provençales). À la vote (réunion) de Fontvieille, c'est lui qui mena la farandole (danse Provençale). Le père disait: «Il est guéri.» La mère, elle, avait toujours des craintes et plus que jamais surveillait son enfant... Jan couchait avec Cadet, tout près de la magnanerie (local ou on pratique l'élevage des vers à soie) ; la pauvre vieille se fit dresser un lit à côté de leur chambre... Les magnans ( ceux qui élèvent les vers à soies ) pouvaient avoir besoin d'elle, dans la nuit. Vint la fête de saint Éloi (fêtes des ménagers) , patron des ménagers. Grande joie au mas... Il y eut du Châteauneuf (vin des côtes du Rhône) pour tout le monde et du vin cuit comme s'il en pleuvait. Puis des pétards, des feux sur l'aire , des lanternes de couleur plein les micocouliers... Vive saint Éloi! On farandola (on dansa la farandole) à mort. Cadet brûla sa blouse neuve... Jan lui-même avait l'air content; il voulut faire danser sa mère; la pauvre femme en pleurait de bonheur. À minuit, on alla se coucher. Tout le monde avait besoin de dormir... Jan ne dormit pas, lui. Cadet a raconté depuis que toute la nuit il avait sangloté... Ah! je vous réponds qu'il était bien mordu, celui-là... Le lendemain, à l'aube, la mère entendit quelqu'un traverser sa chambre en courant. Elle eut comme un pressentiment: -Jan, c'est toi? Jan ne répond pas; il est déjà dans l'escalier. Vite, vite la mère se lève: -Jan, où vas-tu? Il monte au grenier; elle monte derrière lui: -Mon fils, au nom du ciel! Il ferme la porte et tire le verrou. -Jan, mon Janet, réponds-moi. Que vas-tu faire?

A tâtons, de ses vieilles mains qui tremblent, elle cherche le loquet... Une fenêtre qui s'ouvre, le bruit d'un corps sur les dalles de la cour, et c'est tout... Il s'était dit, le pauvre enfant: «Je l'aime trop... Je m'en vais...» Ah! Misérables coeurs que nous sommes! C'est un peu fort pourtant que le mépris ne puisse pas tuer l'amour!... Ce matin-là, les gens du village se demandèrent qui pouvait crier ainsi, là-bas, du côté du mas d'Estève... C'était dans la cour, devant la table de pierre couverte de rosée (condensation de la vapeur d'eau et dépôt de fines goulettes d'eau) et de sang, la mère toute nue qui se lamentait, avec son enfant mort sur les bras. Voilà c'est la fin de la deuxième partie de l'arlésienne...

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Bonjour. dans la série des lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet, voilà la deuxième partie de l'arlésienne.

Jan ne parla plus de l'Arlésienne. Il l'aimait toujours cependant, et même plus que jamais, depuis qu'on la lui avait montrée dans les bras d'un autre. Seulement il était trop fier pour rien dire; c'est ce qui le tua, le pauvre enfant!... Quelquefois, il passait des journées entières seul dans un coin, sans bouger. D'autres jours, il se mettait à la terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers (ouvriers) ... Le soir venu, prenait la route d'Arles et marchait devant lui jusqu'à ce qu'il vît monter dans le couchant les clochers (toits des église) grêles (long et fin) de la ville. Alors, il revenait. Jamais il n'alla plus loin.

De le voir ainsi, toujours triste et seul, les gens du mas ne savaient plus que faire. On redoutait un malheur... Une fois, à table, sa mère, en le regardant avec des yeux pleins de larmes, lui dit:

-Eh bien! Écoute, Jan, si tu la veux tout de même, nous te la donnerons...
Le père, rouge de honte, baissait la tête...
Jan fit signe que non, et il sortit...
A partir de ce jour, il changea sa façon de vivre, affectant d'être toujours gai, pour rassurer ses parents. On le revit au bal, au cabaret, dans les ferrades (fêtes provençales). À la vote (réunion) de Fontvieille, c'est lui qui mena la farandole (danse Provençale).

Le père disait: «Il est guéri.» La mère, elle, avait toujours des craintes et plus que jamais surveillait son enfant... Jan couchait avec Cadet, tout près de la magnanerie (local ou on pratique l'élevage des vers à soie) ; la pauvre vieille se fit dresser un lit à côté de leur chambre... Les magnans ( ceux qui élèvent les vers à soies ) pouvaient avoir besoin d'elle, dans la nuit.

Vint la fête de saint Éloi (fêtes des ménagers) , patron des ménagers. Grande joie au mas... Il y eut du Châteauneuf (vin des côtes du Rhône) pour tout le monde et du vin cuit comme s'il en pleuvait. Puis des pétards, des feux sur l'aire , des lanternes de couleur plein les micocouliers... Vive saint Éloi! On farandola (on dansa la farandole) à mort. Cadet brûla sa blouse neuve... Jan lui-même avait l'air content; il voulut faire danser sa mère; la pauvre femme en pleurait de bonheur.

À minuit, on alla se coucher. Tout le monde avait besoin de dormir... Jan ne dormit pas, lui. Cadet a raconté depuis que toute la nuit il avait sangloté... Ah! je vous réponds qu'il était bien mordu, celui-là...

Le lendemain, à l'aube, la mère entendit quelqu'un traverser sa chambre en courant. Elle eut comme un pressentiment:
-Jan, c'est toi?
Jan ne répond pas; il est déjà dans l'escalier.
Vite, vite la mère se lève:
-Jan, où vas-tu?
Il monte au grenier; elle monte derrière lui:
-Mon fils, au nom du ciel!
Il ferme la porte et tire le verrou.
-Jan, mon Janet, réponds-moi. Que vas-tu faire?

A tâtons, de ses vieilles mains qui tremblent, elle cherche le loquet... Une fenêtre qui s'ouvre, le bruit d'un corps sur les dalles de la cour, et c'est tout...
Il s'était dit, le pauvre enfant: «Je l'aime trop... Je m'en vais...» Ah! Misérables coeurs que nous sommes! C'est un peu fort pourtant que le mépris ne puisse pas tuer l'amour!...
Ce matin-là, les gens du village se demandèrent qui pouvait crier ainsi, là-bas, du côté du mas d'Estève...
C'était dans la cour, devant la table de pierre couverte de rosée (condensation de la vapeur d'eau et dépôt de fines goulettes d'eau) et de sang, la mère toute nue qui se lamentait, avec son enfant mort sur les bras.

Voilà c'est la fin de la deuxième partie de l'arlésienne...