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FrenchLingQ, #14 Marc, owner of Sophia Bookstore

#14 Marc, owner of Sophia Bookstore

S: Bonjour Marc!

Je suis ici dans un café, à Vancouver, où on est entourés d'étudiants de langues et j'ai avec moi, aujourd'hui, Marc Fournier qui est propriétaire de la Sophia Book Store qui est spécialisée dans l'apprentissage des langues, n'est-ce pas? M.F. : Absolument! La librairie Sophia est une librairie multilingue pour les langues parlées et les langues visuelles aussi.

S : Mais je crois que puisque nous sommes Canadiens nous parlons beaucoup au sujet des langues. Parce que, au Canada, les langues c'est de la politique et c'est peut-être un des problèmes ou une des raisons pour lesquelles les anglophones surtout ne sont pas très bilingues. M.F. : C'est vrai. Et c'est d'autant plus évident lorsqu'il y a des Européens qui viennent visiter et s'attendent à ce que partout au Canada on parle Français. Ils sont toujours légèrement déçus, bien évidemment. Ce sont des raisons historiques. Techniquement, le Français aurait dû disparaître au Canada parce que, lorsque la France a plus ou moins abandonné sa colonie, l'Angleterre l'a reprise et il y avait cette petite poche de francophones à l'intérieur d'une mer anglophone. Ce qui est arrivé historiquement, c'est que les anglophones ont fait du business et les francophones ont fait des bébés. Donc c'est ce qu'on appelle la « revanche des berceaux ». Et, tout à coup, on s'est retrouvé avec une énorme population qui parlait français et il fallait donc faire quelque chose avec cette population. S : Je crois que le moment où on a commencé à faire quelque chose avec cette population, dans un sens pour les gens de ma génération, c'est dans les années soixante quand on a eu les changements politiques au Québec. Je me rappelle très bien qu'à Montréal, dans les années cinquante, on n'avait pas besoin du Français. Je suis anglophone, j'ai grandi à Montréal, je ne parlais pas Français et autour de moi, il n'y avait personne qui parlait Français. Alors qu'aujourd'hui je crois que les anglophones au Québec sont parmi les plus bilingues au Canada parce qu'il s'es créé une nécessité d'apprendre la langue qui n'existait pas avant. M.F. : C'est vrai. Justement, cet essor du Français et pas seulement de la langue elle-même mais de toutes ces composantes artistiques comme le cinéma, la musique et les arts en général et puis, bien évidemment, avec la loi sur les langues officielles au Canada ont fait en sorte que le Français a continué mais ça reste une bataille de toute part. Et on remarque de cycles… Quelqu'un pourrait dire qu'il y a dix ans, un anglophone se devait de comprendre le Français pour vivre à Montréal. Ce n'est peut-être plus le cas aujourd'hui. Et là, il y une autre vague d'immigrants, de gens qui viennent d'ailleurs et eux, bien évidemment, veulent apprendre l'Anglais au départ, on leur force à apprendre le Français… C'est assez compliqué tout ça, ce qui fait que, bizarrement au Canada, langue = politique beaucoup plus que langue = culture ou ouverture d'esprit. S : Mais il faut dire quand même que, si on voit le cas de l'Anglais, bien sur il y a des gens qui apprennent l'Anglais pour des raisons culturelles, Pop Culture ou n'importe quoi, mais pour beaucoup de monde c'est une nécessité économique, commerciale, pour leur travail. Donc ce n'est pas évident que les gens apprennent les langues pour des raisons culturelles. Ça peut être une raison pour beaucoup de personnes mais peut-être pas pour la majorité. Au moins pas dans le cas de l'Anglais, je crois. M.F. : Pour une deuxième langue, non. Pour une troisième langue, une quatrième langue, oui! Mais, ce qui est étonnant, ce qui arrive à l'Anglais, c'est que c'est une langue extrêmement riche au niveau vocabulaire mais c'est une langue qui s'appauvrit d'année en année parce que, tout simplement au niveau arithmétique, plus de gens la parle moyennement, plus une langue s'appauvrit. Donc on va se retrouver avec, on peut peut-être faire une prédiction mais disons dans cinquante ans, l'Anglais qui sera une langue presque informatique d'une certaine façon, utilisée spécialement dans les affaires, le business et je crois que chaque langue est en train de se creuser un petit créneau très personnel et les clichés vont vivre très longtemps. C'est clair que lorsqu'on est dans des classes comme on a autour de nous ici, il y beaucoup d'étudiants qui viennent d'Asie et beaucoup ne savent pas que le Français est une langue officielle du pays et sont étonnés de l'entendre. Mais lorsqu'ils ont des élèves qui sont francophones dans leur classe, tout de suite, c'est le cliché « romantique ». Et dans tout ça, il y a quelque chose qui va perdurer mais il y un moment où, moi je ne crois pas que toutes les langues vont se mélanger et qu'on va se retrouver avec un Esperanto technologique, ça je n'y crois pas du tout. Il y simplement des mouvements. On voit aux Etats-Unis que l'Espagnol prend de l'ampleur, ce sera une autre langue plus tard. C'est le mouvement des langues. Et une langue vivante est une langue qui peut changer.

S : Et toi, ici par exemple à Vancouver qui est un monde anglophone, tu ne fais pas nécessairement la promotion du Français mais tu fais un peu la promotion de toutes les langues. Mais je crois qu'en ce qui concerne le Français, tu es particulièrement impliqué. M.F. : Oui, bien sur. Parce que, premièrement, c'est ma langue natale, ma langue maternelle, mais aussi parce que c'est étonnant ici, en Colombie-Britannique, je dirais depuis le début du siècle jusqu'aux années quatre-vingt, c'était une société très anglophone unilingue et on ne comprenait pas très bien l'idée du bilinguisme avec des pensées un petit peu étranges dans le genre « Ça coûte beaucoup trop cher d'imprimer les deux langue sur un empaquetage. » Et, ensuite, il y a eu cette grande vague d'immigration de gens qui viennent d'autres pays, qui parlent deux ou trois langues et qui s'aperçoivent qu'on leur dit qu'il y a une éducation gratuite, publique dans les deux langues ici et eux sautent sur l'occasion. Et, donc, le futur du Français appartient beaucoup aux communautés asiatiques qui viennent s'établir ici pour des raisons de travail. On a beau apprendre l'Anglais mais, pour avoir un meilleur emploi, au gouvernement par exemple, le fait d'avoir le Français en plus est un atout. Donc, on va se retrouver où on aura une population qui aura passé de l'unilinguisme Anglais à un trilinguisme minimum, sans vraiment passer par le bilinguisme. Et ça, c'est assez étonnant, et c'est dans un court laps de temps. S : Mais il n'y a pas que les nouveaux venus qui apprennent le Français. Par exemple, mes petits-enfants vont à l'école d'immersion et je crois qu'il y a quand mëme beaucoup d'anglophones qui y envoient leurs enfants et c'est très populaire. Et je crois qu'il y a des queues d'attente pour faire entrer ces enfants aux écoles d'immersion. Alors, ça aussi c'est un phénomène assez nouveau. M.F. : Oui! C'est un autre volet de la raison pour laquelle moi, au niveau du Français, ayant une librairie, je suis fournisseur à toutes ces écoles et à tous ces élèves qui apprennent le Français. Et je crois que, tout à coup, un peu comme les Italiens qui sont arrivés dans les années cinquante et qui ont voulu que leurs enfants s'assimilent le plus rapidement possible ont cessé de parler Italien à leurs enfants. Les enfants de ces enfants vont maintenant à l'école pour apprendre l'Italien parce que ces gens se disent « C'est con! Mes parents parlaient une langue et ils auraient pu me la transmettre… » Et puis ça a été oblitéré pour des raisons souvent financières. La culture, ça passe avant. On se trouve un bon emploi, une maison et tout, on réussi le rêve américain et on laisse tomber, et on se rend compte que c'est une grande richesse. Donc, je crois qu'il y a eu aussi ce revirement de la part de la communauté anglophone qui se dit « Eh bien, voilà! C'es excellent, ça! Deux langues, profitons-en! » S : Il n'empêche quand même que nous dépensons, j'ai vu les chiffres au Canada, des milliards de dollars pour l'enseignement du Français à l'école, pour les fonctionnaires, etcetera, mais que le taux de bilinguisme est en baisse. Et je vois notre commissaire des langues officielles qui propose que, par exemple, tout diplômé d'université doive pouvoir parler Français avant d'avoir son diplôme ou qu'il faut un nouveau test, etcetera. Mais tout ça, à mon avis, ne va rien changer! Parce qu'il faut motiver les gens, parce que les gens qui ne sont pas motivés… Comme tu sais, j'ai LingQ et nous sommes très préoccupés par ce problème de la motivation et comment on peut rendre l'apprentissage d'une langue plus à propos. C'est ça, finalement. Parce que, si la personne est motivée, elle va apprendre. Mais ce n'est pas en imposant des obligations en disant « Apprends le Français parce que c'est ton obligation comme Canadien! » Mais ça ne marche pas ça, ça n'a pas de sens. M.F. : Non. Je suis parfaitement d'accord. J'étais plus d'accord avant. Moi, j'ai toujours eu comme principe que lorsqu'on est obligé d'imposer légalement, avec les lois, l'apprentissage d'une langue, c'est que cette langue est déjà en train de disparaître. Mais l'Histoire nous raconte quelque chose assez différemment au Québec, je crois, où on a imposé aux nouveaux immigrants d'apprendre le Français et c'est ce qui a plus ou moins permis un deuxième essor de la langue. Donc je crois que la raison principale doit être une question de motivation et d'intérêt, ça c'est clair. C'est souvent à cause d'un voyage, ou à cause d'un compagnon ou d'une compagne mais je crois qu'il est important qu'il y ait un certain encadrement au niveau politique pour permettre un suivi à ça. Il y a beaucoup de boulot à faire.

S : Mais je crois qu'au Québec, à mon avis, ce qui a été le plus important, c'était l'imposition du Français au niveau du travail. Donc chaque société qui a plus de dix, quinze, vingt ou cinquante employés doit fonctionner en Français. Donc, à ce moment là, pour les anglophones, pour avoir un emploi, il faut savoir parler Français. Ce n'est pas parce que l'on va vous donner un test et vous êtes obligés d'avoir une bonne note sur le test sinon, quoi, on vous envoie en prison, enfin… Non, il faut qu'il y ait une raison pratique pour apprendre ces langues. Et ça c'est difficile de l'imposer ici. Bon, si vous apprenez le Français, vous pouvez travailler au fédéral. Mais ce n'est pas tout le monde qui va travailler au fédéral, quand même! M.F. : Oui. Chacun a ses raisons. Ici ça peut être le Français… Au niveau économique, c'est beaucoup la Chine, le Chinois. On veut apprendre le Chinois. La librairie, lorsqu'elle a été fondée par mon beau-père qui est venu du Japon en 1975, il a ouvert une librairie japonaise à Vancouver… C'était un pari un peu fou parce que, à l'époque, on avait beau être sur le bord du Pacifique, les gens avaient très peu envers l'Asie. On sortait de la Deuxième Guerre Mondiale et avec ce qu'on a fait aux Canadiens d'origine japonaise, c'est assez éloquent. Mais, donc, il a fait un travail de pionnier. Et, à l'époque, pendant plusieurs années, il a été le seul fournisseur de produits pour apprendre le Japonais en Amérique. Il fournissait toutes les universités américaines. Et donc, là il y a un cycle qui est différent. C'est le cycle du Chinois. Et dans quelques années, il y aura un autre cycle. Ce sont pour des raisons économiques, bien sur. Mais les raisons personnelles, c'est très différent. S : De toute façon, je crois que l'on peut discuter, être d'accord sur certains points et pas d'accord sur d'autres points en ce qui concerne la politique linguistique au Canada mais je crois que nous sommes d'accord qu'apprendre une autre langue apporte beaucoup de richesse. Ça peut être une richesse culturelle, sociale, économique… Enfin, il y a beaucoup à gagner par l'apprentissage des langues et toi, de ton côté, tu travailles pour ce but et, moi, je fais la même chose sur Internet. C'est toujours un grand plaisir de pouvoir discuter de ces sujets. M.F. : Et puis, il y a un truc qu'il ne faut pas oublier non plus. C'est qu'en apprenant une autre langue, on apprend la sienne une deuxième fois et ça, c'est très important. On ne peut pas comprendre aussi bien notre langue maternelle jusqu'à ce qu'on en apprenne une deuxième ou une troisième. Et ça c'est une richesse, il n'y a aucun cours qui peut expliquer ça. S : Oui. Je suis entièrement d'accord parce que je crois qu'on devient un peu plus souple. On devient conscient que, dans d'autres langues, il y a des structures différentes. Et on commence à se rendre compte de choses, dans sa langue, dont on ne s'était pas aperçu avant. M.F. : Par automatisme, par mimétisme. Et, tout à coup, on se met à comprendre et puis on peut vraiment augmenter la qualité de notre vocabulaire et la précision de notre élocution. Ça c'est clair. S : Si on est d'accord sur tout, il n'y aura plus de discussion! Merci beaucoup, Marc!

M.F. : Merci à toi!

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#14 Marc, owner of Sophia Bookstore #14 Marc, owner of Sophia Bookstore

S: Bonjour Marc!

Je suis ici dans un café, à Vancouver, où on est entourés d'étudiants de langues et j'ai avec moi, aujourd'hui, Marc Fournier qui est propriétaire de la Sophia Book Store qui est spécialisée dans l'apprentissage des langues, n'est-ce pas? M.F. : Absolument! La librairie Sophia est une librairie multilingue pour les langues parlées et les langues visuelles aussi.

S : Mais je crois que puisque nous sommes Canadiens nous parlons beaucoup au sujet des langues. Parce que, au Canada, les langues c'est de la politique et c'est peut-être un des problèmes ou une des raisons pour lesquelles les anglophones surtout ne sont pas très bilingues. M.F. : C'est vrai. Et c'est d'autant plus évident lorsqu'il y a des Européens qui viennent visiter et s'attendent à ce que partout au Canada on parle Français. Ils sont toujours légèrement déçus, bien évidemment. Ce sont des raisons historiques. Techniquement, le Français aurait dû disparaître au Canada parce que, lorsque la France a plus ou moins abandonné sa colonie, l'Angleterre l'a reprise et il y avait cette petite poche de francophones à l'intérieur d'une mer anglophone. Ce qui est arrivé historiquement, c'est que les anglophones ont fait du business et les francophones ont fait des bébés. Donc c'est ce qu'on appelle la « revanche des berceaux ». Et, tout à coup, on s'est retrouvé avec une énorme population qui parlait français et il fallait donc faire quelque chose avec cette population. S : Je crois que le moment où on a commencé à faire quelque chose avec cette population, dans un sens pour les gens de ma génération, c'est dans les années soixante quand on a eu les changements politiques au Québec. Je me rappelle très bien qu'à Montréal, dans les années cinquante, on n'avait pas besoin du Français. Je suis anglophone, j'ai grandi à Montréal, je ne parlais pas Français et autour de moi, il n'y avait personne qui parlait Français. Alors qu'aujourd'hui je crois que les anglophones au Québec sont parmi les plus bilingues au Canada parce qu'il s'es créé une nécessité d'apprendre la langue qui n'existait pas avant. M.F. : C'est vrai. Justement, cet essor du Français et pas seulement de la langue elle-même mais de toutes ces composantes artistiques comme le cinéma, la musique et les arts en général et puis, bien évidemment, avec la loi sur les langues officielles au Canada ont fait en sorte que le Français a continué mais ça reste une bataille de toute part. Et on remarque de cycles… Quelqu'un pourrait dire qu'il y a dix ans, un anglophone se devait de comprendre le Français pour vivre à Montréal. Ce n'est peut-être plus le cas aujourd'hui. Et là, il y une autre vague d'immigrants, de gens qui viennent d'ailleurs et eux, bien évidemment, veulent apprendre l'Anglais au départ, on leur force à apprendre le Français… C'est assez compliqué tout ça, ce qui fait que, bizarrement au Canada, langue = politique beaucoup plus que langue = culture ou ouverture d'esprit. S : Mais il faut dire quand même que, si on voit le cas de l'Anglais, bien sur il y a des gens qui apprennent l'Anglais pour des raisons culturelles, Pop Culture ou n'importe quoi, mais pour beaucoup de monde c'est une nécessité économique, commerciale, pour leur travail. Donc ce n'est pas évident que les gens apprennent les langues pour des raisons culturelles. Ça peut être une raison pour beaucoup de personnes mais peut-être pas pour la majorité. Au moins pas dans le cas de l'Anglais, je crois. M.F. : Pour une deuxième langue, non. Pour une troisième langue, une quatrième langue, oui! Mais, ce qui est étonnant, ce qui arrive à l'Anglais, c'est que c'est une langue extrêmement riche au niveau vocabulaire mais c'est une langue qui s'appauvrit d'année en année parce que, tout simplement au niveau arithmétique, plus de gens la parle moyennement, plus une langue s'appauvrit. Donc on va se retrouver avec, on peut peut-être faire une prédiction mais disons dans cinquante ans, l'Anglais qui sera une langue presque informatique d'une certaine façon, utilisée spécialement dans les affaires, le business et je crois que chaque langue est en train de se creuser un petit créneau très personnel et les clichés vont vivre très longtemps. C'est clair que lorsqu'on est dans des classes comme on a autour de nous ici, il y beaucoup d'étudiants qui viennent d'Asie et beaucoup ne savent pas que le Français est une langue officielle du pays et sont étonnés de l'entendre. Mais lorsqu'ils ont des élèves qui sont francophones dans leur classe, tout de suite, c'est le cliché « romantique ». Et dans tout ça, il y a quelque chose qui va perdurer mais il y un moment où, moi je ne crois pas que toutes les langues vont se mélanger et qu'on va se retrouver avec un Esperanto technologique, ça je n'y crois pas du tout. Il y simplement des mouvements. On voit aux Etats-Unis que l'Espagnol prend de l'ampleur, ce sera une autre langue plus tard. C'est le mouvement des langues. Et une langue vivante est une langue qui peut changer.

S : Et toi, ici par exemple à Vancouver qui est un monde anglophone, tu ne fais pas nécessairement la promotion du Français mais tu fais un peu la promotion de toutes les langues. Mais je crois qu'en ce qui concerne le Français, tu es particulièrement impliqué. M.F. : Oui, bien sur. Parce que, premièrement, c'est ma langue natale, ma langue maternelle, mais aussi parce que c'est étonnant ici, en Colombie-Britannique, je dirais depuis le début du siècle jusqu'aux années quatre-vingt, c'était une société très anglophone unilingue et on ne comprenait pas très bien l'idée du bilinguisme avec des pensées un petit peu étranges dans le genre « Ça coûte beaucoup trop cher d'imprimer les deux langue sur un empaquetage. » Et, ensuite, il y a eu cette grande vague d'immigration de gens qui viennent d'autres pays, qui parlent deux ou trois langues et qui s'aperçoivent qu'on leur dit qu'il y a une éducation gratuite, publique dans les deux langues ici et eux sautent sur l'occasion. Et, donc, le futur du Français appartient beaucoup aux communautés asiatiques qui viennent s'établir ici pour des raisons de travail. On a beau apprendre l'Anglais mais, pour avoir un meilleur emploi, au gouvernement par exemple, le fait d'avoir le Français en plus est un atout. Donc, on va se retrouver où on aura une population qui aura passé de l'unilinguisme Anglais à un trilinguisme minimum, sans vraiment passer par le bilinguisme. Et ça, c'est assez étonnant, et c'est dans un court laps de temps. S : Mais il n'y a pas que les nouveaux venus qui apprennent le Français. Par exemple, mes petits-enfants vont à l'école d'immersion et je crois qu'il y a quand mëme beaucoup d'anglophones qui y envoient leurs enfants et c'est très populaire. Et je crois qu'il y a des queues d'attente pour faire entrer ces enfants aux écoles d'immersion. Alors, ça aussi c'est un phénomène assez nouveau. M.F. : Oui! C'est un autre volet de la raison pour laquelle moi, au niveau du Français, ayant une librairie, je suis fournisseur à toutes ces écoles et à tous ces élèves qui apprennent le Français. Et je crois que, tout à coup, un peu comme les Italiens qui sont arrivés dans les années cinquante et qui ont voulu que leurs enfants s'assimilent le plus rapidement possible ont cessé de parler Italien à leurs enfants. Les enfants de ces enfants vont maintenant à l'école pour apprendre l'Italien parce que ces gens se disent « C'est con! Mes parents parlaient une langue et ils auraient pu me la transmettre… » Et puis ça a été oblitéré pour des raisons souvent financières. La culture, ça passe avant. On se trouve un bon emploi, une maison et tout, on réussi le rêve américain et on laisse tomber, et on se rend compte que c'est une grande richesse. Donc, je crois qu'il y a eu aussi ce revirement de la part de la communauté anglophone qui se dit « Eh bien, voilà! C'es excellent, ça! Deux langues, profitons-en! » S : Il n'empêche quand même que nous dépensons, j'ai vu les chiffres au Canada, des milliards de dollars pour l'enseignement du Français à l'école, pour les fonctionnaires, etcetera, mais que le taux de bilinguisme est en baisse. Et je vois notre commissaire des langues officielles qui propose que, par exemple, tout diplômé d'université doive pouvoir parler Français avant d'avoir son diplôme ou qu'il faut un nouveau test, etcetera. Mais tout ça, à mon avis, ne va rien changer! Parce qu'il faut motiver les gens, parce que les gens qui ne sont pas motivés… Comme tu sais, j'ai LingQ et nous sommes très préoccupés par ce problème de la motivation et comment on peut rendre l'apprentissage d'une langue plus à propos. C'est ça, finalement. Parce que, si la personne est motivée, elle va apprendre. Mais ce n'est pas en imposant des obligations en disant « Apprends le Français parce que c'est ton obligation comme Canadien! » Mais ça ne marche pas ça, ça n'a pas de sens. M.F. : Non. Je suis parfaitement d'accord. J'étais plus d'accord avant. Moi, j'ai toujours eu comme principe que lorsqu'on est obligé d'imposer légalement, avec les lois, l'apprentissage d'une langue, c'est que cette langue est déjà en train de disparaître. Mais l'Histoire nous raconte quelque chose assez différemment au Québec, je crois, où on a imposé aux nouveaux immigrants d'apprendre le Français et c'est ce qui a plus ou moins permis un deuxième essor de la langue. Donc je crois que la raison principale doit être une question de motivation et d'intérêt, ça c'est clair. C'est souvent à cause d'un voyage, ou à cause d'un compagnon ou d'une compagne mais je crois qu'il est important qu'il y ait un certain encadrement au niveau politique pour permettre un suivi à ça. Il y a beaucoup de boulot à faire.

S : Mais je crois qu'au Québec, à mon avis, ce qui a été le plus important, c'était l'imposition du Français au niveau du travail. Donc chaque société qui a plus de dix, quinze, vingt ou cinquante employés doit fonctionner en Français. Donc, à ce moment là, pour les anglophones, pour avoir un emploi, il faut savoir parler Français. Ce n'est pas parce que l'on va vous donner un test et vous êtes obligés d'avoir une bonne note sur le test sinon, quoi, on vous envoie en prison, enfin… Non, il faut qu'il y ait une raison pratique pour apprendre ces langues. Et ça c'est difficile de l'imposer ici. Bon, si vous apprenez le Français, vous pouvez travailler au fédéral. Mais ce n'est pas tout le monde qui va travailler au fédéral, quand même! M.F. : Oui. Chacun a ses raisons. Ici ça peut être le Français… Au niveau économique, c'est beaucoup la Chine, le Chinois. On veut apprendre le Chinois. La librairie, lorsqu'elle a été fondée par mon beau-père qui est venu du Japon en 1975, il a ouvert une librairie japonaise à Vancouver… C'était un pari un peu fou parce que, à l'époque, on avait beau être sur le bord du Pacifique, les gens avaient très peu envers l'Asie. On sortait de la Deuxième Guerre Mondiale et avec ce qu'on a fait aux Canadiens d'origine japonaise, c'est assez éloquent. Mais, donc, il a fait un travail de pionnier. Et, à l'époque, pendant plusieurs années, il a été le seul fournisseur de produits pour apprendre le Japonais en Amérique. Il fournissait toutes les universités américaines. Et donc, là il y a un cycle qui est différent. C'est le cycle du Chinois. Et dans quelques années, il y aura un autre cycle. Ce sont pour des raisons économiques, bien sur. Mais les raisons personnelles, c'est très différent. S : De toute façon, je crois que l'on peut discuter, être d'accord sur certains points et pas d'accord sur d'autres points en ce qui concerne la politique linguistique au Canada mais je crois que nous sommes d'accord qu'apprendre une autre langue apporte beaucoup de richesse. Ça peut être une richesse culturelle, sociale, économique… Enfin, il y a beaucoup à gagner par l'apprentissage des langues et toi, de ton côté, tu travailles pour ce but et, moi, je fais la même chose sur Internet. C'est toujours un grand plaisir de pouvoir discuter de ces sujets. M.F. : Et puis, il y a un truc qu'il ne faut pas oublier non plus. C'est qu'en apprenant une autre langue, on apprend la sienne une deuxième fois et ça, c'est très important. On ne peut pas comprendre aussi bien notre langue maternelle jusqu'à ce qu'on en apprenne une deuxième ou une troisième. Et ça c'est une richesse, il n'y a aucun cours qui peut expliquer ça. S : Oui. Je suis entièrement d'accord parce que je crois qu'on devient un peu plus souple. On devient conscient que, dans d'autres langues, il y a des structures différentes. Et on commence à se rendre compte de choses, dans sa langue, dont on ne s'était pas aperçu avant. M.F. : Par automatisme, par mimétisme. Et, tout à coup, on se met à comprendre et puis on peut vraiment augmenter la qualité de notre vocabulaire et la précision de notre élocution. Ça c'est clair. S : Si on est d'accord sur tout, il n'y aura plus de discussion! Merci beaucoup, Marc!

M.F. : Merci à toi!