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En Chine, Preface

Preface

«FAIRE un beau voyage,» quelle émotion soulevaient ces simples mots dans notre cœur d'enfant! Quel trouble délicieux ils y éveillent encore!

Espérer, c'est vivre. Nous ne vivons vraiment que par l'attente d'on ne sait quoi d'heureux qui va probablement nous arriver tout à l'heure... ce soir... demain... ou l'année prochaine. Alors, n'est-ce pas? tout sera changé; les conditions de notre vie seront transformées; nous aurons vaincu telle ou telle difficulté; triomphé de l'obstacle qui s'oppose à notre bonheur, à la réalisation de nos désirs d'ambition ou d'amour. L'enfance, puis l'adolescence, se passent ainsi à appeler l'avenir inconnu, à le rêver resplendissant de couleurs magiques. Être jeune, c'est espérer, sans motif raisonné, malgré soi, à l'infini—c'est-à-dire voyager en esprit vers des horizons toujours nouveaux—courir allègrement au-devant de toutes les joies. La plupart des hommes, rivés aux mêmes lieux par la nécessité, s'habituent à ne plus rien attendre. Ils ont appris plus ou moins vite que demain sera pour eux tout semblable à hier; la ville ou le village ou les champs qu'ils habitent ne leur apprendront jamais rien de plus que ce qu'ils savent. ... Dès qu'ils en sont sûrs, c'est qu'ils ont vieilli, vraiment vieilli, —de la mauvaise manière; mais, même alors, il arrive que ces mots enchantés, «faire un beau voyage,» raniment en eux la force d'espérer, de rêver, de vouloir et d'agir. L'illusion féconde, dont parle le poète, rentre dans leur cœur. Et dès qu'ils se mettent en route, ils se persuadent qu'à chaque détour du chemin ils vont, comme le héros de Cervantès, voir apparaître l'Aventure, la chose nouvelle, l'évènement, le spectacle imprévus, ce je ne sais quoi d'étrangement exquis que les sédentaires (ils le croient du moins) ne sauraient rencontrer. Et c'est là proprement le charme du voyage; il est dans le renouvellement indéfini de notre faculté d'attendre avec joie. Voyager c'est espérer; voilà pourquoi le voyage est parfois un remède efficace aux grands chagrins. Il nous force à espérer encore. Un désir de voyage est essentiellement un désir de nouveau et d'amusant, d'inédit, de romanesque ou de féerique—en tous cas, de non-encore-vu. L'avènement de l'exotisme en littérature a été un rajeunissement. Le personnage de Robinson Crusoë incarne le voyage même, et il semble bien que jamais livre n'obtint succès plus grand et plus durable. L'apparition de Paul et Virginie fut un enchantement. C'étaient Adam et Ève tout enfants, dans un Éden tout nouveau. Le voyage avait rajeuni l'innocence et l'amour même. La curiosité et l'espoir se sentirent vivifiés avec Chateaubriand, puis avec Pierre Loti. Nous autres, écoliers du XIXème siècle, n'avons-nous pas lu un moment, avec avidité, derrière un rempart de dictionnaires, de médiocres histoires de chasses en Amérique, d'Apaches et de Comanches—et sans images. Quant à la vraie géographie, à l'ethnographie scientifiques, avant les reclus, elles se présentaient à nous sans ornement, sans pittoresque, sans couleur—dans des livres un peu ennuyeux et qui, en effet, nous rebutaient souvent. On a compris aujourd'hui que les livres «d'instruction» destinés aux enfants doivent s'adresser à leur sensibilité, se faire aimer d'eux, exciter en eux «l'espérance,» la bonne curiosité, c'est-à-dire la joie de vivre. Les éditeurs des «Arts Graphiques» ont le projet de publier des ouvrages dont les illustrations, vivantes et colorées, documents précis, seront à la fois destinés aux jeunes écoliers et aux hommes, ouvrages d'éducation et d'amusement pour les uns, albums de souvenirs pour les autres. Les six premiers volumes sont consacrés à l'Espagne, au Maroc, à l'Égypte, aux Indes, à la Chine et au Japon. J'imagine que beaucoup de ces illustrations sont des photographies en couleurs prises directement; tels autres sont des aquarelles, assurément exécutées d'après nature; et toutes ces images sont des «portraits de pays» ressemblants et vivants. Commenté par de pareilles images, le texte parlera aux yeux des enfants, fixera leur attention; et, après les avoir vues, ils n'oublieront plus le pays où ils croiront avoir réellement voyagé. En chaque série se résument les caractères généraux, très différents—des grandes contrées qu'elles mettent sous nos yeux. J'ouvre, au hasard, l'une d'elles: voici un «Bazar à Marrakech»; la disposition des boutiques sous le toit de poutres qui, çà et là, laisse par un trou, voir l'éclat du ciel, voilà qui attire invinciblement ma curiosité et la retient; puis c'est l'allure des passants qui la sollicitera; puis la qualité de l'ombre lumineuse qui règne sous ce «couvert»; et j'ai tout revu du Maroc, si je l'ai visité autrefois; j'en ai tout vu et appris, si je ne le connaissais pas. Bien plus parlant encore m'apparaît ce maigre personnage de bonze noir, le «Porteur de dépêches,» qui, son bâton horizontal sur le dos, à la hauteur des épaules, les coudes en arrière, les mains comme accrochées et pendues aux extrémités de sa matraque, d'un pas large et fatigué, chemine dans le crépuscule—sur le ciel vert et jaune, se détachent là-bas, le profil d'une habitation mauresque et les silhouettes de deux bédouines ... Cet étique fantôme, c'est le facteur de là-bas, le porteur de rêves, d'espérances, de déceptions aussi, l'incarnation même du voyage. Dans «l'Égypte» on remarquera plus particulièrement les «Arabes du désert.» Cette page donne l'idée exacte d'une course de chameaux comme j'en ai pu voir moi-même, non pas en Égypte, mais en Tunisie. Et quoi de plus amusant, pour des yeux d'écolier, que «l'École d'enfants dans la Mosquée du Sultan Kelaun,» les bambins assis à terre, leurs babouches à côté d'eux—le maître «assis en tailleur» dans sa grande chaise ajourée! Certes, la photographie, de nos jours, nous présente partout et à toute heure des documents aussi précis, mais non pas avec cette variété et cette gaîté de couleurs, qui, pour les petits et les grands, est un attrait des plus vifs... qu'on se rappelle l'influence de l'ancienne et naïve imagerie d'Épinal sur nos cerveaux enfantins. Heureux les enfants d'aujourd'hui! Comment, avec des mots, à moins d'être Pierre Loti, donnerez-vous au lecteur l'idée de ce que peut être un prince hindou, un maharadja en grand costume? Et que vous en dirait la photographie sans la couleur? Comment saurez-vous que l'éléphant qui porte ce prince est vêtu d'un brocart d'or? que le char sans roue, le trône qu'on voit sur le dos de l'énorme animal est, comme le prince, un ruisselement de dorure? L'image coloriée peut seule le dire; à elle seule elle est un conte féerique; et voilà une façon gaie d'apprendre aux bambins ce qu'est un maharadja et dans quelles somptuosités il parade parfois, sous un parasol d'or, et sur un éléphant recouvert d'or flamboyant et de pierreries rutilantes. Le texte des deux volumes sur la Chine et le Japon a été demandé à Madame Judith Gautier.

Personne ne pouvait mieux qu'elle parler de cette Chine «qui a inventé tout ou presque tout, à une époque des plus reculées. Il y a quatre mille ans les chinois se servaient déjà de boussoles. Bien des siècles avant Gutenberg, ils avaient inventé l'imprimerie, ils gravaient des livres qu'ils tiraient en nombre illimité. Ils ont inventé la soie, il y a 4500 ans. Ils ont même inventé la poudre: il y a neuf siècles, ils en emplirent des globes de fer qu'ils lançaient à l'aide de tubes: c'était presque des obus.» Madame Judith Gautier nous parlera des mœurs, des usages, de la poésie de ce pays où une justice extraordinaire, qui paraît se complaire à inventer les supplices les plus hideux, permet aux criminels les plus redoutables, lorsqu'ils sont condamnés à mort, de s'acheter un remplaçant parmi les citoyens pauvres et honnêtes. Dans le volume sur la Chine, je vous signale la planche où sont représentés «Les cormorans pêcheurs.» Elle est, par elle-même, des plus explicatives. D'un coup d'œil, on apprend, sur cette pêche, et d'inoubliable manière—ce qu'il en faut savoir, c'est-à-dire la forme et les attitudes des oiseaux pêcheurs, la structure du radeau qui les conduit à leur besogne, la façon dont ils portent le collier qui s'oppose à l'ingurgitation de la proie. «En loge pour les degrés de mandarin...» Imagineriez-vous la façon dont peuvent être disposées ces loges?—Et ce moulin à eau mû par des hommes, l'imagineriez-vous? Non. La plus habile description ne nous présente jamais que successivement les lignes d'un tableau qu'ici vous embrassez et comprenez d'un seul coup d'œil.

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Preface Preface

«FAIRE un beau voyage,» quelle émotion soulevaient ces simples mots dans notre cœur d'enfant! Quel trouble délicieux ils y éveillent encore!

Espérer, c'est vivre. Nous ne vivons vraiment que par l'attente d'on ne sait quoi d'heureux qui va probablement nous arriver tout à l'heure... ce soir... demain... ou l'année prochaine. Alors, n'est-ce pas? tout sera changé; les conditions de notre vie seront transformées; nous aurons vaincu telle ou telle difficulté; triomphé de l'obstacle qui s'oppose à notre bonheur, à la réalisation de nos désirs d'ambition ou d'amour. L'enfance, puis l'adolescence, se passent ainsi à appeler l'avenir inconnu, à le rêver resplendissant de couleurs magiques. Être jeune, c'est espérer, sans motif raisonné, malgré soi, à l'infini—c'est-à-dire voyager en esprit vers des horizons toujours nouveaux—courir allègrement au-devant de toutes les joies. La plupart des hommes, rivés aux mêmes lieux par la nécessité, s'habituent à ne plus rien attendre. Ils ont appris plus ou moins vite que demain sera pour eux tout semblable à hier; la ville ou le village ou les champs qu'ils habitent ne leur apprendront jamais rien de plus que ce qu'ils savent. ... Dès qu'ils en sont sûrs, c'est qu'ils ont vieilli, vraiment vieilli, —de la mauvaise manière; mais, même alors, il arrive que ces mots enchantés, «faire un beau voyage,» raniment en eux la force d'espérer, de rêver, de vouloir et d'agir. L'illusion féconde, dont parle le poète, rentre dans leur cœur. Et dès qu'ils se mettent en route, ils se persuadent qu'à chaque détour du chemin ils vont, comme le héros de Cervantès, voir apparaître l'Aventure, la chose nouvelle, l'évènement, le spectacle imprévus, ce je ne sais quoi d'étrangement exquis que les sédentaires (ils le croient du moins) ne sauraient rencontrer. Et c'est là proprement le charme du voyage; il est dans le renouvellement indéfini de notre faculté d'attendre avec joie. Voyager c'est espérer; voilà pourquoi le voyage est parfois un remède efficace aux grands chagrins. Il nous force à espérer encore. Un désir de voyage est essentiellement un désir de nouveau et d'amusant, d'inédit, de romanesque ou de féerique—en tous cas, de non-encore-vu. L'avènement de l'exotisme en littérature a été un rajeunissement. Le personnage de Robinson Crusoë incarne le voyage même, et il semble bien que jamais livre n'obtint succès plus grand et plus durable. L'apparition de Paul et Virginie fut un enchantement. C'étaient Adam et Ève tout enfants, dans un Éden tout nouveau. Le voyage avait rajeuni l'innocence et l'amour même. La curiosité et l'espoir se sentirent vivifiés avec Chateaubriand, puis avec Pierre Loti. Nous autres, écoliers du XIXème siècle, n'avons-nous pas lu un moment, avec avidité, derrière un rempart de dictionnaires, de médiocres histoires de chasses en Amérique, d'Apaches et de Comanches—et sans images. Quant à la vraie géographie, à l'ethnographie scientifiques, avant les reclus, elles se présentaient à nous sans ornement, sans pittoresque, sans couleur—dans des livres un peu ennuyeux et qui, en effet, nous rebutaient souvent. On a compris aujourd'hui que les livres «d'instruction» destinés aux enfants doivent s'adresser à leur sensibilité, se faire aimer d'eux, exciter en eux «l'espérance,» la bonne curiosité, c'est-à-dire la joie de vivre. Les éditeurs des «Arts Graphiques» ont le projet de publier des ouvrages dont les illustrations, vivantes et colorées, documents précis, seront à la fois destinés aux jeunes écoliers et aux hommes, ouvrages d'éducation et d'amusement pour les uns, albums de souvenirs pour les autres. Les six premiers volumes sont consacrés à l'Espagne, au Maroc, à l'Égypte, aux Indes, à la Chine et au Japon. J'imagine que beaucoup de ces illustrations sont des photographies en couleurs prises directement; tels autres sont des aquarelles, assurément exécutées d'après nature; et toutes ces images sont des «portraits de pays» ressemblants et vivants. Commenté par de pareilles images, le texte parlera aux yeux des enfants, fixera leur attention; et, après les avoir vues, ils n'oublieront plus le pays où ils croiront avoir réellement voyagé. En chaque série se résument les caractères généraux, très différents—des grandes contrées qu'elles mettent sous nos yeux. J'ouvre, au hasard, l'une d'elles: voici un «Bazar à Marrakech»; la disposition des boutiques sous le toit de poutres qui, çà et là, laisse par un trou, voir l'éclat du ciel, voilà qui attire invinciblement ma curiosité et la retient; puis c'est l'allure des passants qui la sollicitera; puis la qualité de l'ombre lumineuse qui règne sous ce «couvert»; et j'ai tout revu du Maroc, si je l'ai visité autrefois; j'en ai tout vu et appris, si je ne le connaissais pas. Bien plus parlant encore m'apparaît ce maigre personnage de bonze noir, le «Porteur de dépêches,» qui, son bâton horizontal sur le dos, à la hauteur des épaules, les coudes en arrière, les mains comme accrochées et pendues aux extrémités de sa matraque, d'un pas large et fatigué, chemine dans le crépuscule—sur le ciel vert et jaune, se détachent là-bas, le profil d'une habitation mauresque et les silhouettes de deux bédouines ... Cet étique fantôme, c'est le facteur de là-bas, le porteur de rêves, d'espérances, de déceptions aussi, l'incarnation même du voyage. Dans «l'Égypte» on remarquera plus particulièrement les «Arabes du désert.» Cette page donne l'idée exacte d'une course de chameaux comme j'en ai pu voir moi-même, non pas en Égypte, mais en Tunisie. Et quoi de plus amusant, pour des yeux d'écolier, que «l'École d'enfants dans la Mosquée du Sultan Kelaun,» les bambins assis à terre, leurs babouches à côté d'eux—le maître «assis en tailleur» dans sa grande chaise ajourée! Certes, la photographie, de nos jours, nous présente partout et à toute heure des documents aussi précis, mais non pas avec cette variété et cette gaîté de couleurs, qui, pour les petits et les grands, est un attrait des plus vifs... qu'on se rappelle l'influence de l'ancienne et naïve imagerie d'Épinal sur nos cerveaux enfantins. Heureux les enfants d'aujourd'hui! Comment, avec des mots, à moins d'être Pierre Loti, donnerez-vous au lecteur l'idée de ce que peut être un prince hindou, un maharadja en grand costume? Et que vous en dirait la photographie sans la couleur? Comment saurez-vous que l'éléphant qui porte ce prince est vêtu d'un brocart d'or? que le char sans roue, le trône qu'on voit sur le dos de l'énorme animal est, comme le prince, un ruisselement de dorure? L'image coloriée peut seule le dire; à elle seule elle est un conte féerique; et voilà une façon gaie d'apprendre aux bambins ce qu'est un maharadja et dans quelles somptuosités il parade parfois, sous un parasol d'or, et sur un éléphant recouvert d'or flamboyant et de pierreries rutilantes. Le texte des deux volumes sur la Chine et le Japon a été demandé à Madame Judith Gautier.

Personne ne pouvait mieux qu'elle parler de cette Chine «qui a inventé tout ou presque tout, à une époque des plus reculées. Il y a quatre mille ans les chinois se servaient déjà de boussoles. Bien des siècles avant Gutenberg, ils avaient inventé l'imprimerie, ils gravaient des livres qu'ils tiraient en nombre illimité. Ils ont inventé la soie, il y a 4500 ans. Ils ont même inventé la poudre: il y a neuf siècles, ils en emplirent des globes de fer qu'ils lançaient à l'aide de tubes: c'était presque des obus.» Madame Judith Gautier nous parlera des mœurs, des usages, de la poésie de ce pays où une justice extraordinaire, qui paraît se complaire à inventer les supplices les plus hideux, permet aux criminels les plus redoutables, lorsqu'ils sont condamnés à mort, de s'acheter un remplaçant parmi les citoyens pauvres et honnêtes. Dans le volume sur la Chine, je vous signale la planche où sont représentés «Les cormorans pêcheurs.» Elle est, par elle-même, des plus explicatives. D'un coup d'œil, on apprend, sur cette pêche, et d'inoubliable manière—ce qu'il en faut savoir, c'est-à-dire la forme et les attitudes des oiseaux pêcheurs, la structure du radeau qui les conduit à leur besogne, la façon dont ils portent le collier qui s'oppose à l'ingurgitation de la proie. «En loge pour les degrés de mandarin...» Imagineriez-vous la façon dont peuvent être disposées ces loges?—Et ce moulin à eau mû par des hommes, l'imagineriez-vous? Non. La plus habile description ne nous présente jamais que successivement les lignes d'un tableau qu'ici vous embrassez et comprenez d'un seul coup d'œil.