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Mondovino, Michel Rolland, l'alchimiste du terroir-caisse

En cette journée de printemps, la dame âgée, toute vêtue de noir, qui vient chercher « ses analyses » a l'air un peu inquiète. Le personnel porte des blouses blanches, des éprouvettes tournent dans des centrifugeuses et de petits flacons remplis d'un liquide rouge sang semblent attendre leur tour. La vague odeur d'hôpital qui flotte ici laisserait croire qu'on y vient pour faire doser son cholestérol. « Tout est normal, explique, rassurant, un jeune oenologue, on refera une analyse avant la mise. » Entendez la mise en bouteilles, car nous sommes dans le laboratoire vinicole où officient Michel Rolland, sa blonde épouse Dany et sept collaborateurs.

S'il est long en bouche, Michel Rolland a du mal à gommer quelques tanins inattendus et âcres. La faconde, les éclats de rire et l'accent chantant de cet enfant du Bordelais n'effacent pas l'amertume. Pour tout dire, il n'a pas digéré le film Mondovino : comment ce Français du terroir pourrait-il apprécier d'être transformé en l'un des symboles de la « mcdonaldisation » ? OEnologue d'exception, patron d'une PME multinationale, il n'a pas compris que ce documentaire vu par 300 000 spectateurs (1) l'ait peint comme l'incarnation de l'uniformisation du vin, si ce n'est comme un « collabo » au service de l'impérialisme étranger. Calé au fond de sa Mercedes, accroché à son téléphone, fumant ses cigarillos à la chaîne, Rolland y apparaît comme le méchant magicien qui, à coups de manipulations plus ou moins chimiques, fabrique des vins d'où sont effacées toutes les traces de culture, d'histoire et de terroir. Michel Rolland, né à Libourne en 1947 - un des grands millésimes de bordeaux -, est le plus célèbre des flying wine makers - « oenologue-conseil volant ». A 58 ans, il entame ses trente-deuxièmes vendanges et travaille pour une centaine de grands propriétaires dans une douzaine de pays (France, Etats-Unis, Italie, Espagne, Argentine, Afrique du Sud, etc.). Dans le Bordelais, son labo conseille 700 autres viticulteurs, il vend du matériel pour la vigne et le vin, et possède cinq appellations en bordeaux - dont celle qu'il a héritée de ses parents -, ainsi que des participations en Argentine, en Afrique du Sud et en Espagne. Il n'est pas facile de savoir combien tout cela pèse financièrement - des contrôles fiscaux, peut-être suscités par sa nouvelle gloire cinématographique, l'ont rendu discret. Lui-même applique des tarifs très diversifiés pour les dossiers où il intervient personnellement comme consultant : « Entre 2 000 et 30 000 euros. C'est une petite entreprise, mais, quand tout réussit, il y en a toujours que ça embête », lâche-t-il, pas trop mécontent de lui. Depuis qu'Emile Peynaud a provoqué, il y a une trentaine d'années, une petite révolution oenologique, plus un seul vigneron ne peut se passer de ces analyses qui ont amélioré les fruits de la vigne. Car une trop grande partie de la production française a longtemps mérité le qualificatif de piquette. Le velours de l'estomac agaçait les ulcères. Aujourd'hui, Michel Rolland passe la moitié de l'année dans les avions, et il est attendu comme un gourou chez ses clients de la Napa Valley californienne ou du Chianti italien. Il peut déguster plus de 100 échantillons par jour, et il prodigue ses conseils sans hésiter : les dates des vendanges - les plus tardives -, les interventions (oxygénisation, levurage, températures, etc.) et la mise en barriques (de bois neuf, évidemment). Mais, surtout, souligne-t-il, on lui reconnaît un don exceptionnel pour réussir les « assemblages » entre la production des différentes parcelles. Rolland n'est pas peu fier d'avoir été qualifié par un magazine de « Napoléon de l'assemblage ». Cela fait beaucoup de talents, mais son génie, c'est dans le marketing qu'il l'a vraiment démontré. En comprenant, l'un des premiers, que le marché devenait mondial, et en devinant qu'un critique américain, Robert Parker, rencontré il y a plus de vingt ans, serait l'arbitre des élégances vinicoles. Parker aime les vins ronds, un peu épais, aux tanins adoucis, aux parfums vanillés procurés par le bois des barriques neuves, et qu'on peut consommer sans attendre. Que ne le disiez-vous ? Michel Rolland va « fabriquer » ce breuvage, qui s'achètera à prix d'or chez les yuppies américains des années 90. Il devient le Dior de ces vins qu'on finira par qualifier de « parkérisés ». Un grand faiseur, taillant dans la haute couture oenologique, mais ne négligeant pas les lignes de prêt-à-porter des multinationales vinicoles. « Ses » vins obtiennent presque toujours les meilleures notes des guides de son ami Bob Parker. Et, depuis plusieurs années, le simple fait d'apposer le nom de Rolland sur une bouteille est devenu une garantie de succès commercial. « Ce n'est quand même pas ma faute si les gens aiment les vins que je fais », lâche-t-il en riant aux éclats. Rolland est sympathique, c'est une clef de son succès. Il aime se qualifier de « paysan endimanché » - on rajoutera madré - et, s'il est bien conscient de sa valeur, il ne se prend pas trop au sérieux. Dans un monde souvent snob et arrogant, Rolland, rond et chaleureux comme ses vins, apporte un peu de soleil. C'est aussi un homme des Lumières qui croit peut-être trop à la science. « Refuser le progrès technique est suicidaire », assure-t-il. Gourmand de vins, de bouffe, de kilomètres et de réussite, il est plus matérialiste que poète.

Robert Parker, lui, se targue d'avoir introduit la « démocratie » au sein d'un monde « féodal ». « Quand je déguste, explique-t-il, je me fous de savoir si vous faites ça depuis cinq cents ans, je veux juste savoir ce qu'il y a dans mon verre. » L'argument des droits du consommateur fait mouche. Même si on ne peut s'empêcher de penser à Tocqueville, admirateur perplexe de la démocratie, écrivant : « Le spectacle de cette uniformité universelle m'attriste et me glace, et je suis tenté de regretter une société qui n'est plus. » Mais le marché des bons vins, a fortiori celui des grands crus, fonctionne comme celui du luxe : les modes changent. Cette vinification de plus en plus technicisée provoque un retour de balancier : le bio est en train de devenir plus tendance que le vin « fabriqué » à la Rolland- Parker. « Tout vin est fabriqué », nuance avec bon sens Alain Graillot, producteur « artiste » d'un grand crozes-hermitage (2). « Cependant, si le terroir est bon, ajoute-t-il, il faut limiter l'intervention humaine au minimum, ne pas utiliser de produits chimiques. Mais il faut être dans ses vignes pour savoir quand et comment intervenir, à dose homéopathique. Là est le vrai défi. » C'est cette « lutte raisonnée », sans chimie, avec de l'herbe entre les ceps et de petits rendements à maturité, qu'a choisie Maryse Tugendhat. « J'ai retrouvé la patience, nous vendangeons à la main », ajoute cette ex-Parisienne qui a osé ne faire que du rouge en Anjou, « parce que, dit-elle, c'est plus difficile, et c'est ce que j'aime boire » (3). S'il y a un « effet Mondovino », c'est parce que ce film est arrivé au moment où la viticulture française entrait de nouveau en crise. « Nous avons pris de plein fouet la concurrence internationale, explique Jean-Luc Coupet, responsable des fusions-acquisitions chez UBS. La canicule de 2003, le manque de fonds propres, les difficultés de transmission bouleversent le marché. En fait, le foncier viticole chute depuis deux ans et... c'est le moment d'acheter. » En somme, nous arrivons peut-être à la veille d'une révolution vinicole. La prolifération des cavistes - dont la raison d'exister est de proposer des vins différents de ceux qu'on trouve dans les grandes surfaces -, la multiplication des cours d'oenologie pour amateurs, l'accroissement de la part des ventes directes indiquent qu'il y a désormais une prime à l'originalité et à la qualité. Ainsi Bruno Quenioux, le caviste de Lafayette Gourmet, estime-t-il qu'on « a poussé le bouchon trop loin. C'est comme quand on met du sucre dans les épinards : les enfants les mangent, mais ce ne sont plus des épinards ! » La bataille entre les mondes du vin n'est pas encore terminée. La dernière fois que nous avons parlé à Michel Rolland, il rentrait d'Argentine et repartait illico en Inde. Il admet qu'à Bengalore, où il est devenu consultant de Kanwal Grover, un homme d'affaires indien, ni le terroir ni surtout le climat ne sont favorables à la fabrication de grands vins. Mais il est fasciné par les marchés de l'Inde et de la Chine. Il est convaincu qu'il parviendra à fabriquer quelque chose de bon là-bas aussi. Et il se moque que ses critiques lui demandent s'il s'agit encore de vin. Finalement, comme le dit le vieux vigneron sarde Battista Colombu, à la fin de Mondovino , « il devrait pourtant y avoir de la place pour tout le monde »

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En cette journée de printemps, la dame âgée, toute vêtue de noir, qui vient chercher « ses analyses » a l'air un peu inquiète. Le personnel porte des blouses blanches, des éprouvettes tournent dans des centrifugeuses et de petits flacons remplis d'un liquide rouge sang semblent attendre leur tour. La vague odeur d'hôpital qui flotte ici laisserait croire qu'on y vient pour faire doser son cholestérol. « Tout est normal, explique, rassurant, un jeune oenologue, on refera une analyse avant la mise. » Entendez la mise en bouteilles, car nous sommes dans le laboratoire vinicole où officient Michel Rolland, sa blonde épouse Dany et sept collaborateurs.

S'il est long en bouche, Michel Rolland a du mal à gommer quelques tanins inattendus et âcres. La faconde, les éclats de rire et l'accent chantant de cet enfant du Bordelais n'effacent pas l'amertume. Pour tout dire, il n'a pas digéré le film Mondovino : comment ce Français du terroir pourrait-il apprécier d'être transformé en l'un des symboles de la « mcdonaldisation » ? OEnologue d'exception, patron d'une PME multinationale, il n'a pas compris que ce documentaire vu par 300 000 spectateurs (1) l'ait peint comme l'incarnation de l'uniformisation du vin, si ce n'est comme un « collabo » au service de l'impérialisme étranger. Calé au fond de sa Mercedes, accroché à son téléphone, fumant ses cigarillos à la chaîne, Rolland y apparaît comme le méchant magicien qui, à coups de manipulations plus ou moins chimiques, fabrique des vins d'où sont effacées toutes les traces de culture, d'histoire et de terroir.

Michel Rolland, né à Libourne en 1947 - un des grands millésimes de bordeaux -, est le plus célèbre des flying wine makers - « oenologue-conseil volant ». A 58 ans, il entame ses trente-deuxièmes vendanges et travaille pour une centaine de grands propriétaires dans une douzaine de pays (France, Etats-Unis, Italie, Espagne, Argentine, Afrique du Sud, etc.). Dans le Bordelais, son labo conseille 700 autres viticulteurs, il vend du matériel pour la vigne et le vin, et possède cinq appellations en bordeaux - dont celle qu'il a héritée de ses parents -, ainsi que des participations en Argentine, en Afrique du Sud et en Espagne. Il n'est pas facile de savoir combien tout cela pèse financièrement - des contrôles fiscaux, peut-être suscités par sa nouvelle gloire cinématographique, l'ont rendu discret. Lui-même applique des tarifs très diversifiés pour les dossiers où il intervient personnellement comme consultant : « Entre 2 000 et 30 000 euros. C'est une petite entreprise, mais, quand tout réussit, il y en a toujours que ça embête », lâche-t-il, pas trop mécontent de lui.

Depuis qu'Emile Peynaud a provoqué, il y a une trentaine d'années, une petite révolution oenologique, plus un seul vigneron ne peut se passer de ces analyses qui ont amélioré les fruits de la vigne. Car une trop grande partie de la production française a longtemps mérité le qualificatif de piquette. Le velours de l'estomac agaçait les ulcères.

Aujourd'hui, Michel Rolland passe la moitié de l'année dans les avions, et il est attendu comme un gourou chez ses clients de la Napa Valley californienne ou du Chianti italien. Il peut déguster plus de 100 échantillons par jour, et il prodigue ses conseils sans hésiter : les dates des vendanges - les plus tardives -, les interventions (oxygénisation, levurage, températures, etc.) et la mise en barriques (de bois neuf, évidemment). Mais, surtout, souligne-t-il, on lui reconnaît un don exceptionnel pour réussir les « assemblages » entre la production des différentes parcelles. Rolland n'est pas peu fier d'avoir été qualifié par un magazine de « Napoléon de l'assemblage ».

Cela fait beaucoup de talents, mais son génie, c'est dans le marketing qu'il l'a vraiment démontré. En comprenant, l'un des premiers, que le marché devenait mondial, et en devinant qu'un critique américain, Robert Parker, rencontré il y a plus de vingt ans, serait l'arbitre des élégances vinicoles. Parker aime les vins ronds, un peu épais, aux tanins adoucis, aux parfums vanillés procurés par le bois des barriques neuves, et qu'on peut consommer sans attendre. Que ne le disiez-vous ? Michel Rolland va « fabriquer » ce breuvage, qui s'achètera à prix d'or chez les yuppies américains des années 90. Il devient le Dior de ces vins qu'on finira par qualifier de « parkérisés ». Un grand faiseur, taillant dans la haute couture oenologique, mais ne négligeant pas les lignes de prêt-à-porter des multinationales vinicoles. « Ses » vins obtiennent presque toujours les meilleures notes des guides de son ami Bob Parker. Et, depuis plusieurs années, le simple fait d'apposer le nom de Rolland sur une bouteille est devenu une garantie de succès commercial. « Ce n'est quand même pas ma faute si les gens aiment les vins que je fais », lâche-t-il en riant aux éclats.

Rolland est sympathique, c'est une clef de son succès. Il aime se qualifier de « paysan endimanché » - on rajoutera madré - et, s'il est bien conscient de sa valeur, il ne se prend pas trop au sérieux. Dans un monde souvent snob et arrogant, Rolland, rond et chaleureux comme ses vins, apporte un peu de soleil. C'est aussi un homme des Lumières qui croit peut-être trop à la science. « Refuser le progrès technique est suicidaire », assure-t-il. Gourmand de vins, de bouffe, de kilomètres et de réussite, il est plus matérialiste que poète.

Robert Parker, lui, se targue d'avoir introduit la « démocratie » au sein d'un monde « féodal ». « Quand je déguste, explique-t-il, je me fous de savoir si vous faites ça depuis cinq cents ans, je veux juste savoir ce qu'il y a dans mon verre. » L'argument des droits du consommateur fait mouche. Même si on ne peut s'empêcher de penser à Tocqueville, admirateur perplexe de la démocratie, écrivant : « Le spectacle de cette uniformité universelle m'attriste et me glace, et je suis tenté de regretter une société qui n'est plus. »

Mais le marché des bons vins, a fortiori celui des grands crus, fonctionne comme celui du luxe : les modes changent. Cette vinification de plus en plus technicisée provoque un retour de balancier : le bio est en train de devenir plus tendance que le vin « fabriqué » à la Rolland- Parker. « Tout vin est fabriqué », nuance avec bon sens Alain Graillot, producteur « artiste » d'un grand crozes-hermitage (2). « Cependant, si le terroir est bon, ajoute-t-il, il faut limiter l'intervention humaine au minimum, ne pas utiliser de produits chimiques. Mais il faut être dans ses vignes pour savoir quand et comment intervenir, à dose homéopathique. Là est le vrai défi. » C'est cette « lutte raisonnée », sans chimie, avec de l'herbe entre les ceps et de petits rendements à maturité, qu'a choisie Maryse Tugendhat. « J'ai retrouvé la patience, nous vendangeons à la main », ajoute cette ex-Parisienne qui a osé ne faire que du rouge en Anjou, « parce que, dit-elle, c'est plus difficile, et c'est ce que j'aime boire » (3).

S'il y a un « effet Mondovino », c'est parce que ce film est arrivé au moment où la viticulture française entrait de nouveau en crise. « Nous avons pris de plein fouet la concurrence internationale, explique Jean-Luc Coupet, responsable des fusions-acquisitions chez UBS. La canicule de 2003, le manque de fonds propres, les difficultés de transmission bouleversent le marché. En fait, le foncier viticole chute depuis deux ans et... c'est le moment d'acheter. »

En somme, nous arrivons peut-être à la veille d'une révolution vinicole. La prolifération des cavistes - dont la raison d'exister est de proposer des vins différents de ceux qu'on trouve dans les grandes surfaces -, la multiplication des cours d'oenologie pour amateurs, l'accroissement de la part des ventes directes indiquent qu'il y a désormais une prime à l'originalité et à la qualité. Ainsi Bruno Quenioux, le caviste de Lafayette Gourmet, estime-t-il qu'on « a poussé le bouchon trop loin. C'est comme quand on met du sucre dans les épinards : les enfants les mangent, mais ce ne sont plus des épinards ! » La bataille entre les mondes du vin n'est pas encore terminée.

La dernière fois que nous avons parlé à Michel Rolland, il rentrait d'Argentine et repartait illico en Inde. Il admet qu'à Bengalore, où il est devenu consultant de Kanwal Grover, un homme d'affaires indien, ni le terroir ni surtout le climat ne sont favorables à la fabrication de grands vins. Mais il est fasciné par les marchés de l'Inde et de la Chine. Il est convaincu qu'il parviendra à fabriquer quelque chose de bon là-bas aussi. Et il se moque que ses critiques lui demandent s'il s'agit encore de vin. Finalement, comme le dit le vieux vigneron sarde Battista Colombu, à la fin de Mondovino, « il devrait pourtant y avoir de la place pour tout le monde »