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Le pays des fourrures (Jules Verne), Un savant dégelé

Le capitaine et ses compagnons se retirèrent donc, laissant ce personnage singulier reposer tranquillement. Une demi-heure après, la fête s'achevait, et les invités regagnaient leurs demeures respectives, soit dans les chambres du fort, soit dans lesquelques habitations qui s'élevaient en dehors de l'enceinte. Le lendemain, Thomas Black était à peu près rétabli. Sa vigoureuseconstitution avait résisté à ce froid excessif. Un autre n'eût pas dégelé, mais lui ne faisait pas comme tout le monde. Et maintenant, qui était cet astronome? D'où venait-il? Pourquoice voyage à travers les territoires de la Compagnie, lorsquel'hiver sévissait encore? Que signifiait la réponse du courrier? Voir la lune! Mais la lune ne luit-elle pas en tous lieux, etfaut-il venir la chercher jusque dans les régions hyperboréennes?

Telles furent les questions que se posa le capitaine Craventy. Mais le lendemain, après avoir causé pendant une heure avec sonnouvel hôte, il n'avait plus rien à apprendre. Thomas Black était, en effet, un astronome attaché àl'observatoire de Greenwich, si brillamment dirigé par M. Airy. Esprit intelligent et sagace plutôt que théoricien, Thomas Black, depuis vingt ans qu'il exerçait ses fonctions, avait rendu de grands services aux sciences uranographiques. Dans la vie privée, c'était un homme absolument nul, qui n'existait pas en dehors des questions astronomiques, vivant dans le ciel, non sur la terre, un descendant de ce savant du bonhomme La Fontaine qui se laissa choir dans un puits. Avec lui pas de conversation possible si l'on ne parlait ni d'étoiles ni de constellations. C'était un homme à vivre dans une lunette. Mais quand il observait, quel observateur sans rival au monde! Quelle infatigable patience il déployait! Il était capable de guetter pendant des mois entiers l'apparition d'un phénomène cosmique. Il avait d'ailleurs une spécialité, lesbolides et les étoiles filantes, et ses découvertes dans cette branche de la météorologie méritaient d'être citées. D'ailleurs, toutes les fois qu'il s'agissait d'observations minutieuses, demesures délicates, de déterminations précises, on recourait à Thomas Black, qui possédait «une habileté d'oeil» extrêmement remarquable. Savoir observer n'est pas donné à tout le monde. On ne s'étonnera donc pas que l'astronome de Greenwich eût été choisi pour opérer dans la circonstance suivante qui intéressait au plus haut point la science sélénographique. On sait que pendant une éclipse totale de soleil, la lune est entourée d'une couronne lumineuse. Mais quelle est l'origine de cette couronne? Est-ce un objet réel? N'est-ce plutôt qu'un effet de diffraction éprouvé par les rayons solaires dans le voisinage de la lune? C'est une question que les études faites jusqu'à ce jour n'ont pu permettre de résoudre. Dès 1706, les astronomes avaient scientifiquement décrit cette auréole lumineuse. Louville et Halley pendant l'éclipse totale de 1715, Maraldi en 1724, Antonio de Ulloa en 1778, Bouditch et Ferrer en 1806, observèrent minutieusement cette couronne; mais de leurs théories contradictoires on ne put rien conclure dedéfinitif. À propos de l'éclipse totale de 1842, les savants de toutes nations, Airy, Arago, Peytal, Laugier, Mauvais, Otto-Struve, Petit, Baily, etc., cherchèrent à obtenir une solution complète touchant l'origine du phénomène; mais quelque sévères qu'eussent été les observations, «le désaccord, dit Arago, que l'on trouve entre les observations faites en divers lieux par des astronomes exercés, dans une seule et même éclipse, a répandu sur la question de telles obscurités, qu'il n'est maintenant possible d'arriver à aucune conclusion certaine sur la cause du phénomène». Depuis cette époque, d'autres éclipses totales de soleil furent étudiées, mais les observations n'obtinrent aucun résultat concluant. Cependant, cette question intéressait au plus haut point lesétudes sélénographiques. Il fallait la résoudre à tout prix. Or, une occasion nouvelle se présentait d'étudier la couronne lumineuse si discutée jusqu'alors. Une nouvelle éclipse totale de soleil, totale pour l'extrémité nord de l'Amérique, l'Espagne, le nord de l'Afrique, etc., devait avoir lieu le 18 juillet 1860. Il fut convenu entre astronomes de divers pays que des observations seraient faites simultanément aux divers points de la zone pour laquelle cette éclipse serait totale. Or, ce fut Thomas Black que l'on désigna pour observer ladite éclipse dans la partie septentrionale de l'Amérique. Il devait donc se trouver à peu prèsdans les conditions où se trouvèrent les astronomes anglais qui se transportèrent en Suède et en Norvège à l'occasion de l'éclipse de 1851. On le pense bien, Thomas Black saisit avec empressement l'occasion qui lui était offerte d'étudier l'auréole lumineuse. Il devait également reconnaître autant que possible la nature de ces protubérances rougeâtres qui apparaissent sur divers points du contour du satellite terrestre. Si l'astronome de Greenwich parvenait à trancher la question d'une manière irréfutable, il aurait droit aux éloges de toute l'Europe savante. Thomas Black se prépara donc à partir, et il obtint de pressantes lettres de recommandation pour les agents principaux de la Compagnie de la baie d'Hudson. Or, précisément, une expédition devait se rendre prochainement aux limites septentrionales ducontinent afin d'y créer une factorerie nouvelle. C'était une occasion dont il fallait profiter. Thomas Black partit donc, traversa l'Atlantique, débarqua à New-York, gagna à travers les lacs l'établissement de la rivière Rouge, puis de fort en fort,emporté par un traîneau rapide, sous la conduite d'un courrier de la Compagnie, malgré l'hiver, malgré le froid, en dépit de tous les dangers d'un voyage à travers les contrées arctiques, le 17 mars, il arriva au Fort-Reliance dans les conditions que l'onconnaît. Telles furent les explications données par l'astronome au capitaine Craventy. Celui-ci se mit tout entier à la dispositionde Thomas Black.

«Mais, monsieur Black, lui dit-il, pourquoi étiez-vous si pressé d'arriver, puisque cette éclipse de soleil ne doit avoir lieu qu'en 1860, c'est-à-dire l'année prochaine seulement? -- Mais, capitaine, répondit l'astronome, j'avais appris que laCompagnie envoyait une expédition sur le littoral américain au-delà du soixante-dixième parallèle, et je ne voulais pas manquer le départ du lieutenant Hobson. -- Monsieur Black, répondit le capitaine, si le lieutenant eût étéparti, je me serais fait un devoir de vous accompagner moi-même jusqu'aux limites de la mer polaire.» Puis, il répéta à l'astronome que celui-ci pouvait absolumentcompter sur lui et qu'il était le bienvenu au Fort-Reliance.

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Le capitaine et ses compagnons se retirèrent donc, laissant ce personnage singulier reposer tranquillement. Une demi-heure après, la fête s'achevait, et les invités regagnaient leurs demeures respectives, soit dans les chambres du fort, soit dans lesquelques habitations qui s'élevaient en dehors de l'enceinte.  

Le lendemain, Thomas Black était à peu près rétabli. Sa vigoureuseconstitution avait résisté à ce froid excessif. Un autre n'eût pas dégelé, mais lui ne faisait pas comme tout le monde.  

Et maintenant, qui était cet astronome? D'où venait-il? Pourquoice voyage à travers les territoires de la Compagnie, lorsquel'hiver sévissait encore? Que signifiait la réponse du courrier? Voir la lune! Mais la lune ne luit-elle pas en tous lieux, etfaut-il venir la chercher jusque dans les régions hyperboréennes? 

Telles furent les questions que se posa le capitaine Craventy. Mais le lendemain, après avoir causé pendant une heure avec sonnouvel hôte, il n'avait plus rien à apprendre. 

Thomas Black était, en effet, un astronome attaché àl'observatoire de Greenwich, si brillamment dirigé par M. Airy. Esprit intelligent et sagace plutôt que théoricien, Thomas Black, depuis vingt ans qu'il exerçait ses fonctions, avait rendu de grands services aux sciences uranographiques. Dans la vie privée, c'était un homme absolument nul, qui n'existait pas en dehors des questions astronomiques, vivant dans le ciel, non sur la terre, un descendant de ce savant du bonhomme La Fontaine qui se laissa choir dans un puits. Avec lui pas de conversation possible si l'on ne parlait ni d'étoiles ni de constellations. C'était un homme à vivre dans une lunette. Mais quand il observait, quel observateur sans rival au monde! Quelle infatigable patience il déployait! Il était capable de guetter pendant des mois entiers l'apparition d'un phénomène cosmique. Il avait d'ailleurs une spécialité, lesbolides et les étoiles filantes, et ses découvertes dans cette branche de la météorologie méritaient d'être citées. D'ailleurs, toutes les fois qu'il s'agissait d'observations minutieuses, demesures délicates, de déterminations précises, on recourait à Thomas Black, qui possédait «une habileté d'oeil» extrêmement remarquable. Savoir observer n'est pas donné à tout le monde. On ne s'étonnera donc pas que l'astronome de Greenwich eût été choisi pour opérer dans la circonstance suivante qui intéressait au plus haut point la science sélénographique. 

On sait que pendant une éclipse totale de soleil, la lune est entourée d'une couronne lumineuse. Mais quelle est l'origine de cette couronne? Est-ce un objet réel? N'est-ce plutôt qu'un effet de diffraction éprouvé par les rayons solaires dans le voisinage de la lune? C'est une question que les études faites jusqu'à ce jour n'ont pu permettre de résoudre. 

Dès 1706, les astronomes avaient scientifiquement décrit cette auréole lumineuse. Louville et Halley pendant l'éclipse totale de 1715, Maraldi en 1724, Antonio de Ulloa en 1778, Bouditch et Ferrer en 1806, observèrent minutieusement cette couronne; mais de leurs théories contradictoires on ne put rien conclure dedéfinitif. À propos de l'éclipse totale de 1842, les savants de toutes nations, Airy, Arago, Peytal, Laugier, Mauvais, Otto-Struve, Petit, Baily, etc., cherchèrent à obtenir une solution complète touchant l'origine du phénomène; mais quelque sévères qu'eussent été les observations, «le désaccord, dit Arago, que l'on trouve entre les observations faites en divers lieux par des astronomes exercés, dans une seule et même éclipse, a répandu sur la question de telles obscurités, qu'il n'est maintenant possible d'arriver à aucune conclusion certaine sur la cause du phénomène». Depuis cette époque, d'autres éclipses totales de soleil furent étudiées, mais les observations n'obtinrent aucun résultat concluant. 

Cependant, cette question intéressait au plus haut point lesétudes sélénographiques. Il fallait la résoudre à tout prix. Or, une occasion nouvelle se présentait d'étudier la couronne lumineuse si discutée jusqu'alors. Une nouvelle éclipse totale de soleil, totale pour l'extrémité nord de l'Amérique, l'Espagne, le nord de l'Afrique, etc., devait avoir lieu le 18 juillet 1860. Il fut convenu entre astronomes de divers pays que des observations seraient faites simultanément aux divers points de la zone pour laquelle cette éclipse serait totale. Or, ce fut Thomas Black que l'on désigna pour observer ladite éclipse dans la partie septentrionale de l'Amérique. Il devait donc se trouver à peu prèsdans les conditions où se trouvèrent les astronomes anglais qui se transportèrent en Suède et en Norvège à l'occasion de l'éclipse de 1851. 

On le pense bien, Thomas Black saisit avec empressement l'occasion qui lui était offerte d'étudier l'auréole lumineuse. Il devait également reconnaître autant que possible la nature de ces protubérances rougeâtres qui apparaissent sur divers points du contour du satellite terrestre. Si l'astronome de Greenwich parvenait à trancher la question d'une manière irréfutable, il aurait droit aux éloges de toute l'Europe savante. Thomas Black se prépara donc à partir, et il obtint de pressantes lettres de recommandation pour les agents principaux de la Compagnie de la baie d'Hudson. Or, précisément, une expédition devait se rendre prochainement aux limites septentrionales ducontinent afin d'y créer une factorerie nouvelle. C'était une occasion dont il fallait profiter. Thomas Black partit donc, traversa l'Atlantique, débarqua à New-York, gagna à travers les lacs l'établissement de la rivière Rouge, puis de fort en fort,emporté par un traîneau rapide, sous la conduite d'un courrier de la Compagnie, malgré l'hiver, malgré le froid, en dépit de tous les dangers d'un voyage à travers les contrées arctiques, le 17 mars, il arriva au Fort-Reliance dans les conditions que l'onconnaît. 

Telles furent les explications données par l'astronome au capitaine Craventy. Celui-ci se mit tout entier à la dispositionde Thomas Black. 

«Mais, monsieur Black, lui dit-il, pourquoi étiez-vous si pressé d'arriver, puisque cette éclipse de soleil ne doit avoir lieu qu'en 1860, c'est-à-dire l'année prochaine seulement? 

-- Mais, capitaine, répondit l'astronome, j'avais appris que laCompagnie envoyait une expédition sur le littoral américain au-delà du soixante-dixième parallèle, et je ne voulais pas manquer le départ du lieutenant Hobson. 

-- Monsieur Black, répondit le capitaine, si le lieutenant eût étéparti, je me serais fait un devoir de vous accompagner moi-même jusqu'aux limites de la mer polaire.» 

Puis, il répéta à l'astronome que celui-ci pouvait absolumentcompter sur lui et qu'il était le bienvenu au Fort-Reliance.