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Mondovino, LES EFFETS DE LA PARKÉRISATION

« Lorsque, dans les années 70, les grands médias entreprirent de s'intéresser au monde du vin, ils le firent d'abord en rendant célèbres des vignerons-paysans qui avaient résisté au mouvement de détérioration générale de la culture des vignes, et qui élaboraient leurs vins selon des méthodes empiriques » (cf. Michel Le Gris, Dionysos crucifié, Essai sur le goût du vin à l'heure de sa production industrielle , Éd. Syllepse, 1999). Mais leur manière de concevoir le travail du vin est passée de mode, progrès de l'industrialisation oblige. Aujourd'hui, d'autres vedettes campent sur le devant de la scène. Elles doivent leur place au succès des guides des vins à travers le monde. Les critiques - et Parker est sans doute celui dont l'opinion est la plus suivie et la mieux relayée dans les médias -, par un système de notes, mettent en avant certains vins. Ces vins, bien entendu, « se doivent d'être bons, mais surtout d'en mettre plein la vue, le nez et la bouche ; la distinction, la réserve et la nuance n'étant pas précisément les qualités qui conviennent à la réussite de tels projets » (cf. M. Le Gris, op. cit.) Le goût des critiques en question doit beaucoup à la conception techno-scientifique de l'élaboration des vins : il s'agit avant tout d'extraire, c'est-à-dire d'amplifier les arômes « primaires », la couleur, les tanins… À partir de là, seuls les vignerons bons élèves accéderont au statut de vedettes. Pour cela il faut qu'ils puissent répondre rapidement à la nouvelle demande que la distinction des guides leur procure. Ils doivent mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour réaliser cette opération financière. Si l'arrivisme du vigneron est à la hauteur, un réseau d'oenologues en renom, de critiques, de journalistes converge vers lui : les prix s'envolent et les consommateurs suivent. C'est le système classique de la starisation appliqué au monde du vin. Cela signifie qu'au niveau local, là où est implanté le vignoble, arrive un paquet de fric. Pour donner une idée, à titre indicatif : un domaine de 25 ha à 5 000 bouteilles/ha produit donc 125 000 bouteilles à un prix moyen de 15 euros, soit 1 million 875 000 euros par an. Cette manne permet au vigneron bombardé agro-manager, de se constituer une clientèle (au sens sicilien du terme) locale. Il commence par échanger ses parcelles les moins « qualitatives » (dans la plaine, en sol profond) contre les meilleures vignes de coteaux à des conditions qui paraissent très intéressantes aux yeux des viticulteurs coopérateurs. Par exemple : un hectare de vigne de plaine, nouvellement plantée et très productive, contre 20 ares d'une vigne centenaire, en coteau, produisant peu mais d'un excellent raisin. Le coopérateur, payé principalement sur le critère de la quantité du raisin apporté à la coopé, n'y voit que des avantages : gros rendement et possibilité d'un travail hyper mécanisé. Notre vigneron, lui, s'empare petit à petit, en multipliant ce type d'opération, des meilleures vignes et donc des meilleurs raisins, ce qui lui permet d'exercer un réel pouvoir sur l'appellation, et de répondre à la demande croissante, due à sa notoriété, d'un « vin de qualité ». Il y a aussi d'autres moyens moins avouables, mais connus de tous : l'achat, à des prix élevés, des meilleurs raisins de viticulteurs qui atteignent facilement leurs quotas (rendement maximum autorisé) grâce à d'autres vignes très productives. Un autre aspect du système est l'achat de parcelles boisées dans les collines qui ont un fort potentiel viticole, là aussi à des prix élevés qui n'ont plus rien à voir avec le prix des bois. Notre vigneron, qui a de l'influence, obtiendra les autorisations nécessaires (ou s'en passera) pour les droits de plantation. Il défrichera, terrassera à grands coups de bulldozer, transportera des montagnes de terre et créera un sol artificiel, pratiques en principe interdites dans les zones d'appellation. Les autres vignerons du cru, ayant peur de louper le coche, se mettent à imiter la vedette, et dénaturent ainsi l'ensemble de leur production. Et puis cette saignée des meilleurs raisins affaiblit dangereusement la qualité d'ensemble d'une coopérative. En cette période de crise viticole, ce n'est pas sans conséquence. Ce sont les rapports sociaux à l'échelle de la « communauté rurale » qui subissent les contre coups de cette marchandisation : tout est à vendre et tout se vend, effectivement. Le plus fort, c'est que cette pompe à fric permet de fourguer les marchandises les plus modernes en « communiquant » au moyen du langage de la qualité (y compris du bio, voire de la biodynamie) en direction de ceux qui se voudraient « connaisseurs des grands vins ». Avec, comme conséquence paradoxale (en apparence seulement), une destruction des paysages, des terroirs…, des fondements mêmes du discours sur la qualité du vin.

On aura compris que cette parkérisation, avec ou sans Parker, consiste en dernière analyse à produire le plus possible, et par tous les moyens, du « bon » vin. Les investisseurs à l'affût d'opérations juteuses, qui viennent épauler discrètement les vignerons en question, ne s'y sont pas trompés. Ce phénomène n'est pas seulement valable pour les appellations les plus réputées. Même un vignoble comme celui du Languedoc a ses vignerons parkérisés. Le discours publicitaire sur la « qualité » du vin, s'il est d'abord élaboré pour des produits chers (de « niches », disent les technocrates), réservés à ceux qui veulent se personnaliser dans la consommation, sert ensuite pour les vins de consommation plus courante : c'est la même techno-science, c'est la même industrialisation, appliquées à une matière première dont l'insipidité ne peut plus être masquée. Ces marchandises, pour trouver leurs acheteurs, ne peuvent compter que sur l'organisation la plus moderne du mensonge, dont la vérité ultime est la success-story de quelques vedettes, au détriment de tout le reste de la profession.

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« Lorsque, dans les années 70, les grands médias entreprirent de s'intéresser au monde du vin, ils le firent d'abord en rendant célèbres des vignerons-paysans qui avaient résisté au mouvement de détérioration générale de la culture des vignes, et qui élaboraient leurs vins selon des méthodes empiriques » (cf. Michel Le Gris, Dionysos crucifié, Essai sur le goût du vin à l'heure de sa production industrielle, Éd. Syllepse, 1999). Mais leur manière de concevoir le travail du vin est passée de mode, progrès de l'industrialisation oblige. Aujourd'hui, d'autres vedettes campent sur le devant de la scène. Elles doivent leur place au succès des guides des vins à travers le monde. Les critiques - et Parker est sans doute celui dont l'opinion est la plus suivie et la mieux relayée dans les médias -, par un système de notes, mettent en avant certains vins. Ces vins, bien entendu, « se doivent d'être bons, mais surtout d'en mettre plein la vue, le nez et la bouche ; la distinction, la réserve et la nuance n'étant pas précisément les qualités qui conviennent à la réussite de tels projets » (cf. M. Le Gris, op. cit.) Le goût des critiques en question doit beaucoup à la conception techno-scientifique de l'élaboration des vins : il s'agit avant tout d'extraire, c'est-à-dire d'amplifier les arômes « primaires », la couleur, les tanins… À partir de là, seuls les vignerons bons élèves accéderont au statut de vedettes. Pour cela il faut qu'ils puissent répondre rapidement à la nouvelle demande que la distinction des guides leur procure. Ils doivent mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour réaliser cette opération financière. Si l'arrivisme du vigneron est à la hauteur, un réseau d'oenologues en renom, de critiques, de journalistes converge vers lui : les prix s'envolent et les consommateurs suivent. C'est le système classique de la starisation appliqué au monde du vin.

Cela signifie qu'au niveau local, là où est implanté le vignoble, arrive un paquet de fric. Pour donner une idée, à titre indicatif : un domaine de 25 ha à 5 000 bouteilles/ha produit donc 125 000 bouteilles à un prix moyen de 15 euros, soit 1 million 875 000 euros par an. Cette manne permet au vigneron bombardé agro-manager, de se constituer une clientèle (au sens sicilien du terme) locale. Il commence par échanger ses parcelles les moins « qualitatives » (dans la plaine, en sol profond) contre les meilleures vignes de coteaux à des conditions qui paraissent très intéressantes aux yeux des viticulteurs coopérateurs. Par exemple : un hectare de vigne de plaine, nouvellement plantée et très productive, contre 20 ares d'une vigne centenaire, en coteau, produisant peu mais d'un excellent raisin. Le coopérateur, payé principalement sur le critère de la quantité du raisin apporté à la coopé, n'y voit que des avantages : gros rendement et possibilité d'un travail hyper mécanisé. Notre vigneron, lui, s'empare petit à petit, en multipliant ce type d'opération, des meilleures vignes et donc des meilleurs raisins, ce qui lui permet d'exercer un réel pouvoir sur l'appellation, et de répondre à la demande croissante, due à sa notoriété, d'un « vin de qualité ». Il y a aussi d'autres moyens moins avouables, mais connus de tous : l'achat, à des prix élevés, des meilleurs raisins de viticulteurs qui atteignent facilement leurs quotas (rendement maximum autorisé) grâce à d'autres vignes très productives. Un autre aspect du système est l'achat de parcelles boisées dans les collines qui ont un fort potentiel viticole, là aussi à des prix élevés qui n'ont plus rien à voir avec le prix des bois. Notre vigneron, qui a de l'influence, obtiendra les autorisations nécessaires (ou s'en passera) pour les droits de plantation. Il défrichera, terrassera à grands coups de bulldozer, transportera des montagnes de terre et créera un sol artificiel, pratiques en principe interdites dans les zones d'appellation. Les autres vignerons du cru, ayant peur de louper le coche, se mettent à imiter la vedette, et dénaturent ainsi l'ensemble de leur production. Et puis cette saignée des meilleurs raisins affaiblit dangereusement la qualité d'ensemble d'une coopérative. En cette période de crise viticole, ce n'est pas sans conséquence. Ce sont les rapports sociaux à l'échelle de la « communauté rurale » qui subissent les contre coups de cette marchandisation : tout est à vendre et tout se vend, effectivement. Le plus fort, c'est que cette pompe à fric permet de fourguer les marchandises les plus modernes en « communiquant » au moyen du langage de la qualité (y compris du bio, voire de la biodynamie) en direction de ceux qui se voudraient « connaisseurs des grands vins ». Avec, comme conséquence paradoxale (en apparence seulement), une destruction des paysages, des terroirs…, des fondements mêmes du discours sur la qualité du vin.

On aura compris que cette parkérisation, avec ou sans Parker, consiste en dernière analyse à produire le plus possible, et par tous les moyens, du « bon » vin. Les investisseurs à l'affût d'opérations juteuses, qui viennent épauler discrètement les vignerons en question, ne s'y sont pas trompés. Ce phénomène n'est pas seulement valable pour les appellations les plus réputées. Même un vignoble comme celui du Languedoc a ses vignerons parkérisés. Le discours publicitaire sur la « qualité » du vin, s'il est d'abord élaboré pour des produits chers (de « niches », disent les technocrates), réservés à ceux qui veulent se personnaliser dans la consommation, sert ensuite pour les vins de consommation plus courante : c'est la même techno-science, c'est la même industrialisation, appliquées à une matière première dont l'insipidité ne peut plus être masquée. Ces marchandises, pour trouver leurs acheteurs, ne peuvent compter que sur l'organisation la plus moderne du mensonge, dont la vérité ultime est la success-story de quelques vedettes, au détriment de tout le reste de la profession.