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l'histoire de France, Le Front populaire

Place de la Concorde, à Paris, le ciel est gris, bas. Ce 6 février 1934, il fait plus humide que froid. Que font ces gens qui peu à peu envahissent la chaussée? De minute en minute, ils arrivent par le métro, par l'autobus, en voiture, à vélo, à pied. La place est maintenant noire de monde. Sur le pont, là-bas, qui permet de passer sur la rive gauche et de gagner le Palais Bourbon, des forces de police considérables sont massées.

Des cris s'élèvent de la foule: - À bas les voleurs!

La vérité est que ces gens sont furieux parce qu'un escroc nommé Stavisky a pu voler impunément à l'épargne, pendant des années, d'énormes sommes d'argent. Il vient de se donner la mort mais l'on a découvert qu'il avait bénéficié de la complicité de députés et même de ministres. Alors, à l'appel de mouvements politiques appelés ligues - la plus agissante est celle de l'Action française - qui estiment que la République fait fausse route et qu'il faut établir un gouvernement plus fort, des hommes de tous âges se sont donné rendez-vous pour marcher sur la Chambre des députés. Le cri s'enfle et se répète : - À bas les voleurs!

Tout à coup, un coup de feu claque. Puis d'autres. Des hommes tombent. C'est une panique indescriptible. Bientôt on dénombrera vingt morts et beaucoup de blessés.

Quelques jours plus tard, les partis socialiste et communiste - nouveau mouvement plus à gauche que les socialistes - vont s'unir contre le « danger de droite », Ce qui défile maintenant dans sa mémoire, c'est une infinité d'images dont il lui semble aujourd'hui qu'elles vont s'accélérant. Elle a huit ans et demi en février 1934.

En ce temps-là, l'enfant qu'elle est entend sans cesse répéter le même mot : la crise. Les Français, qui ont tant souffert pendant la guerre, ont cru, la paix une fois revenue, retrouver la vie facile de l'avant-guerre. Quelle déception! Pour soutenir l'effort de la nation au combat, l'État s'est considérablement endetté. Le franc, si extraordinairement stable depuis Bonaparte, a perdu de sa valeur. Les Français découvrent un phénomène nouveau dont vos parents ont sûrement parlé devant vous: l'inflation. Chaque année, les prix montent et le franc baisse par rapport aux autres monnaies.

Les Français qui ont prêté leurs économies à l'État se découvrent ruinés. En 1929, aux États-Unis, la Bourse de New York a été atteinte par une gigantesque catastrophe financière: le krach de Wall Street. Du jour au lendemain, des millions d'Américains ont tout perdu. Cette crise économique a, dès 1930, atteint la France. Tout est touché: l'industrie, l'agriculture, le commerce. Un terrible mot est sur toutes les lèvres, un mot que vous connaissez malheureusement très bien: chômage. En 1933, il y a en France près de 1 500 000 chômeurs. Beaucoup ne touchent aucune indemnité.

Ma mère a dix ans et demi. C'est un dimanche. Elle est chez son grand-père paternel. Il est instituteur. Elle l'aime beaucoup mais, tant il est imposant, elle le craint un peu. Il lui explique que les Français, ce jour-là, votent. Elle lui demande:

- Pour qui vas-tu voter, bon papa? Il la regarde sévèrement :

- Le vote de chacun doit rester secret. Devant sa déception, il ajoute:

- Sache seulement que je vais voter républicain.

Ce vote de 1936, on en parle depuis des semaines à la maison.

Elle sait que les trois plus importants partis de gauche, les radicaux, les socialistes, les communistes, ont fait alliance pour tenter de sortir de la crise. Les partis de droite, eux, cherchent naturellement à leur barrer la route.

Le lendemain, très tôt, son père l'envoie acheter le journal. Un titre énorme barre la première page: Victoire du Front populaire. Elle ne comprend pas. Son père lui explique que les partis de gauche ont gagné et qu'ils prennent ce nom pour bien montrer qu'ils sont les élus du peuple. Elle a très vite appris à reconnaître, sur les photos, le visage de Léon Blum, un socialiste, nommé président du Conseil. À la maison, certains sont sûrs qu'il va accomplir enfin les réformes qui amélioreront les conditions de vie des travailleurs. Les autres disent que c'est là une dangereuse illusion. Elle entend maintenant presque chaque jour parler de ce Benito Mussolini qui a installé une dictature fasciste en Italie et de cet Adolf Hitler qui, en Allemagne, a imposé une dictature nationale socialiste, que l'on appelle aussi nazie. Son grand-père et son père sont bien d'accord : ce Mussolini et cet Hitler sont dangereux, car ils mettent la démocratie et la liberté en danger. Elle a onze ans. L'été de 1936 est chaud. Elle fait ses devoirs.

Elle entend un chant, repris par des milliers de voix, s'élever dans la rue : celui de l'Internationale, dont on lui a expliqué qu'il était l'hymne des révolutionnaires du XIXC siècle. Elle s'élance sur le balcon. Elle voit un immense cortège qui défile derrière des banderoles et des drapeaux rouges. De tels cortèges, il s'en forme plusieurs fois par semaine. Nombreux sont en effet les ouvriers de France qui cessent le travail, pour faire pression sur le gouvernement de Léon Blum et obtenir de meilleures conditions de vie. Ils occupent les usines mais entretiennent avec soin les machines.

Vous allez sourire: le Front populaire, dans ses souvenirs, s'identifie au son de l'accordéon. On en joue partout: dans les cortèges de manifestants, dans les usines en grève. Au coin des rues, il accompagne les chanteurs qui reprennent les refrains à la mode, ceux de Maurice Chevalier - depuis longtemps célèbre - et bientôt ceux de débutants comme Tino Rossi et Charles Trénet.

Que de commentaires encore, que de discussions quand les députés votent deux lois qui - lui dit son grand-père - vont changer profondément la vie des Français qui travaillent: ils bénéficieront désormais de la semaine de quarante heures et de deux semaines de congés payés par an. Elle s'aperçoit que sa grand-mère, elle, n'aime guère le gouvernement de Léon Blum. Elle hausse la voix pour dire que l'on ferait mieux de s'occuper de barrer la route à Hitler plutôt que de penser à prendre des vacances et à travailler moins. Son grand-père n'est pas content: il répond qu'il ne faut pas trembler devant Hitler et que d'ailleurs, s'il fait trop le méchant, l'armée française - « la meilleure du monde », répète-t-il avec force -le mettra à la raison. Elle ne se souvient plus de ce que lui a répondu sa grand-mère, mais cela ne devait pas être très aimable.

Elle pense que toutes les familles françaises ont dû entendre, cette année-là, des discussions semblables.

Les ouvriers, eux, ne discutent pas. Elle les voit partir pour les premières vacances de leur vie. Elle s'amuse à regarder les couples qui ont enfourché ces vélos à deux places que l'on appelle tandems. Elle voit des familles entières, sac sur le dos, s'entasser avec bonheur dans les trains pour découvrir la mer ou la montagne. Ce qui l'a le plus occupé, cette année-là, ce n'est pas tant le Front populaire que son entrée en sixième? Chaque jour, désormais, elle entend sur le chemin de l'école des vendeurs crier les titres des journaux. La plupart du temps il est question de la guerre qui vient d'éclater en Espagne entre les républicains - fidèles au gouvernement - et les partisans du général Franco qui a pris les armes contre le pouvoir légal. À la maison, ses parents écoutent plus souvent que par le passé les « nouvelles » à la radio. On parle de plus en plus de l'armée que Hitler constitue en Allemagne, alors que le traité de Versailles le lui interdit. Son père, qui a fait la guerre de 14-18, en est revenu capitaine de réserve. Il accomplit régulièrement des stages que l'on appelle « périodes ». Il revêt alors son uniforme bleu horizon, la couleur des soldats et des officiers de la Grande Guerre. Elle lui trouve grande allure. Quand il l'emmène avec lui dans les rues, elle est très fière. Il rentre d'une de ces périodes. Ils sont à table. Pour la première fois, son père parle d'une guerre possible. Sa mère se tait.

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Place de la Concorde, à Paris, le ciel est gris, bas. Ce 6 février 1934, il fait plus humide que froid. Que font ces gens qui peu à peu envahissent la chaussée? De minute en minute, ils arrivent par le métro, par l'autobus, en voiture, à vélo, à pied.

La place est maintenant noire de monde. Sur le pont, là-bas, qui permet de passer sur la rive gauche et de gagner le Palais Bourbon, des forces de police considérables sont massées.

Des cris s'élèvent de la foule:

- À bas les voleurs!

La vérité est que ces gens sont furieux parce qu'un escroc nommé Stavisky a pu voler impunément à l'épargne, pendant des années, d'énormes sommes d'argent. Il vient de se donner la mort mais l'on a découvert qu'il avait bénéficié de la complicité de députés et même de ministres. Alors, à l'appel de mouvements politiques appelés ligues - la plus agissante est celle de l'Action française - qui estiment que la République fait fausse route et qu'il faut établir un gouvernement plus fort, des hommes de tous âges se sont donné rendez-vous pour marcher sur la Chambre des députés. Le cri s'enfle et se répète :

- À bas les voleurs!

Tout à coup, un coup de feu claque. Puis d'autres. Des hommes tombent. C'est une panique indescriptible. Bientôt on dénombrera vingt morts et beaucoup de blessés.

Quelques jours plus tard, les partis socialiste et communiste - nouveau mouvement plus à gauche que les socialistes - vont s'unir contre le « danger de droite »,

Ce qui défile maintenant dans sa mémoire, c'est une infinité d'images dont il lui semble aujourd'hui qu'elles vont s'accélérant. Elle a huit ans et demi en février 1934.

En ce temps-là, l'enfant qu'elle est entend sans cesse répéter le même mot : la crise. Les Français, qui ont tant souffert pendant la guerre, ont cru, la paix une fois revenue, retrouver la vie facile de l'avant-guerre. Quelle déception! Pour soutenir l'effort de la nation au combat, l'État s'est considérablement endetté. Le franc, si extraordinairement stable depuis Bonaparte, a perdu de sa valeur. Les Français découvrent un phénomène nouveau dont vos parents ont sûrement parlé devant vous: l'inflation. Chaque année, les prix montent et le franc baisse par rapport aux autres monnaies.

Les Français qui ont prêté leurs économies à l'État se découvrent ruinés.

En 1929, aux États-Unis, la Bourse de New York a été atteinte par une gigantesque catastrophe financière: le krach de Wall Street. Du jour au lendemain, des millions d'Américains ont tout perdu. Cette crise économique a, dès 1930, atteint la France. Tout est touché: l'industrie, l'agriculture, le commerce. Un terrible mot est sur toutes les lèvres, un mot que vous connaissez malheureusement très bien: chômage. En 1933, il y a en France près de 1 500 000 chômeurs. Beaucoup ne touchent aucune indemnité.

Ma mère a dix ans et demi. C'est un dimanche. Elle est chez son grand-père paternel. Il est instituteur. Elle l'aime beaucoup mais, tant il est imposant, elle le craint un peu. Il lui explique que les Français, ce jour-là, votent. Elle lui demande:

- Pour qui vas-tu voter, bon papa? Il la regarde sévèrement :

- Le vote de chacun doit rester secret. Devant sa déception, il ajoute:

- Sache seulement que je vais voter républicain.

Ce vote de 1936, on en parle depuis des semaines à la maison.

Elle sait que les trois plus importants partis de gauche, les radicaux, les socialistes, les communistes, ont fait alliance pour tenter de sortir de la crise. Les partis de droite, eux, cherchent naturellement à leur barrer la route.

Le lendemain, très tôt, son père l'envoie acheter le journal.

Un titre énorme barre la première page: Victoire du Front populaire. Elle ne comprend pas. Son père lui explique que les partis de gauche ont gagné et qu'ils prennent ce nom pour bien montrer qu'ils sont les élus du peuple.

Elle a très vite appris à reconnaître, sur les photos, le visage de Léon Blum, un socialiste, nommé président du Conseil. À la maison, certains sont sûrs qu'il va accomplir enfin les réformes qui amélioreront les conditions de vie des travailleurs. Les autres disent que c'est là une dangereuse illusion. Elle entend maintenant presque chaque jour parler de ce Benito Mussolini qui a installé une dictature fasciste en Italie et de cet Adolf Hitler qui, en Allemagne, a imposé une dictature nationale socialiste, que l'on appelle aussi nazie. Son grand-père et son père sont bien d'accord : ce Mussolini et cet Hitler sont dangereux, car ils mettent la démocratie et la liberté en danger.

Elle a onze ans. L'été de 1936 est chaud. Elle fait ses devoirs.

Elle entend un chant, repris par des milliers de voix, s'élever dans la rue : celui de l'Internationale, dont on lui a expliqué qu'il était l'hymne des révolutionnaires du XIXC siècle. Elle s'élance sur le balcon. Elle voit un immense cortège qui défile derrière des banderoles et des drapeaux rouges. De tels cortèges, il s'en forme plusieurs fois par semaine. Nombreux sont en effet les ouvriers de France qui cessent le travail, pour faire pression sur le gouvernement de Léon Blum et obtenir de meilleures conditions de vie. Ils occupent les usines mais entretiennent avec soin les machines.

Vous allez sourire: le Front populaire, dans ses souvenirs, s'identifie au son de l'accordéon. On en joue partout: dans les cortèges de manifestants, dans les usines en grève. Au coin des rues, il accompagne les chanteurs qui reprennent les refrains à la mode, ceux de Maurice Chevalier - depuis longtemps célèbre - et bientôt ceux de débutants comme Tino Rossi et Charles Trénet.

Que de commentaires encore, que de discussions quand les députés votent deux lois qui - lui dit son grand-père - vont changer profondément la vie des Français qui travaillent: ils bénéficieront désormais de la semaine de quarante heures et de deux semaines de congés payés par an. Elle s'aperçoit que sa grand-mère, elle, n'aime guère le gouvernement de Léon Blum. Elle hausse la voix pour dire que l'on ferait mieux de s'occuper de barrer la route à Hitler plutôt que de penser à prendre des vacances et à travailler moins. Son grand-père n'est pas content: il répond qu'il ne faut pas trembler devant Hitler et que d'ailleurs, s'il fait trop le méchant, l'armée française - « la meilleure du monde », répète-t-il avec force -le mettra à la raison. Elle ne se souvient plus de ce que lui a répondu sa grand-mère, mais cela ne devait pas être très aimable.

Elle pense que toutes les familles françaises ont dû entendre, cette année-là, des discussions semblables.

Les ouvriers, eux, ne discutent pas. Elle les voit partir pour les premières vacances de leur vie. Elle  s'amuse à regarder les couples qui ont enfourché ces vélos à deux places que l'on appelle tandems. Elle voit des familles entières, sac sur le dos, s'entasser avec bonheur dans les trains pour découvrir la mer ou la montagne.

Ce qui l'a le plus occupé, cette année-là, ce n'est pas tant le Front populaire que son entrée en sixième? Chaque jour, désormais, elle entend sur le chemin de l'école des vendeurs crier les titres des journaux. La plupart du temps il est question de la guerre qui vient d'éclater en Espagne entre les républicains - fidèles au gouvernement - et les partisans du général Franco qui a pris les armes contre le pouvoir légal.

À la maison, ses parents écoutent plus souvent que par le passé les « nouvelles » à la radio. On parle de plus en plus de l'armée que Hitler constitue en Allemagne, alors que le traité de Versailles le lui interdit.

Son père, qui a fait la guerre de 14-18, en est revenu capitaine de réserve. Il accomplit régulièrement des stages que l'on appelle « périodes ». Il revêt alors son uniforme bleu horizon, la couleur des soldats et des officiers de la Grande Guerre. Elle lui trouve grande allure. Quand il l'emmène avec lui dans les rues, elle est très fière.

Il rentre d'une de ces périodes. Ils sont à table. Pour la première fois, son père parle d'une guerre possible. Sa mère se tait.