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Toi la Vie, Mort annoncée

Mort annoncée

Mon état fébrile m'avait retenue à l'intérieur et, malgré un mal de tête tenace, je savourais ces moments de paresse peu coutumière. Le temps prenait son temps.

Cette journée pluvieuse de mars, perturbée par quelques éclaircies, avait fini par me convaincre de ne pas mettre le nez dehors.

Derrière l'intimité de ma fenêtre entrouverte, je surveillais la rue et suivais, rêveuse, dans une flaque d'eau, la course des nuages d'un ciel changeant. La vapeur de ma tisane brûlante embuait la vitre que j'essuyais machinalement du revers de la manche. Dans l'anarchie du ciel, le bleu, le gris, le blanc se succédaient, par vagues irrégulières, troublées par une giboulée subite, courte mais drue, où le miroir improvisé se ridait profondément. Une accalmie me rendait alors les images du monde.

Selon les humeurs du temps, une ondée un peu plus longue chassait les passants attardés sur un banc. Ils pressaient le pas, en quête d'un abri de fortune. Le vent, conquérant de passage, retournait quelques parapluies. Les branches encore nues, sous les assauts des bourrasques humides, esquissaient la naissance d'un vol. J'aurais aimé figer le temps et ce ciel au bord des larmes, pour écouter encore et encore la voix du vent. J'habitais la place du marché. C'était comme un jardin et les arbres y avaient brisé le macadam pour rejoindre la ligne bleue du ciel. Des enfants couraient et sautaient à pieds joints dans ma flaque, libérant les images captives. L'eau s'apaisait à nouveau, me rendant la mouvance du jour. L'ombre furtive d'un oiseau traversa ma flaque, l'espace d'un instant. J'aimais ce moment sublime où l'eau devenait ciel. Silencieuse, elle était la demeure vivante d'une mémoire fugitive, captant le reflet des choses et du temps, retenant le gris et les couleurs. Ma rêverie s'arrêta net. Il se passait quelque chose. Quelque chose d'important, de grave, d'irrémédiable. Un attroupement s'était constitué dans l'angle nord de la place que mon regard ne pouvait atteindre. Des doigts étaient pointés, là bas, les mains s'agitaient, une rumeur montait, le bruit d'une machine de mort, la mort annoncée des arbres de mon jardin. J'avais connu le paradis, je découvrais l'enfer. Sans crier gare, l'homme prédateur sacrifiait la vie à la gloire du béton. Un à un, les gardiens de la place, témoins intemporels de l'histoire, tombaient sous les assauts répétés et dévastateurs de la tronçonneuse. On me coupait le souffle, on atrophiait mon poumon, on me privait de mon oxygène.

Ils avaient vu tant de printemps, connu la caresse du vent, le rire des enfants, les larmes du ciel, les couleurs de novembre, les heures blanches de l'hiver, tant de saisons et tant de générations. Ils étaient notre mémoire.

L'arbre pleurait et je pleurais, dans une communion de douleur. Je n'osais croire ce que je voyais. C'est pourtant l'homme, il est vrai d'un autre temps, qui lui avait donné la vie ! Impossible de négocier avec le temps l'ombre d'un sursis, l'homme avait décidé la mise à mort. La place s'entoura alors de silence, la plainte s'épuisa. Les oiseaux avaient quitté leur perchoir, il n'y eut plus de cris d'enfants. On avait coupé un arbre, on avait amputé, déraciné ma vie, le monde était gris. La vie s'était arrêtée quelque part. La colère était la réponse à mon impuissance devant tant d'indifférence. Le dernier arbre mourut dans ma flaque, qui engloutit un ultime murmure... avant de perdre la mémoire.

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Mort annoncée

Mon état fébrile m'avait retenue à l'intérieur et, malgré un mal de tête tenace, je savourais ces moments de paresse peu coutumière. Le temps prenait son temps.

Cette journée pluvieuse de mars, perturbée par quelques éclaircies, avait fini par me convaincre de ne pas mettre le nez dehors.

Derrière l'intimité de ma fenêtre entrouverte, je surveillais la rue et suivais, rêveuse, dans une flaque d'eau, la course des nuages d'un ciel changeant. La vapeur de ma tisane brûlante embuait la vitre que j'essuyais machinalement du revers de la manche. Dans l'anarchie du ciel, le bleu, le gris, le blanc se succédaient, par vagues irrégulières, troublées par une giboulée subite, courte mais drue, où le miroir improvisé se ridait profondément. Une accalmie me rendait alors les images du monde.

Selon les humeurs du temps, une ondée un peu plus longue chassait les passants attardés sur un banc. Ils pressaient le pas, en quête d'un abri de fortune. Le vent, conquérant de passage, retournait quelques parapluies. Les branches encore nues, sous les assauts des bourrasques humides, esquissaient la naissance d'un vol. J'aurais aimé figer le temps et ce ciel au bord des larmes, pour écouter encore et encore la voix du vent. J'habitais la place du marché. C'était comme un jardin et les arbres y avaient brisé le macadam pour rejoindre la ligne bleue du ciel. Des enfants couraient et sautaient à pieds joints dans ma flaque, libérant les images captives. L'eau s'apaisait à nouveau, me rendant la mouvance du jour. L'ombre furtive d'un oiseau traversa ma flaque, l'espace d'un instant. J'aimais ce moment sublime où l'eau devenait ciel. Silencieuse, elle était la demeure vivante d'une mémoire fugitive, captant le reflet des choses et du temps, retenant le gris et les couleurs. Ma rêverie s'arrêta net. Il se passait quelque chose. Quelque chose d'important, de grave, d'irrémédiable. Un attroupement s'était constitué dans l'angle nord de la place que mon regard ne pouvait atteindre. Des doigts étaient pointés, là bas, les mains s'agitaient, une rumeur montait, le bruit d'une machine de mort, la mort annoncée des arbres de mon jardin. J'avais connu le paradis, je découvrais l'enfer. Sans crier gare, l'homme prédateur sacrifiait la vie à la gloire du béton. Un à un, les gardiens de la place, témoins intemporels de l'histoire, tombaient sous les assauts répétés et dévastateurs de la tronçonneuse. On me coupait le souffle, on atrophiait mon poumon, on me privait de mon oxygène.

Ils avaient vu tant de printemps, connu la caresse du vent, le rire des enfants, les larmes du ciel, les couleurs de novembre, les heures blanches de l'hiver, tant de saisons et tant de générations. Ils étaient notre mémoire.

L'arbre pleurait et je pleurais, dans une communion de douleur. Je n'osais croire ce que je voyais. C'est pourtant l'homme, il est vrai d'un autre temps, qui lui avait donné la vie ! Impossible de négocier avec le temps l'ombre d'un sursis, l'homme avait décidé la mise à mort. La place s'entoura alors de silence, la plainte s'épuisa. Les oiseaux avaient quitté leur perchoir, il n'y eut plus de cris d'enfants. On avait coupé un arbre, on avait amputé, déraciné ma vie, le monde était gris. La vie s'était arrêtée quelque part. La colère était la réponse à mon impuissance devant tant d'indifférence. Le dernier arbre mourut dans ma flaque, qui engloutit un ultime murmure... avant de perdre la mémoire.