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l'histoire de France, Les Français de l'an Mil

Hors d'haleine, un paysan fait irruption dans ce petit village qui allonge au bord de la Seine ses quelques cabanes de bois couvertes de chaume. Il Hurle : - Les Normands ! Aussitôt, les habitants jaillissent de chez eux. L'effroi se lit sur les visages. Des femmes, soulevant leurs enfants dans leurs bras, s'élancent vers la forêt toute proche. Des hommes jettent dans un sac tout ce qu'il possèdent de précieux et s'apprêtent à prendre le même chemin. Trop tard ! De longues barques non pontées, relevées à la proue et à la poupe viennent d'aborder sur la rive du fleuve. Ces drakkars contiennent une trentaine de rameurs, mêlés à une quarantaine de combattants. Et quels combattants ! Avec leur chevelure hirsute, leurs vêtements de peau, leurs haches ou leurs épées brandies, ils sautent à terre, envahissent le village, rejoignent les fugitifs qu'ils massacrent. Ils forcent les masures et les pillent consciencieusement. Quand ils en ont fini avec une maison, ils y mettent le feu. Malheur au vieillard ou à l'enfant qui se trouverait près de là ! Les envahisseurs s'en saisissent et les jettent dans le brasier. Le produit de leur pillage est entassé dans les bateaux. On y pousse les hommes valides que l'on a capturés et qui seront emmenés en esclavage. Les combattants sautent à bord. On hisse la voile et l'on repart vers un autre village ou une autre ville que l'on ravagera de la même manière. Qui sont-ils ces Normands ? Ils viennent de Scandinavie, en majorité de la Norvège actuelle. Ces Vikings, comme on les appelle, sont allés sur leurs drakkars jusqu'au Groenland et, presque certainement, en Amérique du Nord. Au début du IXè siècle, s'entassant dans les mêmes drakkars, d'autres Vikings ont entrepris des expéditions vers les côtes de l'Europe occidentale. Mon pays a vécu pendant trois quarts de siècle dans la terreur des hommes venus du Nord : tel est le sens du mot Normands. Ils n'épargnent rien, ces Normands. Tous les fleuves leur sont bons ; ils remontent la Seine aussi bien que la Somme, l'Escaut, la Loire, la Gironde. Ils s'enfoncent même dans les terres, mettant à feu et à sang des provinces entières. Les villes brûlent, les abbayes, avec leurs riches terres cultivées, sont dévastées. N'existait-il pas d'empereurs, de rois capables de rassembler leurs sujets contre les hommes du Nord ? Les Français sont environs 6 millions, les Normands quelques dizaines de milliers seulement. Comment n'est-on pas parvenu à leur interdire l'accès du pays ? La vérité est que l'empire de Charlemagne agonise. Le fils du grand empereur, Louis le Débonnaire, est parvenu tant bien que mal à le maintenir tel qu'il l'avait reçu. Hélas, de son vivant, ses propres fils se battaient déjà pour savoir qui en hériterait. Après sa mort, ils ont continué à se faire la guerre, entre eux cette fois ! Charles et Louis se sont mutuellement juré de rester alliés contre leur frère Lothaire : cette promesse solennelle a été appelée le « Serment de Strasbourg » (842).

Finalement, les trois frères se sont mis d'accord et ont signé, l'année suivante, à Verdun, un nouveau traité par lequel ils se sont partagé l'empire de Charlemagne. Louis a gardé la partie « allemande ». Charles, qui a si peu de cheveux qu'on l'appelle le Chauve, a obtenu la partie « française ». Quant à Lothaire, on a crée pour lui un royaume nouveau, un étrange et long couloir allant de la mer du Nord à la Méditerranée.

Le royaume de Charles porte le nom latin : la Francia occidentalis.

Charles règne donc sur la France dès 843. Or c'est en 841 que les Normands inaugurent de terribles incursions sur notre pays. Tristes débuts pour ce roi carolingien !

Contre les Normands, pourquoi n'appelle-t-il pas à son secours les seigneurs qui lui doivent obéissance ? C'est que les choses ont bien changé. Du temps de Charlemagne, ceux qui avaient apporté leur aide à l'empereur recevaient des terres dont certaines représentaient de véritables provinces : on les appelait des fiefs. Mais quand ils mouraient, leurs héritiers devaient les rendre à l'empereur qui les remettait à d'autres de ces vassaux. Les descendants de Charlemagne sont devenus si faibles que les grands seigneurs estiment désormais que les fiefs sont leur propriété. Ils les lèguent à leur fils, sans que le roi ose intervenir. Naturellement, les fils les imiteront.

Dans le système féodal, chaque seigneur, le vassal, dépend d'un seigneur plus important, son suzerain. Les grands seigneurs du royaume ont eux-mêmes installé sue leur fief des seigneurs de moindre rang et ceux-ci ont également fait don de certaines parcelles à des chevaliers qui les secondent dans leurs expéditions guerrières. Tous ont donc un suzerain à qui ils doivent leur aide quand celui-ci la demande.

Cependant, certains propriétaires de fiefs ont donné leurs filles en mariage aux tenants d'autres fiefs. Par le jeu de ces mariages et des héritages, on a vu des seigneurs en arriver à posséder d'immenses territoires, quelques fois plus vastes que le domaine du roi lui-même ! Ils n'en sont pas moins toujours les vassaux du roi, mais celui-ci, quand il fait appel à eux, doit agir avec diplomatie… D'autant plus que les descendants de Charlemagne continuent, les armes à la main, à se disputer les lambeaux de l'ex-empire. Les Normands ? A peine les a-t-on annoncés qu'ils sont là, qu'ils pillent et qu'ils tuent. A quoi bon appeler les vassaux en renfort quand on sait que l'on arrivera après la bataille ? Alors, chaque année ou presque, la même tragédie recommence.

En l'an 866 enfin, un grand seigneur, Robert le Fort, tente de barrer la route aux Normands. Il se bat héroïquement, comme on savait combattre en ce temps-là. Il mérite son surnom – le Fort ! – mais y laisse la vie. Et de nouveau, les Français tremblent.

En 885, le Normand Siegfried assiège Paris. Rien de changé ? Si, l'évêque Gozlin et le comte Eudes décident que cette fois, ils ne se laisseront pas faire. Eudes est le fils de Robert le Fort. Ceci explique cela.

Sept cents barques portant 40 000 Normands sont signalées. Leur file couvre environ huit kilomètres de fleuve. Formidablement retranchés dans l'île de la Cité, les Parisiens ne cèdent pas. Après un siège de treize mois et l'effroyable famine qui en a découlé, ils ne plient toujours pas. Siegfried, qui veut piller la riche Bourgogne, doit se résoudre à faire tirer ses drakkars sur la terre ferme par des chevaux et des bœufs, de façon à contourner Paris. Au retour, il recommence la même manœuvre.

Les Parisiens qui, à juste titre, désespèrent de rois qui ne viennent jamais à leur secours, sont enfin convaincus d'avoir trouvé, dans la famille de Robert le Fort, de véritables défenseurs. Aux IXè et Xè siécles, les demeures des seigneurs sont sommaires. On les construit parfois sur une colline mais plus précisément sur une motte artificielle faite de terre apportée par les paysans. Leur emplacement a été choisi avec grand soin, car il s'agit de pouvoir surveiller les environs de manière à faire face à une attaque à tout instant. Beaucoup de lieux en France gardent, dans leur nom, le souvenir des mottes sur lesquelles on a élevé des châteaux : La Motte-Achard, La Motte-Beuvron.

Dès que la motte est construite, on l'entoure d'une haute palissade en bois, que l'on protège par des fossés, des remblais de terre, des haies vives : c'est la première enceinte. Une autre palissade, à l'intérieur de celle-ci, protège le château proprement dit : ce n'est qu'une grande maison carrée, en bois, avec trois ou quatre étages. En cas d'attaque, les assaillants essaieront de mettre le feu au château. Ils y parviendront souvent. On le reconstruira très vite car, s'il y a quelque chose dont on ne manque en France, c'est le bois. Le pays se présente alors comme une immense forêt. Les terres cultivées, défrichées autour des châteaux et des abbayes, ne forment qu'une infime partie conquise sur cette écrasante masse forestière. Avant les invasions normandes, les cabanes des paysans se disséminaient à travers tout le domaine pour se trouver plus près des cultures. Depuis que l'on vit dans la peur, on les construit à l'intérieur du château, entre la première et la deuxième palissade. Rien de plus misérable que ces masures : des murs en torchis ou en terre battue, un toit de chaume ou même constitué de simples branchages. Aucune fenêtre. La porte seule dispense un peu d'air et de lumière. La vie des paysans a toujours été dure. Elle le reste. Ce qui l'adoucit désormais, c'est la protection accordée par le seigneur. Quand un ennemi s'annonce, les paysans s'enferment dans l'enceinte du château : hommes, femmes, enfants, avec les bêtes. Les châteaux ne sont jamais très éloignés les uns des autres : pas plus d'une dizaine de kilomètres. Ce qui fait qu'ils sont très nombreux en France : il en existe plus de dix mille ! Il n'en reste aujourd'hui aucune trace. En cette fin de IXè siècle, les seigneurs se font constamment la guerre. Pour ruiner l'autre, on saccage ses terres, on brûle ses vignes, on massacre ses bêtes. L'année suivante, les paysans mourront de faim. Que faire pour empêcher cette multitude de conflits ? Le roi Charles le Chauve a pensé qu'il fallait éviter qu'il existe trop de châteaux. Il a interdit, en 864, que l'on construise un château nouveau sans autorisation. Mais qui écoute un roi qui n'a pas le pouvoir de se faire obéir ? Des châteaux, on en a édifié de plus belle. Certains ont fini par se trouver si près les uns des autres que les seigneurs ont pu, du haut de leurs donjons, s'envoyer des projectiles ! La loi, dans le royaume, ce sont les seigneurs désormais qui la font. A la mort de chaque roi, ils se réunissent et choisissent son successeur. En 888, plutôt qu'un prince carolingien, c'est Eudes, le comte de Paris, vainqueur glorieux des Normands, qu'ils choisissent. Les seigneurs élurent cependant encore des princes carolingiens, tel ce Charles le Simple qui, en 911, pour se débarrasser des Normands, fait don à leur chef Rollon d'une province. Celle-ci deviendra la Normandie. Le dernier Carolingien, Louis V, meurt le 2 mai 987. A qui les seigneurs vont-ils décerner le titre de roi ?

Les seigneurs vont se réunir à Senlis, dans une chapelle. Ils sont tous venus, escortés des plus vigoureux de leurs chevaliers : les chemins sont de moins en moins sûrs et les forêts sont infestées de brigands.

Senlis fait partie du domaine du duc de France, Hugues, que certains surnomment Capet. Assis dans le chœur, c'est lui qui préside. Dans l'assistance il reconnaît sa parenté : le duc de Bourgogne, son frère ; le duc d'Aquitaine et le duc de Normandie, ses beaux-frères ; et aussi les grands vassaux de Chartres et d'Anjou. Beaucoup de puissance aux mains de quelques-uns. Beaucoup d'amitiés qui vont se révéler utiles. Si le titre de duc de France que porte Hugues Capet doit légitimement en imposer, son propre fief autour de la ville de Paris, ne représente que la valeur d'un département actuel. Ce n'est rien comparé aux huit grands fiefs du royaume, Flandre, Normandie, Bourgogne,Guyenne, Gascogne, Toulouse, Gothie et Barcelone. Dans ce cas, pourquoi traite-t-on Hugues avec tant de déférence ? Tout simplement parce qu'il appartient à l'illustre famille de Robert le Fort et du comte d'Eudes. C'est assurément la meilleure des références. Ce titre de duc de France, c'est son père, Hugues le Grand, qui l'a porté le premier. Depuis, le fils l'a relevé avec une remarquable dignité. On le tient à juste titre pour un prince sage et modeste. Jamais Hugues Capet n'a déclaré qu'il songeait à devenir roi. Mais dès qu'il est apparu à Senlis, pas un seul des seigneurs n'y a pas songé pour lui. On procède au vote. Hugues Capet est élu à l'unanimité. Le 3 juillet, Hugues reçoit le sacre à Noyon.

Nous pouvons en être sûr : les Seigneurs n'ont pas cru, en choisissant Hugues, fonder une dynastie. Ils ne lui ont décerné le titre de roi que pour la durée de sa propre vie. Ils ne peuvent prévoir que Hugues, avant la fin de l'année 987, va trouver un moyen singulièrement efficace de conserver la couronne dans sa famille. A la fin de décembre, le roi convoque de nouveau les seigneurs, à Orléans cette fois. Le jour de Noël, dans la cathédrale de Sainte-Croix, il fait couronner son fils Robert « roi des peuples occidentaux depuis la Meuse jusqu'à l'Océan ». L'idée n'était pas neuve. Pépin le Bref avait agit ainsi pour son fils Charles, et Charlemagne pour son propre fils.

Les Capétiens ont ainsi transmis la couronne de père en fils pendant trois siècles sans interruption. Pendant trois siècles et demi, la France ne connaîtra aucun de ces problèmes de succession qui ont amené les Carolingiens à leur perte.

A quoi ressemble cette France de l'an mille. Chacun vit à sa place et accepte son sort. Les hommes d'église, des évêques jusqu'aux curés, expliquent que la loi de Dieu veut que les uns – les prêtres – prient, que les autres – les nobles – combattent, et que les autres enfin – les paysans – travaillent. Il existe donc trois sortes de Français. Peu à peu, les uns et les autres en prendront conscience. Ainsi naîtront ce que l'on appellera les trois ordres : le clergé, la noblesse et les paysans qui, plus tard unis aux habitants des villes, les bourgeois, deviendront le tiers état. 95% de la population à cette époque est composée de paysans, les serfs, ce qui signifie qu'ils appartiennent à leur seigneur. Ils n'ont pas le droit de quitter la terre de leur maître et, quand ils se marient ou héritent, ils doivent lui payer une somme d'argent. Leur rêve est d'amasser un pécule qui leur permettrait de se libérer. Comme la terre reste toujours la propriété du seigneur, les paysans libres eux-mêmes doivent payer à celui-ci des redevances en nature – une partie de la récolte – ou en argent, le cens.

Maintenant, partout dans le royaume, on a édifié des églises, car le centre de la vie, c'est l'église. Le paysan, le seigneur, le roi – dont l'existence se ressemble si peu – sont baptisés à l'église de la même façon, ils se marient à l'église, et on les enterre à l'église. Cette foi qui est celle de tous les Français ne suffit pas à certains qui décident de consacrer leur vie tout entière à Dieu et deviennent prêtres.

Le nombre d'abbayes ne cessera d'augmenter. Au début du XIIème siècle, 815 monastères dépendent en France de l'abbaye de Cluny. A la même époque, la France s'est couverte d'églises. Longtemps, elles ont été en bois. On apprend à les construire en pierres. C'est ainsi que naît l'art roman, avec ses édifices dotés d'énormes murs et de très peu de fenêtres. Quand on s'enhardit à alléger les murailles des églises et à agrandir leurs ouvertures, cela devient le style gothique. Pour prouver qu'ils aiment Dieu, les Français voudront construire des cathédrales de plus en plus vastes, avec des tours de plus en plus hautes. A Notre-Dame de Paris, commencée en 1147, 9 000 personnes peuvent trouver place et même, certains jours, 13 000 ! La tour de Strasbourg est haute de 142 mètres !

Les cathédrales du Moyen-Âge, œuvres de plusieurs générations – il a fallu quatre-vingt-dix ans pour finir Notre-Dame – et auxquelles tout un peuple a travaillé, demeurent le témoignage éclatant de la foi qui rayonne à cette époque.

La puissance de l'église dépasse parfois celle des rois. N'est-elle pas parvenue à interdire aux seigneurs de prendre les armes certains jours de la semaine : du mercredi soir au lundi matin ? S'ils passent outre, ils sont excommuniés, la pire des perspectives pour un chrétien. Alors, les seigneurs, malgré le peu d'envie qu'ils en aient, obéissent à l'église. Ils observent la trêve de Dieu.

Quel Français voudrait oublier que le pape est le chef de cette Eglise rayonnante et que les rois eux-mêmes s'humilient devant le successeur de saint Pierre ? Bientôt, c'est ce pape-là qui appellera les Chrétiens à tout quitter pour aller délivrer le tombeau du Christ, occupé à Jérusalem par les Infidèles. Et les chrétiens partiront en croisade.

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Hors d'haleine, un paysan fait irruption dans ce petit village qui allonge au bord de la Seine ses quelques cabanes de bois couvertes de chaume. Il Hurle :

- Les Normands !

Aussitôt, les habitants jaillissent de chez eux. L'effroi se lit sur les visages. Des femmes, soulevant leurs enfants dans leurs bras, s'élancent vers la forêt toute proche. Des hommes jettent dans un sac tout ce qu'il possèdent de précieux et s'apprêtent à prendre le même chemin. Trop tard ! De longues barques non pontées, relevées à la proue et à la poupe viennent d'aborder sur la rive du fleuve. Ces drakkars contiennent une trentaine de rameurs, mêlés à une quarantaine de combattants. Et quels combattants ! Avec leur chevelure hirsute, leurs vêtements de peau, leurs haches ou leurs épées brandies, ils sautent à terre, envahissent le village, rejoignent les fugitifs qu'ils massacrent. Ils forcent les masures et les pillent consciencieusement. Quand ils en ont fini avec une maison, ils y mettent le feu. Malheur au vieillard ou à l'enfant qui se trouverait près de là ! Les envahisseurs s'en saisissent et les jettent dans le brasier. Le produit de leur pillage est entassé dans les bateaux. On y pousse les hommes valides que l'on a capturés et qui seront emmenés en esclavage. Les combattants sautent à bord. On hisse la voile et l'on repart vers un autre village ou une autre ville que l'on ravagera de la même manière.

Qui sont-ils ces Normands ? Ils viennent de Scandinavie, en majorité de la Norvège actuelle. Ces Vikings, comme on les appelle, sont allés sur leurs drakkars jusqu'au Groenland et, presque certainement, en Amérique du Nord.

Au début du IXè siècle, s'entassant dans les mêmes drakkars, d'autres Vikings ont entrepris des expéditions vers les côtes de l'Europe occidentale. Mon pays a vécu pendant trois quarts de siècle dans la terreur des hommes venus du Nord : tel est le sens du mot Normands. Ils n'épargnent rien, ces Normands. Tous les fleuves leur sont bons ; ils remontent la Seine aussi bien que la Somme, l'Escaut, la Loire, la Gironde. Ils s'enfoncent même dans les terres, mettant à feu et à sang des provinces entières. Les villes brûlent, les abbayes, avec leurs riches terres cultivées, sont dévastées. N'existait-il pas d'empereurs, de rois capables de rassembler leurs sujets contre les hommes du Nord ? Les Français sont environs 6 millions, les Normands quelques dizaines de milliers seulement. Comment n'est-on pas parvenu à leur interdire l'accès du pays ?

La vérité est que l'empire de Charlemagne agonise. Le fils du grand empereur, Louis le Débonnaire, est parvenu tant bien que mal à le maintenir tel qu'il l'avait reçu. Hélas, de son vivant, ses propres fils se battaient déjà pour savoir qui en hériterait. Après sa mort, ils ont continué à se faire la guerre, entre eux cette fois ! Charles et Louis se sont mutuellement juré de rester alliés contre leur frère Lothaire : cette promesse solennelle a été appelée le « Serment de Strasbourg » (842).

Finalement, les trois frères se sont mis d'accord et ont signé, l'année suivante, à Verdun, un nouveau traité par lequel ils se sont partagé l'empire de Charlemagne. Louis a gardé la partie « allemande ». Charles, qui a si peu de cheveux qu'on  l'appelle le Chauve, a obtenu la partie « française ». Quant à Lothaire, on a crée pour lui un royaume nouveau, un étrange et long couloir allant de la mer du Nord à la Méditerranée.

Le royaume de Charles porte le nom latin : la Francia occidentalis.

Charles règne donc sur la France dès 843. Or c'est  en 841 que les Normands inaugurent de terribles incursions sur notre pays. Tristes débuts pour ce roi carolingien !

Contre les Normands, pourquoi n'appelle-t-il pas à son secours les seigneurs qui lui doivent obéissance ?

C'est que les choses ont bien changé. Du temps de Charlemagne, ceux qui avaient apporté leur aide à l'empereur recevaient des terres dont certaines représentaient de véritables provinces : on les appelait des fiefs. Mais quand ils mouraient, leurs héritiers devaient les rendre à l'empereur qui les remettait à d'autres de ces vassaux.

Les descendants de Charlemagne sont devenus si faibles que les grands seigneurs estiment désormais que les fiefs sont leur propriété. Ils les lèguent à leur fils, sans que le roi ose intervenir. Naturellement, les fils les imiteront.

Dans le système féodal, chaque seigneur, le vassal, dépend d'un seigneur plus important, son suzerain. Les grands seigneurs du royaume ont eux-mêmes installé sue leur fief des seigneurs de moindre rang et ceux-ci ont également fait don de certaines parcelles à  des chevaliers qui les secondent dans leurs expéditions guerrières. Tous ont donc un suzerain à qui ils doivent leur aide quand celui-ci la demande.

Cependant, certains propriétaires de fiefs ont donné leurs filles en mariage aux tenants d'autres fiefs. Par le jeu de ces mariages et des héritages, on a vu des seigneurs en arriver à posséder d'immenses territoires, quelques fois plus vastes que le domaine du roi lui-même ! Ils n'en sont pas moins toujours les vassaux du roi, mais celui-ci, quand il fait appel à eux, doit agir avec diplomatie… D'autant plus que les descendants de Charlemagne continuent, les armes à la main, à se disputer les lambeaux de l'ex-empire.

 

Les Normands ? A peine les a-t-on annoncés qu'ils sont là, qu'ils pillent et qu'ils tuent. A quoi bon appeler les vassaux en renfort quand on sait que l'on arrivera après la bataille ? Alors, chaque année ou presque, la même tragédie recommence.

En l'an 866 enfin, un grand seigneur, Robert le Fort, tente de barrer la route aux Normands. Il se bat héroïquement, comme on savait combattre en ce temps-là. Il mérite son surnom – le Fort ! – mais y laisse la vie. Et de nouveau, les Français tremblent.

En 885, le Normand Siegfried assiège Paris. Rien de changé ? Si, l'évêque Gozlin et le comte Eudes décident que cette fois, ils ne se laisseront pas faire. Eudes est le fils de Robert le Fort. Ceci explique cela.

Sept cents barques portant 40 000 Normands sont signalées. Leur file couvre environ huit kilomètres de fleuve. Formidablement retranchés dans l'île de la Cité, les Parisiens ne cèdent pas. Après un siège de treize mois et l'effroyable famine qui en a découlé, ils ne plient toujours pas. Siegfried, qui veut piller la riche Bourgogne, doit se résoudre à faire tirer ses drakkars sur la terre ferme par des chevaux et des bœufs, de façon à contourner Paris. Au retour, il recommence la même manœuvre.

Les Parisiens qui, à juste titre, désespèrent de rois qui ne viennent jamais à leur secours, sont enfin convaincus d'avoir trouvé, dans la famille de Robert le Fort, de véritables défenseurs.

 

Aux IXè et Xè siécles, les demeures des seigneurs sont sommaires. On les construit parfois sur une colline mais plus précisément sur une motte artificielle faite de terre apportée par les paysans. Leur emplacement a été choisi avec grand soin, car il s'agit de pouvoir surveiller les environs de manière à faire face à une attaque à tout instant. Beaucoup de lieux en France gardent, dans leur nom, le souvenir des mottes sur lesquelles on a élevé des châteaux : La Motte-Achard, La Motte-Beuvron.

Dès que la motte est construite, on l'entoure d'une haute palissade en bois, que l'on protège par des fossés, des remblais de terre, des haies vives : c'est la première enceinte. Une autre palissade, à l'intérieur de celle-ci, protège le château proprement dit : ce n'est qu'une grande maison carrée, en bois, avec trois ou quatre étages. En cas d'attaque, les assaillants essaieront de mettre le feu au château. Ils y parviendront souvent. On le reconstruira très vite car, s'il y a quelque chose dont on ne manque en France, c'est le bois. Le pays se présente alors comme une immense forêt. Les terres cultivées, défrichées autour des châteaux et des abbayes, ne forment qu'une infime partie conquise sur cette écrasante masse forestière.

Avant les invasions normandes, les cabanes des paysans se disséminaient à travers tout le domaine pour se trouver plus près des cultures. Depuis que l'on vit dans la peur, on les construit à l'intérieur du château, entre la première et la deuxième palissade. Rien de plus misérable que ces masures : des murs en torchis ou en terre battue, un toit de chaume ou même constitué de simples branchages. Aucune fenêtre. La porte seule dispense un peu d'air et de lumière.

La vie des paysans a toujours été dure. Elle le reste. Ce qui l'adoucit désormais, c'est la protection accordée par le seigneur. Quand un ennemi s'annonce, les paysans s'enferment dans l'enceinte du château : hommes, femmes, enfants, avec les bêtes.

Les châteaux ne sont jamais très éloignés les uns des autres : pas plus d'une dizaine de kilomètres. Ce qui fait qu'ils sont très nombreux en France : il en existe plus de dix mille ! Il n'en reste aujourd'hui aucune trace.

En cette fin de IXè siècle, les seigneurs se font constamment la guerre. Pour ruiner l'autre, on saccage ses terres, on brûle ses vignes, on massacre ses bêtes. L'année suivante, les paysans mourront de faim.

Que faire pour empêcher cette multitude de conflits ? Le roi Charles le Chauve a pensé qu'il fallait éviter qu'il existe trop de châteaux. Il a interdit, en 864, que l'on construise un château nouveau sans autorisation. Mais qui écoute un roi qui n'a pas le pouvoir de se faire obéir ? Des châteaux, on en a édifié de plus belle. Certains ont fini par se trouver si près les uns des autres que les seigneurs ont pu, du haut de leurs donjons, s'envoyer des projectiles !

La loi, dans le royaume, ce sont les seigneurs désormais qui la font. A la mort de chaque roi, ils se réunissent et choisissent son successeur. En 888, plutôt qu'un prince carolingien, c'est Eudes, le comte de Paris, vainqueur glorieux des Normands, qu'ils choisissent.

Les seigneurs élurent cependant encore des princes carolingiens, tel ce Charles le Simple qui, en 911, pour se débarrasser des Normands, fait don à leur chef Rollon d'une province. Celle-ci deviendra la Normandie. Le dernier Carolingien, Louis V, meurt le 2 mai 987. A qui les seigneurs vont-ils décerner le titre de roi ?

 

Les seigneurs vont se réunir à Senlis, dans une chapelle. Ils sont tous venus, escortés des plus vigoureux de leurs chevaliers : les chemins sont de moins en moins sûrs et les forêts sont infestées de brigands.

Senlis fait partie du domaine du duc de France, Hugues, que certains surnomment Capet. Assis dans le chœur, c'est lui qui préside. Dans l'assistance il reconnaît sa parenté : le duc de Bourgogne, son frère ; le duc d'Aquitaine et le duc de Normandie, ses beaux-frères ; et aussi les grands vassaux de Chartres et d'Anjou. Beaucoup de puissance aux mains de quelques-uns. Beaucoup d'amitiés qui vont se révéler utiles.

Si le titre de duc de France que porte Hugues Capet doit légitimement en imposer, son propre fief  autour de la ville de Paris, ne représente que la valeur d'un département actuel. Ce n'est rien comparé aux huit grands fiefs du royaume, Flandre, Normandie, Bourgogne,Guyenne, Gascogne, Toulouse, Gothie et Barcelone.

Dans ce cas, pourquoi traite-t-on Hugues avec tant de déférence ? Tout simplement parce qu'il appartient à l'illustre famille de Robert le Fort et du comte d'Eudes. C'est assurément la meilleure des références. Ce titre de duc de France, c'est son père, Hugues le Grand, qui l'a porté le premier. Depuis, le fils l'a relevé avec une remarquable dignité.

On le tient à juste titre pour un prince sage et modeste. Jamais Hugues Capet n'a déclaré qu'il songeait à devenir roi. Mais dès qu'il est apparu à Senlis, pas un seul des seigneurs n'y a pas songé pour lui.

On procède au vote. Hugues Capet est élu à l'unanimité.

Le 3 juillet, Hugues reçoit le sacre à Noyon.

 

Nous pouvons en être sûr : les Seigneurs n'ont pas cru, en choisissant Hugues, fonder une dynastie. Ils ne lui ont décerné le titre de roi que pour la durée de sa propre vie. Ils ne peuvent prévoir que Hugues, avant la fin de l'année 987, va trouver un moyen singulièrement efficace de conserver la couronne dans sa famille.

A la fin de décembre, le roi convoque de nouveau les seigneurs, à Orléans cette fois. Le jour de Noël, dans la cathédrale de Sainte-Croix, il fait couronner son fils Robert « roi des peuples occidentaux depuis la Meuse jusqu'à l'Océan ».

L'idée n'était pas neuve. Pépin le Bref avait agit ainsi pour son fils Charles, et Charlemagne pour son propre fils.

Les Capétiens ont ainsi transmis la couronne de père en fils pendant trois siècles sans interruption. Pendant trois siècles et demi, la France ne connaîtra aucun de ces problèmes de succession qui ont amené les Carolingiens à leur perte.

 

A quoi ressemble cette France de l'an mille.

Chacun vit à sa place et accepte son sort. Les hommes d'église, des évêques jusqu'aux curés, expliquent que la loi de Dieu veut que les uns – les prêtres – prient, que les autres – les nobles – combattent, et que les autres enfin – les paysans – travaillent. Il existe donc trois sortes de Français. Peu à peu, les uns et les autres en prendront conscience. Ainsi naîtront ce que l'on appellera les trois ordres : le clergé, la noblesse et les paysans qui, plus tard unis aux habitants des villes, les bourgeois, deviendront le tiers état.

95% de la population à cette époque est composée de paysans, les serfs, ce qui signifie qu'ils appartiennent à leur seigneur. Ils n'ont pas le droit de quitter la terre de leur maître et, quand ils se marient ou héritent, ils doivent lui payer une somme d'argent. Leur rêve est d'amasser un pécule qui leur permettrait de se libérer. Comme la terre reste toujours la propriété du seigneur, les paysans libres eux-mêmes doivent payer à celui-ci des redevances en nature – une partie de la récolte – ou en argent, le cens.

Maintenant, partout dans le royaume, on a édifié des églises, car le centre de la vie, c'est l'église. Le paysan, le seigneur, le roi – dont l'existence se ressemble si peu – sont baptisés à l'église de la même façon, ils se marient à l'église, et on les enterre à l'église.

Cette foi qui est celle de tous les Français ne suffit pas à certains qui décident de consacrer leur vie tout entière à Dieu et deviennent prêtres.

Le nombre d'abbayes ne cessera d'augmenter. Au début du XIIème siècle, 815 monastères dépendent en France de l'abbaye de Cluny.

A la même époque, la France s'est couverte d'églises. Longtemps, elles ont été en bois. On apprend à les construire en pierres. C'est ainsi que naît l'art roman, avec ses édifices dotés d'énormes murs et de très peu de fenêtres. Quand on s'enhardit à alléger les murailles des églises et à agrandir leurs ouvertures, cela devient le style gothique.

Pour prouver qu'ils aiment Dieu, les Français voudront construire des cathédrales de plus en plus vastes, avec des tours de plus en plus hautes. A Notre-Dame de Paris, commencée en 1147, 9 000 personnes peuvent trouver place et même, certains jours, 13 000 ! La tour de Strasbourg est haute de 142 mètres !

Les cathédrales du Moyen-Âge, œuvres de plusieurs générations – il a fallu quatre-vingt-dix ans pour finir Notre-Dame – et auxquelles tout un peuple a travaillé, demeurent le témoignage éclatant de la foi qui rayonne à cette époque.

La puissance de l'église dépasse parfois celle des rois. N'est-elle pas parvenue à interdire aux seigneurs de prendre les armes certains jours de la semaine : du mercredi soir au lundi matin ? S'ils passent outre, ils sont excommuniés, la pire des perspectives pour un chrétien. Alors, les seigneurs, malgré le peu d'envie qu'ils en aient, obéissent à l'église. Ils observent la trêve de Dieu.

Quel Français voudrait oublier que le pape est le chef de cette Eglise rayonnante et que les rois eux-mêmes s'humilient devant le successeur de saint Pierre ? Bientôt, c'est ce pape-là qui appellera les Chrétiens à tout quitter pour aller délivrer le tombeau du Christ, occupé à Jérusalem par les Infidèles.

Et les chrétiens partiront en croisade.