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Mondovino, MONDOVINO : Plus qu'un film sur le vin - part 1

MONDOVINO : Plus qu'un film sur le vin - part 1

Après trois longs-métrages de fiction ( Resident Alien (1991), mais surtout Sunday (1997) et Signs and Wonders (2000)) - des œuvres complexes, à la structure vertigineuse, parmi les plus belles et les plus originales du cinéma contemporain - Jonathan Nossiter entreprend le tournage du documentaire Mondovino , qui devait durer quelques mois. Il passera finalement quatre ans à voyager entre l'Europe et les Amériques, amassant plus de 500 heures d'images sur le monde du vin. C'est donc dire qu'en cours de route, il a vu le sujet « s'ouvrir », se creuser, élargissant de plus en plus la perspective du film. Mondovino est un périple à travers des régions du monde où l'on produit du vin, une suite de rencontres avec des gens, des cultures, des traditions, des paysages. Avant tout, dans ce voyage, une réflexion critique prend forme sur le nouvel ordre commercial du marché mondialisé du vin. Mais aussi riche le film puisse-t-il être sur le sujet, il n'en sera pourtant que brièvement question ici. Car pour peu qu'on porte le regard au-delà du premier plan narratif, le film est un faisceau toujours plus large que son sujet. La véritable exaltation qu'il procure tient tout autant à ses qualités d'œuvre cinématographique, aux sujets secondaires qui s'y introduisent, à son caractère esthétique particulier et aux réflexions qu'il inspire dans le champ des approches documentaires. Plus qu'une recherche factuelle ou l'illustration d'un discours, Mondovino est une œuvre visuelle, richement texturée, tournée avec tous les sens en éveil, et par l'accomplissement d'un certain « art de l'arrière-plan », c'est aussi un film sur l'histoire, la famille, l'art, la lumière, les chiens… Une grande part des réactions au film fut nécessairement polarisée entre l'adhésion et l'opposition à ses positions critiques. On lui a reproché un tableau biaisé, trop étroitement anti-mondialiste, voire « anti-moderne », « anti-américain » ou hostile à la « démocratisation » du marché du vin. Pourtant, clairement, le discours n'est nullement aussi simpliste qu'une opposition Etats-Unis vs Europe ou tradition vs modernité. Le film révèle avant tout des frictions et des fractures entre des mentalités différentes, et l'esprit du marketing et des règles du marché n'est pas une exclusivité américaine. Le jeu publicitaire des « critiques-vedettes » des vins, la réforme de certaines pratiques traditionnelles, l'influence de consultants qui orientent la production vers les modes du marché - tout cela fait partie d'une nouvelle réalité globale. Il faut bien voir du reste que Nossiter n'y impose pas un discours général, mais s'applique à l'incarner dans des situations concrètes, qui finissent par parler d'elles-mêmes. Par exemple, l'obsession de « l'oxygénation » du vin (une façon, en fait, de créer artificiellement le travail du temps sur le vin), en quantité et à intervalles réglées par un consultant, devient pratiquement loufoque. De même l'enthousiasme pour le fût de chêne apparaît autant comme un effet de mode uniformisant que comme procédé conférant des qualités particulières au liquide. Des situations conflictuelles éclatent plus clairement, telle la jeune femme en France ne voulant plus travailler pour un gros producteur apposant des étiquettes différentes sur des vins quasiment identiques, ou le riche Californien regrettant qu'un maire « communiste » ait contribué à l'échec de l'acquisition de grandes terres en France . La question centrale posée par le film est celle-ci : comment l'emprise commerciale de la mondialisation sur un produit peut-elle affecter des particularités qui faisaient partie de sa création jusqu'ici, comme la culture, la possession de la terre, le savoir-faire traditionnel, le temps, la diversité… ? Sur ce point, le film n'éclaire pas seulement la situation du vin, il en fait une brillante métaphore de la mondialisation en général. Le film parle de tout cela. Mais avec quelle voix, par quels moyens ? Et le point de vue, inévitablement mis en cause dans tout film constituant une « charge critique », sous quelle forme s'exprime-t-il ? Un point de vue Il faut d'abord noter que l'identité même du cinéaste lui réserve un angle privilégié pour aborder le sujet. Nossiter est lui-même sommelier à New York. Il détient la double nationalité française et américaine, ce qui lui permettait, au tournage, d'être accueilli comme « un des leurs », autant aux Etats-Unis qu'en France, s'exprimant parfaitement dans les deux langues, en plus de parler aussi l'italien et l'espagnol, le rendant donc apte à converser aisément avec tous les participants du film. De plus, Mondovino n'est pas aussi éloigné qu'il ne pourrait paraître de ses films de fiction. Dans Signs and Wonders , les tourments sentimentaux et existentiels des personnages, où se croisaient poètes et financiers, se déployaient sur fond d'histoire de la Grèce et de mondialisation économique, avec des rues d'Athènes où scintillent les enseignes de chaînes de fast food américaines. On y décelait cet intérêt pour l'histoire de la civilisation occidentale, ses origines et ses ruptures. On comprend alors que le vin vienne s'inscrire parfaitement dans cette perspective. Puis, dans ce film comme dans Sunday , les personnages sont pris dans des rapports instables de confiance et de méfiance, entre la vérité et le mirage des signes. Bien sûr, dans Mondovino il ne s'agit pas d'écrire ces personnages, mais une dimension du documentaire est faite de rapports semblables entre le cinéaste et les participants, où chacun peut jouer avec la vérité qu'il veut faire paraître. Le point de vue ne domine pas d'avance les situations, il est souvent remis en jeu dans les rapports directs qui se créent au tournage et dans les choix du montage, il est appelé à se définir par rapport au « théâtre » des autres, à leurs propres points de vue déjà affirmés sur un mode de persuasion, de faire-valoir, de mise en scène. Le puissant consultant Michel Rolland, le « flying winemaker » de Bordeaux, se fait conduire d'un vignoble à l'autre par son chauffeur, il est constamment en représentation, volubile, sûr de lui, on ne sait quelle part du personnage vient d'une bonhomie naturelle et quelle part d'une opération de charme, constamment nécessaire à la séduction de ses clients, au besoin d'inspirer confiance. On ne sait dans quelle mesure son savoir est fondé ou subordonné à ses visées commerciales. Il est le prophète de la « modernité ». Fait insolite et remarquable, c'est lui qui se fait prendre au jeu, par l'absence de méfiance envers le cinéaste, alors qu'il émet des remarques arrogantes et méprisantes envers les habitants d'un village du Languedoc qui ont refusé la vente des terres à une grande firme américaine. Le supplément du DVD, avec les commentaires de Nossiter, est ici révélateur. On apprend que Roland fut très outré de voir ces remarques être incluses dans le film, alors qu'il croyait pouvoir faire confiance au cinéaste, que cette discussion restait entre eux. Pourtant, tel le dit Nossiter, il a bel et bien exprimé sa pensée et voyait que la caméra tournait. On comprend qu'il ait pu regretter ses paroles, mais il s'est laissé prendre à son propre jeu, emporté par la verve autoritaire de son personnage, sur la scène que lui offre la caméra et qu'il ne manque pas d'occuper dans toute sa largeur. Même principe chez un important producteur en France. L'homme assez jeune, fier de sa place enviable sur le marché, est de bonne humeur, il enlève son pantalon et monte dans une grande cuve pour piétiner lui-même les raisins. Il fut choqué, humilié (avec raison), qu'un zoom montre ses testicules sortir de son sous-vêtement, alors qu'il dit : « ils sont tout petits ces raisins ». Nossiter se défend de ce plan, l'affirmant comme un retournement de la situation que l'autre a lui-même provoquée, alors qu'au lieu d'accueillir le cinéaste pour lui parler honnêtement, il se sert de la visite d'une équipe de tournage pour orchestrer une pirouette publicitaire. Un autre vigneron, Aimé Guibert, un « résistant » dans l'affaire Languedoc-Mondavi, éloquent dans son discours sur l'art du vin, le sens de la tradition et du terroir, puis son opposition féroce à l'expansion tentaculaire de la grande firme californienne, nous surprend plus tard quand son discours soudainement se nuance, quant à ses pourparlers avec une grande firme française aux ambitions comparables. Aux Etats-Unis, le critique le plus influent au monde, Robert Parker, a beau parler de son succès comme d'une réalisation personnelle en dehors de l'élite traditionnelle du vin, et nous pouvons penser que par définition son travail devrait allier une connaissance objective au raffinement d'un jugement subjectif, on constate pourtant, à l'écoute d'un discours qu'il livre à une assemblée de compatriotes, que l'intention de servir les « intérêts américains » est inséparable de son travail. Il a largement contribué, entre autres, à discréditer la notion de terroir, alors que bien sûr elle est absente de la fabrication des vins américains.

Bref, nous pourrions ainsi relever d'autres exemples. La subjectivité du cinéaste - cette notion ambiguë toujours au cœur des tiraillements critiques sur le cinéma documentaire - n'est pas un point fixe qui dirige le film, une volonté unilatérale qui teinterait d'avance toute la réalité, mais elle se définit, du moins partiellement, en étant forcée de traverser les écrans des autres subjectivités, qui sont tout autant jouées, mises en scène. Et c'est bien en parvenant, à l'occasion, à retourner ces masques, que le film peut justement exprimer une certaine vérité. Le point de vue ne se manifeste pas non plus dans la pseudo-distance ironique très en vogue dans les documentaires d'aujourd'hui. Ici nous ne sommes jamais devant un dispositif préconçu qui viendrait piéger les participants dans la démonstration pamphlétaire du cinéaste. On observe plutôt que le film fut constamment tourné dans une présence sincère et attentive auprès des gens rencontrés. Bien sûr, ceci n'exclut pas les préjugés que le cinéaste peut entretenir au départ envers une personne ou ses idées, ni son privilège d'avoir le dernier mot au montage, mais il serait d'emblée absurde d'imaginer que le tournage d'un documentaire puisse s'extraire de cette banale réalité des rapports humains. Aborder un sujet avec une perspective personnelle, ce n'est pas prétendre à l'équilibre de tous les points de vue, ni imposer une structure dans un discours écrit d'avance, mais s'appliquer au montage à construire une lecture intelligible de la réalité qui s'est donnée au cœur d'un échange, ouvert et conflictuel (et peu importe ce qu'il voulait capter au départ, tout documentariste sait bien que la réalité lui en donnera si peu).

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MONDOVINO : Plus qu'un film sur le vin - part 1 MONDOVINO: More than a film about wine - part 1

Après trois longs-métrages de fiction ( Resident Alien (1991), mais surtout  Sunday (1997) et  Signs and Wonders (2000)) - des œuvres complexes, à la structure vertigineuse, parmi les plus belles et les plus originales du cinéma contemporain - Jonathan Nossiter entreprend le tournage du documentaire  Mondovino , qui devait durer quelques mois. Il passera finalement quatre ans à voyager entre l'Europe et les Amériques, amassant plus de 500 heures d'images sur le monde du vin. C'est donc dire qu'en cours de route, il a vu le sujet « s'ouvrir », se creuser, élargissant de plus en plus la perspective du film. Mondovino est un périple à travers des régions du monde où l'on produit du vin, une suite de rencontres avec des gens, des cultures, des traditions, des paysages. Avant tout, dans ce voyage, une réflexion critique prend forme sur le nouvel ordre commercial du marché mondialisé du vin. Mais aussi riche le film puisse-t-il être sur le sujet, il n'en sera pourtant que brièvement question ici. Car pour peu qu'on porte le regard au-delà du premier plan narratif, le film est un faisceau toujours plus large que son sujet. La véritable exaltation qu'il procure tient tout autant à ses qualités d'œuvre cinématographique, aux sujets secondaires qui s'y introduisent, à son caractère esthétique particulier et aux réflexions qu'il inspire dans le champ des approches documentaires. Plus qu'une recherche factuelle ou l'illustration d'un discours,  Mondovino est une œuvre visuelle, richement texturée, tournée avec tous les sens en éveil, et par l'accomplissement d'un certain « art de l'arrière-plan », c'est aussi un film sur l'histoire, la famille, l'art, la lumière, les chiens… Une grande part des réactions au film fut nécessairement polarisée entre l'adhésion et l'opposition à ses positions critiques. On lui a reproché un tableau biaisé, trop étroitement anti-mondialiste, voire « anti-moderne », « anti-américain » ou hostile à la « démocratisation » du marché du vin. Pourtant, clairement, le discours n'est nullement aussi simpliste qu'une opposition Etats-Unis vs Europe ou tradition vs modernité. Le film révèle avant tout des frictions et des fractures entre des mentalités différentes, et l'esprit du marketing et des règles du marché n'est pas une exclusivité américaine. Le jeu publicitaire des « critiques-vedettes » des vins, la réforme de certaines pratiques traditionnelles, l'influence de consultants qui orientent la production vers les modes du marché - tout cela fait partie d'une nouvelle réalité globale. Il faut bien voir du reste que Nossiter n'y impose pas un discours général, mais s'applique à l'incarner dans des situations concrètes, qui finissent par parler d'elles-mêmes. Par exemple, l'obsession de « l'oxygénation » du vin (une façon, en fait, de créer artificiellement le travail du temps sur le vin), en quantité et à intervalles réglées par un consultant, devient pratiquement loufoque. De même l'enthousiasme pour le fût de chêne apparaît autant comme un effet de mode uniformisant que comme procédé conférant des qualités particulières au liquide. Des situations conflictuelles éclatent plus clairement, telle la jeune femme en France ne voulant plus travailler pour un gros producteur apposant des étiquettes différentes sur des vins quasiment identiques, ou le riche Californien regrettant qu'un maire « communiste » ait contribué à l'échec de l'acquisition de grandes terres en France . La question centrale posée par le film est celle-ci : comment l'emprise commerciale de la mondialisation sur un produit peut-elle affecter des particularités qui faisaient partie de sa création jusqu'ici, comme la culture, la possession de la terre, le savoir-faire traditionnel, le temps, la diversité… ? Sur ce point, le film n'éclaire pas seulement la situation du vin, il en fait une brillante métaphore de la mondialisation en général. Le film parle de tout cela. Mais avec quelle voix, par quels moyens ? Et le point de vue, inévitablement mis en cause dans tout film constituant une « charge critique », sous quelle forme s'exprime-t-il ? Un point de vue Il faut d'abord noter que l'identité même du cinéaste lui réserve un angle privilégié pour aborder le sujet. Nossiter est lui-même sommelier à New York. Il détient la double nationalité française et américaine, ce qui lui permettait, au tournage, d'être accueilli comme « un des leurs », autant aux Etats-Unis qu'en France, s'exprimant parfaitement dans les deux langues, en plus de parler aussi l'italien et l'espagnol, le rendant donc apte à converser aisément avec tous les participants du film. De plus,  Mondovino n'est pas aussi éloigné qu'il ne pourrait paraître de ses films de fiction. Dans Signs and Wonders , les tourments sentimentaux et existentiels des personnages, où se croisaient poètes et financiers, se déployaient sur fond d'histoire de la Grèce et de mondialisation économique, avec des rues d'Athènes où scintillent les enseignes de chaînes de fast food américaines. On y décelait cet intérêt pour l'histoire de la civilisation occidentale, ses origines et ses ruptures. On comprend alors que le vin vienne s'inscrire parfaitement dans cette perspective. Puis, dans ce film comme dans  Sunday , les personnages sont pris dans des rapports instables de confiance et de méfiance, entre la vérité et le mirage des signes. Bien sûr, dans  Mondovino il ne s'agit pas d'écrire ces personnages, mais une dimension du documentaire est faite de rapports semblables entre le cinéaste et les participants, où chacun peut jouer avec la vérité qu'il veut faire paraître. Le point de vue ne domine pas d'avance les situations, il est souvent remis en jeu dans les rapports directs qui se créent au tournage et dans les choix du montage, il est appelé à se définir par rapport au « théâtre » des autres, à leurs propres points de vue déjà affirmés sur un mode de persuasion, de faire-valoir, de mise en scène. Le puissant consultant Michel Rolland, le « flying winemaker » de Bordeaux, se fait conduire d'un vignoble à l'autre par son chauffeur, il est constamment en représentation, volubile, sûr de lui, on ne sait quelle part du personnage vient d'une bonhomie naturelle et quelle part d'une opération de charme, constamment nécessaire à la séduction de ses clients, au besoin d'inspirer confiance. On ne sait dans quelle mesure son savoir est fondé ou subordonné à ses visées commerciales. Il est le prophète de la « modernité ». Fait insolite et remarquable, c'est lui qui se fait prendre au jeu, par l'absence de méfiance envers le cinéaste, alors qu'il émet des remarques arrogantes et méprisantes envers les habitants d'un village du Languedoc qui ont refusé la vente des terres à une grande firme américaine. Le supplément du DVD, avec les commentaires de Nossiter, est ici révélateur. On apprend que Roland fut très outré de voir ces remarques être incluses dans le film, alors qu'il croyait pouvoir faire confiance au cinéaste, que cette discussion restait entre eux. Pourtant, tel le dit Nossiter, il a bel et bien exprimé sa pensée et voyait que la caméra tournait. On comprend qu'il ait pu regretter ses paroles, mais il s'est laissé prendre à son propre jeu, emporté par la verve autoritaire de son personnage, sur la scène que lui offre la caméra et qu'il ne manque pas d'occuper dans toute sa largeur. Même principe chez un important producteur en France. L'homme assez jeune, fier de sa place enviable sur le marché, est de bonne humeur, il enlève son pantalon et monte dans une grande cuve pour piétiner lui-même les raisins. Il fut choqué, humilié (avec raison), qu'un zoom montre ses testicules sortir de son sous-vêtement, alors qu'il dit : « ils sont tout petits ces raisins ». Nossiter se défend de ce plan, l'affirmant comme un retournement de la situation que l'autre a lui-même provoquée, alors qu'au lieu d'accueillir le cinéaste pour lui parler honnêtement, il se sert de la visite d'une équipe de tournage pour orchestrer une pirouette publicitaire. Un autre vigneron, Aimé Guibert, un « résistant » dans l'affaire Languedoc-Mondavi, éloquent dans son discours sur l'art du vin, le sens de la tradition et du terroir, puis son opposition féroce à l'expansion tentaculaire de la grande firme californienne, nous surprend plus tard quand son discours soudainement se nuance, quant à ses pourparlers avec une grande firme française aux ambitions comparables. Aux Etats-Unis, le critique le plus influent au monde, Robert Parker, a beau parler de son succès comme d'une réalisation personnelle en dehors de l'élite traditionnelle du vin, et nous pouvons penser que par définition son travail devrait allier une connaissance objective au raffinement d'un jugement subjectif, on constate pourtant, à l'écoute d'un discours qu'il livre à une assemblée de compatriotes, que l'intention de servir les « intérêts américains » est inséparable de son travail. Il a largement contribué, entre autres, à discréditer la notion de terroir, alors que bien sûr elle est absente de la fabrication des vins américains.

Bref, nous pourrions ainsi relever d'autres exemples. La subjectivité du cinéaste - cette notion ambiguë toujours au cœur des tiraillements critiques sur le cinéma documentaire - n'est pas un point fixe qui dirige le film, une volonté unilatérale qui teinterait d'avance toute la réalité, mais elle se définit, du moins partiellement, en étant forcée de traverser les écrans des autres subjectivités, qui sont tout autant jouées, mises en scène. Et c'est bien en parvenant, à l'occasion, à retourner ces masques, que le film peut justement exprimer une certaine vérité. Le point de vue ne se manifeste pas non plus dans la pseudo-distance ironique très en vogue dans les documentaires d'aujourd'hui. Ici nous ne sommes jamais devant un dispositif préconçu qui viendrait piéger les participants dans la démonstration pamphlétaire du cinéaste. On observe plutôt que le film fut constamment tourné dans une présence sincère et attentive auprès des gens rencontrés. Bien sûr, ceci n'exclut pas les préjugés que le cinéaste peut entretenir au départ envers une personne ou ses idées, ni son privilège d'avoir le dernier mot au montage, mais il serait d'emblée absurde d'imaginer que le tournage d'un documentaire puisse s'extraire de cette banale réalité des rapports humains. Aborder un sujet avec une perspective personnelle, ce n'est pas prétendre à l'équilibre de tous les points de vue, ni imposer une structure dans un discours écrit d'avance, mais s'appliquer au montage à construire une lecture intelligible de la réalité qui s'est donnée au cœur d'un échange, ouvert et conflictuel (et peu importe ce qu'il voulait capter au départ, tout documentariste sait bien que la réalité lui en donnera si peu).