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La France pendant la deuxième guerre mondiale, La campagne de France

La campagne de France

Tout va basculer et les Français ne le soupçonnent pas. Ils se rassurent au souvenir de la Marne et de Verdun, et ils vont revivre Crécy ou Azincourt. Le temps est venu des grandes douleurs.

Au matin du vendredi 10 mai, Hitler a déclenché l'offensive; ses armées envahissent sans déclaration de guerre les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg. La drôle de guerre est bien finie, c'est la guerre pour de bon. Voici l'occasion de sortir d'une attente fastidieuse et d'affronter l'ennemi directement. Le haut commandement français, répondant à l'appel de la Belgique, applique son plan : nos unités les plus mobiles, les mieux équipées et disposant de la plus grande puissance de feu se portent au-devant de l'ennemi, prêtes à un choc frontal en Belgique. Mais ce n'est pas sur le canal Albert ni sur la Dyle que se livre la bataille décisive: c'est plus à l'est, au contact des Ardennes. Hitler fait en effet porter le principal de son effort à la charnière du front ennemi, au point où s'arrête la ligne fortifiée prolongée par des troupes en rase campagne. Certain que le massif des Ardennes est un obstacle infranchissable, le commandement n'a pris aucune disposition spéciale: pas d'ouvrage fortifié, juste un mince rideau de troupes de second ordre pour tenir tête aux neuf Panzerdivisionen qui débouchent soudain de la forêt, franchissent en force la Meuse et déferlent au-delà. L'état-major, qui a engagé la totalité du corps de bataille dans la manoeuvre en Belgique, ne dispose plus de réserves pour tendre une deuxième ligne de défense et moins encore pour rejeter les assaillants. Le front est rompu, une énorme brèche ouverte. L'initiative a échappé au commandement français : il ne réussira pas à la ressaisir. La guerre est virtuellement perdue dès le cinquième jour de l'offensive allemande. Elle le sera effectivement en six semaines: c'est le temps qui, en 1870, avait séparé l'entrée en guerre contre la Prusse du désastre de Sedan; c'est aussi à peu près le temps qu'il avait fallu en 1914 pour redresser la situation et permettre à la victoire de la Marne de réparer la bataille perdue des frontières. Cette fois, il n'y aura pas de miracle de la Seine ou de la Loire. Hitler aurait pu marcher directement sur Paris, il n'aurait pas rencontré de résistance sérieuse. Il déploie une manoeuvre plus habile: appuyées par une aviation qui s'est rendue maîtresse du ciel, dont les attaques en piqué dans le fracas des bombes et le sifflement des sirènes éprouvent les nerfs des combattants et leur donnent le sentiment d'être abandonnés, dans un vaste coup de faux, les divisions blindées foncent vers la mer qu'elles atteignent le 20 à l'embouchure de la Somme, séparant irrémédiablement du front, qui se reconstitue en avant de Paris, les divisions aventurées en Belgique et dont la situation s'aggrave avec la capitulation de l'armée néerlandaise dès le 15, puis de l'armée belge le 28. Faute de pouvoir rétablir la liaison avec le gros de l'armée française, les 45 divisions franco-britanniques encerclées se replient sur le camp retranché de Dunkerque, dont elles sont évacuées vers l'Angleterre dans les pires difficultés par une armada de navires britanniques : 330000 hommes échappent ainsi à la captivité, mais ils ont abandonner les chars, l'artillerie et tout le matériel; ils vont faire cruellement défaut. Le 10 mai, Paul Reynaud allait donner sa démission pour provoquer un remaniement du gouvernement et du commandement; l'attaque l'oblige à y renoncer, mais il prend le ministère de la Défense et les premières défaites lui permettent de se séparer du général Gamelin, qui n'a pas sa confiance, et de le remplacer par Weygand, le lieutenant de Foch en 1918; il obtient aussi le concours du maréchal Pétain, qui revient de son ambassade à Madrid pour être vice-président du Conseil. Pétain, Weygand : Verdun, Rethondes - s'imagine-t-on qu'ils ont la recette de la victoire? Pendant le répit que ménageaient les opérations autour de Dunkerque, le commandement s'est employé à reconstituer, avec ce qui reste de réserves et les débris des unités engagées dans les premiers jours, une ligne continue dont le tracé épouse le cours de la Somme, de l'Aisne et de l'Ailette pour se raccorder à la ligne Maginot : mince rideau de troupes de valeur inégale étiré sur près de 300 kilomètres et dont la puissance de feu est réduite par la perte du corps de bataille. Deux contre-offensives limitées conduites par le colonel de Gaulle à Montcornet et Abbeville avec des éléments cuirassés, qui reprennent quelque terrain et réduisent une tête de pont, donnent une idée de ce qui aurait été possible avec une stratégie tirant parti d'une masse de chars dont ni le nombre ni la qualité n'étaient inférieurs à ceux de l'ennemi. L'évacuation de Dunkerque s'achève le 3 juin; le 6, la Wehrmacht passe à l'offensive: le front cède après quelques heures d'une résistance courageuse. Il n'y a plus, dès lors, de front continu ni de résistance coordonnée, les divisions blindées se répandent à travers le territoire et se déploient en éventail de la basse Seine à la Bourgogne. Le gouvernement quitte Paris, et la capitale est déclarée ville ouverte : les Allemands y entrent le 14. Le commandement tente de reformer une ligne à peu près continue le long des fleuves, derrière la Seine d'abord, puis sur la Loire, mais chaque fois l'avance allemande déborde la défense et prend pied sur l'autre rive. Les combattants se sont bien battus: s'il y eut ici ou là des défaillances individuelles ou collectives, le chiffre des tués au combat - quelque 100 000 - comparable à celui des batailles les plus meurtrières de la Grande Guerre, atteste que le courage des combattants de 1940 ne fut pas inférieur à celui de leurs aînés. Le désastre militaire s'accompagne d'un autre drame qui l'aggrave et auquel la voix populaire a d'emblée donné un nom biblique: l'exode. Le terme n'était utilisé auparavant que pour désigner le mouvement qui vidait les campagnes : en mai 1940 il qualifie la fuite devant l'ennemi de tout un peuple qui abandonne son domicile et se lance sur les routes sans savoir où aller. Amorcé par l'arrivée des Belges, que suivent les habitants des départements frontaliers, le phénomène s'amplifie et grossit comme une avalanche qui emporte la population des régions traversées par le flot. Combien furent-ils à fuir ainsi devant l'envahisseur? 5, 6, peut-être 8 millions: pour la seule région parisienne, on estime à 2 millions le nombre de ceux qui sont partis, plutôt que d'attendre l'arrivée des Allemands. Ce grand mouvement de panique qui s'empare de tout un peuple obéit à des motifs explicables, au moins dans ses commencements : les populations du Nord et du Nord-Est n'ont pas oublié l'occupation qui les avait coupées pendant quatre ans du reste de la France, et de leurs familles. Raisonnant par analogie, ils se figurent que, la situation militaire se redressant, le front, se stabilisant, laissera à nouveau leurs départements sous la botte ennemie : le souvenir des vexations, des exactions, de la réquisition des hommes valides, des restrictions imposées, s'aggrave de ce que l'on sait ou plus encore qu'on imagine des nazis; l'ampleur de l'exode révèle la crainte qu'inspire le IIIe Reich et ne concorde guère avec certaines assertions sur l'accueil que l'ennemi aurait trouvé dans la population. Il faut à tout prix se retrouver à l'arrière du front, au-delà de la Seine, puis de la Loire, enfin dans le Massif central, les Charentes ou le Sud-Ouest. Le départ des administrations, dont certaines se replient sur ordre, dont d'autres abandonnent leurs ressortissants sans consigne, entraîne les civils. Comment demeurer s'il n'y a plus ni autorités, ni médecins, ni commerçants, ni boulangers? Les départs entraînent les départs; le mouvement est irrésistiblement contagieux. C'est ainsi que, dans une migration sans précédent, un quart ou un cinquième du peuple français s'est mis en marche, sur des routes trop étroites, dans une indescriptible cohue encombrant des bourgades dont la population décuple en quelques heures, submergées sous un flot qu'elles ne peuvent ni nourrir ni loger. Ici ou là les avions allemands ou italiens survolent ce peuple en marche et le mitraillent. Cet écoulement de tout un peuple - qui rejoint les grands phénomènes ataviques d'une histoire très ancienne - n'a pourtant jamais été une complète débandade. Le désarroi de ces foules pitoyables, de ces familles séparées, a laissé dans la mémoire collective une meurtrissure ineffaçable, aussi profonde que la débâcle des armées. Ces deux drames parallèles qui ont effacé la distinction traditionnelle entre l'avant et l'arrière, les civils et les combattants, ont été déterminants. Les pouvoirs publics, débordés, découvraient leur impuissance à faire face aux besoins les plus essentiels. La pitié pour tant de souffrances d'innocents était une raison de plus de s'interroger sur leur devoir: le moment n'était-il pas venu d'arrêter les combats?

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La campagne de France

Tout va basculer et les Français ne le soupçonnent pas. Ils se rassurent au souvenir de la Marne et de Verdun, et ils vont revivre Crécy ou Azincourt. Le temps est venu des grandes douleurs.

Au matin du vendredi 10 mai, Hitler a déclenché l'offensive; ses armées envahissent sans déclaration de guerre les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg. La drôle de guerre est bien finie, c'est la guerre pour de bon. Voici l'occasion de sortir d'une attente fastidieuse et d'affronter l'ennemi directement. Le haut commandement français, répondant à l'appel de la Belgique, applique son plan : nos unités les plus mobiles, les mieux équipées et disposant de la plus grande puissance de feu se portent au-devant de l'ennemi, prêtes à un choc frontal en Belgique. Mais ce n'est pas sur le canal Albert ni sur la Dyle que se livre la bataille décisive: c'est plus à l'est, au contact des Ardennes. Hitler fait en effet porter le principal de son effort à la charnière du front ennemi, au point où s'arrête la ligne fortifiée prolongée par des troupes en rase campagne. Certain que le massif des Ardennes est un obstacle infranchissable, le commandement n'a pris aucune disposition spéciale: pas d'ouvrage fortifié, juste un mince rideau de troupes de second ordre pour tenir tête aux neuf Panzerdivisionen qui débouchent soudain de la forêt, franchissent en force la Meuse et déferlent au-delà. L'état-major, qui a engagé la totalité du corps de bataille dans la manoeuvre en Belgique, ne dispose plus de réserves pour tendre une deuxième ligne de défense et moins encore pour rejeter les assaillants. Le front est rompu, une énorme brèche ouverte. L'initiative a échappé au commandement français : il ne réussira pas à la ressaisir. La guerre est virtuellement perdue dès le cinquième jour de l'offensive allemande. Elle le sera effectivement en six semaines: c'est le temps qui, en 1870, avait séparé l'entrée en guerre contre la Prusse du désastre de Sedan; c'est aussi à peu près le temps qu'il avait fallu en 1914 pour redresser la situation et permettre à la victoire de la Marne de réparer la bataille perdue des frontières. Cette fois, il n'y aura pas de miracle de la Seine ou de la Loire. Hitler aurait pu marcher directement sur Paris, il n'aurait pas rencontré de résistance sérieuse. Il déploie une manoeuvre plus habile: appuyées par une aviation qui s'est rendue maîtresse du ciel, dont les attaques en piqué dans le fracas des bombes et le sifflement des sirènes éprouvent les nerfs des combattants et leur donnent le sentiment d'être abandonnés, dans un vaste coup de faux, les divisions blindées foncent vers la mer qu'elles atteignent le 20 à l'embouchure de la Somme, séparant irrémédiablement du front, qui se reconstitue en avant de Paris, les divisions aventurées en Belgique et dont la situation s'aggrave avec la capitulation de l'armée néerlandaise dès le 15, puis de l'armée belge le 28. Faute de pouvoir rétablir la liaison avec le gros de l'armée française, les 45 divisions franco-britanniques encerclées se replient sur le camp retranché de Dunkerque, dont elles sont évacuées vers l'Angleterre dans les pires difficultés par une armada de navires britanniques : 330000 hommes échappent ainsi à la captivité, mais ils ont abandonner les chars, l'artillerie et tout le matériel; ils vont faire cruellement défaut. Le 10 mai, Paul Reynaud allait donner sa démission pour provoquer un remaniement du gouvernement et du commandement; l'attaque l'oblige à y renoncer, mais il prend le ministère de la Défense et les premières défaites lui permettent de se séparer du général Gamelin, qui n'a pas sa confiance, et de le remplacer par Weygand, le lieutenant de Foch en 1918; il obtient aussi le concours du maréchal Pétain, qui revient de son ambassade à Madrid pour être vice-président du Conseil. Pétain, Weygand : Verdun, Rethondes - s'imagine-t-on qu'ils ont la recette de la victoire? Pendant le répit que ménageaient les opérations autour de Dunkerque, le commandement s'est employé à reconstituer, avec ce qui reste de réserves et les débris des unités engagées dans les premiers jours, une ligne continue dont le tracé épouse le cours de la Somme, de l'Aisne et de l'Ailette pour se raccorder à la ligne Maginot : mince rideau de troupes de valeur inégale étiré sur près de 300 kilomètres et dont la puissance de feu est réduite par la perte du corps de bataille. Deux contre-offensives limitées conduites par le colonel de Gaulle à Montcornet et Abbeville avec des éléments cuirassés, qui reprennent quelque terrain et réduisent une tête de pont, donnent une idée de ce qui aurait été possible avec une stratégie tirant parti d'une masse de chars dont ni le nombre ni la qualité n'étaient inférieurs à ceux de l'ennemi. L'évacuation de Dunkerque s'achève le 3 juin; le 6, la Wehrmacht passe à l'offensive: le front cède après quelques heures d'une résistance courageuse. Il n'y a plus, dès lors, de front continu ni de résistance coordonnée, les divisions blindées se répandent à travers le territoire et se déploient en éventail de la basse Seine à la Bourgogne. Le gouvernement quitte Paris, et la capitale est déclarée ville ouverte : les Allemands y entrent le 14. Le commandement tente de reformer une ligne à peu près continue le long des fleuves, derrière la Seine d'abord, puis sur la Loire, mais chaque fois l'avance allemande déborde la défense et prend pied sur l'autre rive. Les combattants se sont bien battus: s'il y eut ici ou là des défaillances individuelles ou collectives, le chiffre des tués au combat - quelque 100 000 - comparable à celui des batailles les plus meurtrières de la Grande Guerre, atteste que le courage des combattants de 1940 ne fut pas inférieur à celui de leurs aînés. Le désastre militaire s'accompagne d'un autre drame qui l'aggrave et auquel la voix populaire a d'emblée donné un nom biblique: l'exode. Le terme n'était utilisé auparavant que pour désigner le mouvement qui vidait les campagnes : en mai 1940 il qualifie la fuite devant l'ennemi de tout un peuple qui abandonne son domicile et se lance sur les routes sans savoir où aller. Amorcé par l'arrivée des Belges, que suivent les habitants des départements frontaliers, le phénomène s'amplifie et grossit comme une avalanche qui emporte la population des régions traversées par le flot. Combien furent-ils à fuir ainsi devant l'envahisseur? 5, 6, peut-être 8 millions: pour la seule région parisienne, on estime à 2 millions le nombre de ceux qui sont partis, plutôt que d'attendre l'arrivée des Allemands. Ce grand mouvement de panique qui s'empare de tout un peuple obéit à des motifs explicables, au moins dans ses commencements : les populations du Nord et du Nord-Est n'ont pas oublié l'occupation qui les avait coupées pendant quatre ans du reste de la France, et de leurs familles. Raisonnant par analogie, ils se figurent que, la situation militaire se redressant, le front, se stabilisant, laissera à nouveau leurs départements sous la botte ennemie : le souvenir des vexations, des exactions, de la réquisition des hommes valides, des restrictions imposées, s'aggrave de ce que l'on sait ou plus encore qu'on imagine des nazis; l'ampleur de l'exode révèle la crainte qu'inspire le IIIe Reich et ne concorde guère avec certaines assertions sur l'accueil que l'ennemi aurait trouvé dans la population. Il faut à tout prix se retrouver à l'arrière du front, au-delà de la Seine, puis de la Loire, enfin dans le Massif central, les Charentes ou le Sud-Ouest. Le départ des administrations, dont certaines se replient sur ordre, dont d'autres abandonnent leurs ressortissants sans consigne, entraîne les civils. Comment demeurer s'il n'y a plus ni autorités, ni médecins, ni commerçants, ni boulangers? Les départs entraînent les départs; le mouvement est irrésistiblement contagieux. C'est ainsi que, dans une migration sans précédent, un quart ou un cinquième du peuple français s'est mis en marche, sur des routes trop étroites, dans une indescriptible cohue encombrant des bourgades dont la population décuple en quelques heures, submergées sous un flot qu'elles ne peuvent ni nourrir ni loger. Ici ou là les avions allemands ou italiens survolent ce peuple en marche et le mitraillent. Cet écoulement de tout un peuple - qui rejoint les grands phénomènes ataviques d'une histoire très ancienne - n'a pourtant jamais été une complète débandade. Le désarroi de ces foules pitoyables, de ces familles séparées, a laissé dans la mémoire collective une meurtrissure ineffaçable, aussi profonde que la débâcle des armées. Ces deux drames parallèles qui ont effacé la distinction traditionnelle entre l'avant et l'arrière, les civils et les combattants, ont été déterminants. Les pouvoirs publics, débordés, découvraient leur impuissance à faire face aux besoins les plus essentiels. La pitié pour tant de souffrances d'innocents était une raison de plus de s'interroger sur leur devoir: le moment n'était-il pas venu d'arrêter les combats?