Quand Pompidou est entré à l'Elysée, chacun s'est interrogé: partisan comme de Gaulle de l'indépendance nationale, va-t-il se montrer hostile à une politique européenne? Il répond par un coup d'éclat en proposant la naissance en Europe d'une union économique et monétaire et en préconisant l'élargissement du Marché commun, institution créée en 1957 par le traité de Rome et qui comprend alors l'Allemagne (République fédérale), la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas (l'Europe des six) : c'est ainsi que la Grande-Bretagne, à qui de Gaulle a si longtemps fermé les portes du continent, y fait son entrée le 1er janvier 1973, ainsi que l'Irlande et le Danemark. Pompidou multiplie les rencontres avec les chefs d'État et de gouvernement. En 1973, il rencontre à Pékin Mao Tsé Toung.
En politique intérieure, il doit tenir compte des progrès accomplis par les partis de gauche. Mai 1968 a laissé des traces profondes dans la jeunesse. La naissance, en juillet 1969, d'un nouveau Parti socialiste dont, en juin 1971, François Mitterrand est devenu le premier secrétaire, donne un élan nouveau à cette opposition. Celle-ci prend plus de force encore quand Mitterrand, en juin 1972, s'associe avec le parti communiste: c'est l'Union de la gauche. Cependant, aux élections législatives de 1973, la majorité fidèle à Pompidou remporte encore une fois la victoire.
Pompidou peut donner libre cours à la politique d'urbanisme qui le passionne et prodiguer son soutien à l'art contemporain qui a sa préférence. À son initiative, sur le plateau de Beaubourg, à Paris, s'ouvre un centre culturel auquel on donnera son nom: le centre Pompidou. On dissimule le plus longtemps possible aux Français que le Président est un homme gravement malade. Il considère que son devoir l'oblige à exercer jusqu'au bout les responsabilités que lui ont confiées les Français. C'est en mai 1973, lors du sommet des chefs d'État à Reykjavik (Islande), dont les séances sont transmises par la télévision, que nous découvrons une silhouette considérablement alourdie, un visage que l'épuisement accable et une démarche difficile. Quand on annonce sa mort brutale, le 12 avril 1974, l'émotion est grande en France où chacun salue son courage. Qui va succéder à Georges Pompidou? La gauche a marqué tant de points, au cours des deux années précédentes, qu'il semble possible à l'obstiné François Mitterrand de gagner enfin cette présidence à laquelle il a déjà tenté d'accéder en 1965. Quand Mitterrand se présente, il trouve en face de lui un adversaire brillant: Valéry Giscard d'Estaing. À 15 ans, n'était-il pas déjà détenteur du double baccalauréat de philosophie et de mathématiques élémentaires? Combattant à 18 ans de la Première armée française du général de Lattre, reçu à Polytechnique et à l'École nationale d'administration (l'E.N.A. ), député à 30 ans, secrétaire d'État à 33 ans, ministre des Finances à 36 ans : un tel palmarès a de quoi séduire les Français. À la mort de Pompidou, il a 48 ans.
La force de Giscard, c'est qu'il s'affirme comme le candidat d'un libéralisme avancé. La formule plaît à des électeurs lassés du gaullisme mais hésitants devant une Union de la gauche qui englobe les communistes.
Au premier tour de l'élection présidentielle, François Mitterrand devance Giscard. Au second tour, ce dernier est élu par 50,81 % de voix. Il a promis de décrisper la vie publique: il tient parole. Notamment en ce qui concerne l'audiovisuel (télévision et radio) jusque-là étroitement contrôlé par le pouvoir. Jacques Chirac, plusieurs fois ministre de Pompidou, a rallié une partie des gaullistes à Giscard qui fait de lui son Premier ministre. Les deux hommes s'entendent peu. Quand Chirac démissionne, la nomination de Raymond Barre, expert reconnu des problèmes financiers, apparaît comme le signe d'une priorité accordée à l'économie. Retenez bien ceci: jamais, dans son histoire, la France ne s'est aussi rapidement transformée que dans les années 1945 à 1975. La France de 1945 était un pays resté largement agricole et moins industrialisé que beaucoup de ses voisins. Trente ans plus tard, le nombre des ouvriers a fortement augmenté et plus encore celui des cadres, autrement dit les salariés exerçant une fonction de direction ou de contrôle. L'explication: au cours de ces trente années la France s'est remarquablement adaptée au monde moderne et elle a connu une croissance exceptionnelle. Vous vous souvenez que l'on avait appelé les journées de la révolution de 1830 : « les Trois Glorieuses ». Certains vont dire que la période 1945-1975 est celle des « Trente Glorieuses» : cette fois il s'agit d'années et non de jours. Le drame, au moment où Giscard entame son septennat, c'est que ce miracle économique s'achève. Ce qui commence, c'est une des crises les plus graves - et les plus longues - qu'a traversées l'économie mondiale. Comment la France y échapperait-elle?
Jusqu'alors, l'énergie nécessaire au mouvement des machines - donc à la production industrielle - est surtout procurée par le pétrole. On s'est habitué à un pétrole bon marché et donc à une énergie peu coûteuse. Soudain, tout change. Lors de la guerre qui a opposé les Israéliens à plusieurs pays arabes - on l'appelle « la guerre du Kippour» parce qu'elle s'est déroulée pendant la fête juive de ce nom -les prix ont flambé. Les pays producteurs de pétrole se sont rendus compte que leur sous-sol renfermait de véritables trésors et refusent désormais de les abandonner à bas prix. Ils s'associent (l'OPEP) et imposent des prix multipliés par quatre. Les économies des nations développées - notamment celle de la France - sortent complètement bouleversées de l'événement. C'est le choc pétrolier. Il a pour conséquence l'inflation, la hausse des prix et le chômage. En février 1974, la France compte 450 000 demandeurs d'emploi. Raymond Barre se bat contre l'inflation: le temps de la facilité est terminée, déclare-t-il. Il réclame un « effort soutenu » de tous. Valéry Giscard d'Estaing soutient sans réserve ce programme. Il multiplie les réformes qui donnent plus de libertés aux Français: il abaisse notamment à 18 ans le droit de vote et prend de nombreuses mesures en faveur des femmes.
Par une incroyable malchance, le monde va subir un nouveau choc pétrolier. Le prix d'un baril de pétrole passe de 13 dollars en 1978 à 30 dollars en 1980. En France, l'inflation atteint 17 % en 1981 ! Le septennat s'achève. Le 2 mars 1981, Valéry Giscard d'Estaing annonce qu'il se représentera. Dès janvier, un « congrès extraordinaire» du parti socialiste a choisi son candidat: François Mitterrand.